Afrique: Jeux paralympiques - Le para cyclisme sur le continent et les regards qui changent, le vétéran kényan Kennedy Ogada se confie

Il est l'un des doyens, voire le doyen des athlètes africains en lice aux Jeux paralympiques de Paris 2024. Le cycliste non-voyant Kennedy Ogada réalise le rêve d'une vie, participer à ses premiers Jeux, alors qu'il va sur ses 53 ans. Plutôt spécialiste de la piste, sur laquelle il était d'ailleurs qualifié, c'est sur la route que sa fédération a choisi de l'aligner. Dernier du contre-la-montre mercredi 4 septembre, il entend bien montrer son maillot et sa fierté ce vendredi 6 septembre lors de la course en ligne à Clichy-sous-Bois, au nord-est de Paris.

Vous aurez 53 ans en octobre et ce sont vos premiers jeux paralympiques, cela doit être très excitant pour vous ?

Oui, je me sens très honoré de représenter mon pays, parce que ça a été une sacrée aventure pour moi. Ce n'est pas arrivé facilement, vous avez vu que ça m'a pris du temps. Au début, je courais avec les valides. Et puis, après avoir perdu la vue, j'ai rencontré quelqu'un qui faisait du tandem. Je lui ai demandé : « Que fait le gars derrière ? » La personne m'a répondu que c'était la place de l'aveugle, mais qu'il pédalait aussi. Alors, comme j'aimais vraiment ce sport, je me suis décidé à tester, et c'est là que je me suis lancé en tandem. C'était il y a longtemps, 16 ou 17 ans maintenant.

Vous aviez quel niveau quand vous couriez chez les valides ?

Malheureusement, je n'ai jamais pu me tester au niveau international, je faisais les courses locales au Kenya. Et finalement, de manière étonnante, c'est une fois que j'ai eu des problèmes au nerf optique, quand j'ai perdu la vue, que j'ai commencé à représenter mon pays, en para cyclisme.

Cela devait être dur pour vous de vous améliorer comme coureur, le cyclisme n'étant pas un sport très populaire au Kenya ?

Effectivement, c'est dur au Kenya. Les gens vous regardent bizarrement parfois quand ils vous voient faire, mais ça donne de la motivation. Moi, ça m'a encouragé, parce que j'adore le cyclisme. Je mange, je bois, je fais tout pour le cyclisme, c'est vraiment mon truc.

À tel point que vous avez votre propre magasin de cycles ?

Oui, à Thika, au nord-est de Nairobi, sur l'autoroute vers Garissa. C'est là que je travaille. J'ai quelques gars qui bossent pour moi, mais c'est moi le patron. Je suis capable de réparer les vélos ; si un client m'amène un vélo, pas de problème, je m'en occupe, je peux dévoiler une roue, je peux tout faire à part les fabriquer. Je vends aussi des vélos et j'ai mon propre club de cyclisme, où j'accompagne des enfants qui viennent des bidonvilles.

Et tout ça, vous le faites avec votre femme, Milly ?

Oui, c'est la seule personne avec qui je suis resté réellement proche depuis que j'ai perdu la vue. Elle et nos enfants, avec qui je travaille au magasin.

Qu'attendez-vous de ces Jeux ? Vous êtes plutôt un spécialiste de la piste, sur laquelle vous vous êtes qualifié, mais vous voilà finalement sur la route, que s'est-il passé ?

J'affronte les meilleures nations, le Japon, la France, la Grande-Bretagne, qui ont une tradition cycliste. Moi, je veux juste montrer que les Africains ont leur place dans ce sport. Pour le reste, je ne sais pas exactement quel a été le processus de décision. Je m'attendais à courir sur la piste. La fédération a décidé que ce serait la route, mais ça ne me pose pas de problème. J'ai été un des premiers Africains à intégrer l'élite sur le vélodrome, alors pourquoi pas ?

En tandem, vous avez un pilote. Comment fonctionne cette relation ?

Il faut être synchronisé, être capable de se comprendre. Sinon, ça ne va pas se passer comme vous le voulez : tout doit correspondre. C'est comme dans un mariage, c'est nécessaire de se comprendre.

Donc il faut faire des concessions aussi, si c'est comme un mariage ?

Oui, c'est comme dans un mariage (rires). Mon premier pilote s'appelle Benson Manicki, mais on a eu un accident ici, à Compiègne. Heureusement, je n'ai pas eu trop de casse, mais lui a été blessé, donc j'ai dû changer de pilote. Ici, je suis avec Oscar Denis Hawke, je le connais de longue date aussi.

Devenir un athlète de haut niveau a-t-il changé la perception des gens à votre égard ? Et dans la société kényane, vis-à-vis des personnes handicapées ?

Bien sûr, les gens me regardent différemment, par rapport à quand je faisais juste mon boulot de mécanicien et que je sortais mon vélo pour rouler. Ça m'encourage, et je pense que c'est la même chose pour les autres. Le sport peut vraiment changer votre vie. Je crois qu'en ayant montré qu'on peut le faire, d'autres voudront le faire aussi.

Justement, vous serez encore à Los Angeles. Vous ne craignez pas que des jeunes prennent votre place ?

En tout cas, j'essaierai d'y être, on m'encourage déjà à continuer. Et puis quand je vois les autres, ça me pousse aussi, comme mon ami ghanéen sur la piste (Frédérick Assor), qui était à deux doigts de raccrocher et qui m'a dit qu'il poursuivrait. Moi, je suis champion d'Afrique (sur piste), donc j'attends qu'on vienne me battre, et en attendant, je profite. Bien sûr, j'aimerais que des jeunes Kényans suivent mes pas, et pour ça, j'espère que le gouvernement va augmenter le soutien au cyclisme, parce qu'on ne peut pas faire tout ça tout seul.

Et vos enfants, ils aiment le vélo ?

J'ai trois filles. Parmi elles, Meghan a 20 ans et elle est parmi les meilleures jeunes au Kenya. Elle a déjà été en Suisse, en Égypte, elle a fait de bonnes performances. Mais elle a parfois des baisses de motivation, donc si elle avait plus de soutien, ça l'aiderait. C'est un exemple, le cyclisme pourrait aller loin ici, si nous y étions encouragés.

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