Cinquième en force athlétique aux Jeux paralympiques de Tokyo, Adou Hervé Ano, porte-drapeau de la Côte d'Ivoire durant l'édition 2024, se sent investi d'une mission : décrocher une médaille à Paris et mettre en lumière dans son pays les personnes en situation de handicap. « Je fais vraiment tout mon possible pour être un modèle, dans ma famille, dans la société, pour pouvoir donner de l'espoir, être le porte-flambeau de toutes ces personnes qui sont dans le silence. »
« À Tokyo, j'étais moins stressé étant donné que c'étaient mes premiers Jeux paralympiques. À Paris, ce sont les deuxièmes et le stress et la responsabilité sont grands. Surtout quand on a déjà fini cinquième et qu'on a le podium à l'esprit. »
Adou Hervé Ano, 41 ans, se sait attendu au tournant, le 6 septembre, dans les épreuves parisiennes de force athlétique. Celui qui évolue désormais dans la catégorie des moins de 80 kg se sent en outre investi d'une double mission : décrocher la sixième médaille de l'histoire de la Côte d'Ivoire aux Jeux paralympiques - la première depuis celle de Fatimata Diasso en 2016 en athlétisme - et mettre en lumière les Ivoirien(ne)s en situation de handicap.
« Il y a des milliers de personnes en Côte d'Ivoire, qui nous regardent, qui me regardent, insiste celui qui se déplace en fauteuil roulant. Et à travers ce que je peux produire dans le sport, ça peut leur donner de l'espoir, ça peut leur permettre également de venir elles aussi au sport. »
Le para-sport, Adou Hervé Ano y est venu quand il a quitté l'Est du pays et son village de Zamaka pour aller étudier les lettres à Abidjan, en 2006. « C'est quand je suis arrivé à l'université que j'ai trouvé des aînés qui faisaient du basketball en fauteuil roulant, la para-haltérophilie, l'athlétisme », raconte-t-il. S'il s'est essayé aux trois et les pratique même encore, c'est dans le « powerlifting » qu'il s'est ensuite jeté corps et âmes.
« C'est un sport de caractère, au-delà de la corpulence, lance-t-il. Parce qu'il faut te battre avec des charges énormes. Je pèse 80 kilos, je soulève 194 kilos, une charge qui peut m'écraser. Mais je défie cette charge-là. C'est ce défi que je recherche, que j'aime. Il faut se surpasser pour dire que, quel que soit la montagne qui est en face de moi, je peux déplacer cette montagne-là et que rien ne m'est impossible. Ça t'apporte aussi de la douceur, de la maîtrise de soi ».
« Nous sommes au XXIe siècle, mais des personnes handicapées rampent encore »
Ces trois dernières années, Adou Hervé Ano a travaillé dur au sein du réputé Institut national de la jeunesse et du sport (INJS) pour progresser, avaler les kilos, et rivaliser avec les meilleurs de la planète, à Paris. Une préparation, ponctuée de plusieurs tournois internationaux, qu'il a pu effectuer en parallèle de son travail au sein de la Direction régionale du travail d'Abidjan.
Une situation que cet attaché administratif au ministère de l'Emploi et de la protection sociale présente d'ailleurs comme trop exceptionnel. « Est-ce que les personnes en situation d'handicap sont vraiment pris en compte dans le dans le privé ? A part le public qui essaie à chaque année de recruter des personnes en situation de handicap, la question de l'emploi reste cruciale ». Il continue : « Nous sommes au e siècle, mais il y a toujours la question de la mobilité aussi. Des personnes handicapées rampent encore. Ce n'est pas normal. Le coût du matériel orthopédique, les béquilles, les canes, les fauteuils roulants, ce sont des coûts exorbitants. »
Le Paralympien espère un changement de société radical dans son pays. « Au-delà de tout ça, il y a en effet le regard de la société. En Afrique, quand tu mets au monde un enfant qui a un handicap, on se dit que ce n'est pas un être humain, il est stigmatisé. Aujourd'hui encore, il y a des parents, dans des contrées, qui cachent des enfants en situation de handicap. C'est pourquoi nous faisons tout pour mettre en lumière nos performances, pour que les parents en voyant cela se disent : "Mon enfant qui est en situation de handicap peut apporter quelque chose au pays. Il ne faut pas que je le cache, il faut que j'arrive à le scolariser et qu'il ait les mêmes chances que la personne dite valide." »
C'est pour eux que le porte-drapeau de la Côte d'Ivoire à Paris donnera tout. Et quand Adou Hervé Ano est pris de découragement, c'est dans la littérature, son autre passion, qu'il se régénère.
« Je l'aime dans mes moments de solitude, de méditation », souligne-t-il, confiant que son oeuvre préférée est l'adaptation du drame antique Antigone par le Français Jean Anouilh. « Dans cette pièce, il y'a le jusqu'auboutisme. Or, je suis jusqu'auboutiste. Quand je commence, je termine », conclut-il dans un sourire. « Après Paris, je veux vraiment aller à Los Angeles en tout cas. Si Dieu m'accorde la vie d'ici là, je suis sûr et certain d'être qualifié pour ces Jeux aussi. »