Sénégal: Quand les diplômés décomplexent l'agriculture

Dans le langage estudiantin sénégalais, "cartoucher" est un terme utilisé pour parler d'échec universitaire. Voilà comment Moustapha Diatta était perçu après qu'il a décidé de s'orienter vers l'agriculture plutôt que de suivre un parcours "bureaucratique".

Il y a six ans, alors qu'il venait de terminer son master en finances, le jeune s'est lancé dans un projet agricole à Niaguis, village de la commune de Ziguinchor dans sud du Sénégal. Un projet qui le faisait passer pour une personne ayant échoué dans ses études ou sans ambition.

"Quand j'ai démarré mes activités, les gens se moquaient de moi. Pour eux, le gars est parti faire des études et il a 'cartouché'", explique-t-il. Ce regard porté sur Moustapha est la perception de beaucoup de gens sur les étudiants qui décident de retourner à l'agriculture.

Mais, aujourd'hui, il est devenu un symbole de la révolution qui s'opère depuis quelques années. Celle de ces jeunes qui n'hésitent pas à investir dans l'agriculture après leurs études. "A un certain moment, j'ai constaté que la plupart des jeunes de ma localité, à la fin de leurs études vont vers les grandes villes à la recherche d'un lendemain meilleur ou se lancent dans l'émigration clandestine et se noient en pleine mer. Et moi, mon objectif est de montrer aux jeunes qu'on peut rester et réussir au bercail", soutient-il.

Un choix qui a payé. Huit ans après avoir démarré avec un demi-hectare sur fonds propres, il exploite une ferme qui s'étend sur 4 hectares et ne cesse de grandir. Du maraîchage à l'élevage en passant par l'arboriculture.

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La terre plutôt que l'émigration clandestine

Actuellement, Moustapha Diatta est un entrepreneur accompli. Sa ferme compte cinq employés, deux femmes et trois hommes tous âgés de moins de 35 ans, qui travaillent à temps plein. Le succès de son entreprise et son parcours font de lui, à 39 ans, une source d'inspiration pour beaucoup de jeunes en raison du succès de son entreprise. Et celui qui incarne le plus son image, c'est El Hadji Yagg Niasse.

Ce jeune diplômé en sciences économiques a décidé de se lancer dans l'agriculture après avoir été victime d'une arnaque dans une tentative d'émigration clandestine. « Après avoir terminé mes études, j'ai tenté de trouvé du travail après avoir terminé mes études. J'avais un fonds d'à peu près 3 millions et j'avais tenté d'émigrer en passant par la route du Nicaragua mais j'avais été arnaqué. » Une décision qu'il regrette aujourd'hui.

Mais sa rencontre avec Moustapha a littéralement changé sa vie. Le jeune homme ne jure désormais que par l'agriculture. «Si je savais, je n'allais pas tenter d'y aller parce que je sais qu'avec mes trois millions, si j'avais commencé par investir dans l'agriculture, je pourrais aller très, très, loin dans 5 ans, là je n'aurais pas pu aller si j'avais émigré aux Etats-Unis », dit-il.

Et il n'est pas le seul. Dans la ferme intégrée, d'autres jeunes travaillent. Il s'agit de stagiaires, la ferme en reçoit toute l'année. « Nous en avons accueillis plus d'une centaine et certains gèrent maintenant leur propres affaires, c'est une fierté quand je les vois », se réjouit M. Diatta.

L'agriculture, un secteur qui se féminise

Le retour vers l'agriculture prôné par les autorités sénégalaises séduit de plus en plus la jeunesse. Et il n'y a pas que les hommes qui sont attirés par la terre. Au Sénégal, l'agriculture est aussi un secteur qui se féminise.

Rokyatou Diao, la vingtaine, rêve de devenir entrepreneure agricole. "Je suis une fille qui rêve de créer sa propre entreprise, je veux être indépendante. Donc, là je me bats... - Pourquoi l'agriculture ? - L'agriculture parce que les jeunes d'aujourd'hui pensent que travailler dans des bureaux, dans des entreprises et devenir des secrétaires ou assistantes, c'est le plus important. Moi, je veux montrer le contraire, montrer l'innovation et être créative, entreprendre par moi-même, avoir des employés qui travaillent pour moi", dit-elle.

A l'heure où le Sénégal fait du développement agricole une priorité nationale, l'implication des jeunes semble vitale pour réussir le challenge. Et les voir investir le secteur sans complexe est perçu comme un signe positif. Avec la magie des réseaux sociaux, les entrepreneurs agricoles font tomber de plus en plus de clichés.

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