Le privilège de l'écrivain est de nous entraîner là où il veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Et comme le lecteur disposant d'outils de recherche, il va d'aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d'en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu'il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
Libé : Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Moha Souag : Mon premier texte fut publié dans la revue du lycée Sijilmassa en 1969 quand j'y étais élève. Puis, le second texte a été publié dans la revue Lamalif, le numéro de juillet 1972.
Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ?
Je lisais de tout. Mais la plus grande influence fut celle des contes populaires et celle de Freud. J'ai lu « Introduction à la psychanalyse » c'était un peu comme une carte des émotions et des actions humaines. Parmi les écrivains, j'appréciais particulièrement Poe, Somerset Maugham, Pouchkine et Abou Al Aala Maari.
Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?
Non, chaque roman impose une approche différente. Ecrire dans l'urgence n'est pas identique qu'écrire à coeur reposé. Certains thèmes se révèlent comme dans un rêve, d'autres imposent un travail de longue haleine, un travail de recherche. Mais, en général, vos personnages vous accompagnent partout.
« Ecrire, c'est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c'est aussi le plaisir d'écrire, qui est inexplicable », dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969.
Je dirais plutôt que raconter est une autre nature de l'être humain. Raconter, c'est reconstituer un fait, donner du sens à une existence livrée sans mode d'emploi. Un fait n'existe que quand il est raconté. Raconter, c'est créer une réalité, interpréter les faits d'où la subjectivité humaine. L'être humain est passé donc de l'oral à l'écrit. Il y a des écrits qui font plaisir tandis d'autres donnent énormément de peine. La langue résiste et elle impose une lutte ardue pour exprimer une idée. Elle peut même manipuler l'auteur et lui échapper.
Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu'en pensez-vous ?
Je pense que oui ; mais cela dépend aussi de l'imagination et de la culture de l'auteur et du lecteur. L'écrivain devient un démiurge qui mène son monde comme il veut dans son roman. Cette intensité peut apparaître aussi bien dans un texte riche de faits et de personnages passionnants que dans un texte sobre ou minimaliste. Et c'est même un peu la raison de l'existence du récit, faire de la vie écrite une compensation à la pauvreté de la vie vécue. Chacun de nous ne mène qu'une seule vie vécue, le récit nous fait vivre d'autres vies auxquelles nous n'aurions jamais eu accès sans la littérature.
Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l'ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l'absence manichéenne. Est-ce que cela pourrait s'appliquer à vos romans ?
Mes romans ont été un questionnement. Je me suis aperçu que mon incompréhension de la vie, des faits, des comportements que j'ai vus ou vécus a été l'une des raisons qui m'ont poussé à écrire. Je voulais reconstituer les faits pour les comprendre de l'intérieur. Pourquoi cela se passe-t-il ainsi ? N'y a-t-il pas d'autres issues, d'autres voies pour vivre sans se heurter aux autres ? Le roman est une sorte de débat que j'amorce d'abord avec moi-même et en le publiant, j'espère le partager avec mes lecteurs. Et justement dire débat, cela signifie contradiction, désaccord, recherche d'un terrain d'entente.
Biographie
Né à Taous (Boudenib), Moha Souag est l'aîné d'une famille de 8 enfants. Après des études primaires et secondaires à Errachidia, il part pour Rabat en 1970 poursuivre des études de droit. A cause de grèves et d'année blanche, il est contraint de faire le CPR (le centre pédagogique régional). A l'issue de ses études, il est affecté à Goulmima, en tant que professeur de français. C'est aussi l'année de publication de sa première nouvelle dans le mensuel «Lamalif ». Après plusieurs publications de nouvelles, de contes, chez différents éditeurs de Casablanca, il obtient le Prix de la meilleure nouvelle en langue française décerné par RFI en 1991 et le Prix Atlas de la nouvelle en 1998.
Moha Souag est l'auteur de plusieurs romans, recueils de poèmes et de nouvelles, dont :
L'année de la chienne 1979, un superbe recueil de 11 nouvelles.
Des espoirs à vivre, 1983 recueil de poèmes.
Les années U, 1989.
Thé amer, roman paru en 1997 aux éditions Tafilalet
Iblis, 2000, un conte satirique
Les joueurs, 2000
Le grand départ, 2001, recueil de 10 nouvelles.
La femme du soldat roman paru aux éditions Le Fennec en 2003.