Afrique: Moustiques génétiquement modifiés et lutte contre le paludisme - Des avancées prometteuses

analyse

Chaque année, les moustiques tuent plus de personnes que n'importe quel autre animal. Selon le Rapport mondial sur le paludisme (2023), le continent africain est le plus touché par la maladie la plus mortelle transmise par les moustiques, le paludisme. L'Afrique compte 94 % des cas et 95 % des décès dans le monde.

L'un des outils envisagés dans la lutte contre le paludisme est la modification génétique. Plusieurs projets de recherche dans le monde cherchent ainsi à utiliser des moustiques génétiquement modifiés pour stopper la propagation du paludisme en Afrique. Abdoulaye Diabaté, entomologiste médical et chercheur de premier plan dans le domaine du paludisme, est au coeur de quelques-unes de ces travaux. Il nous explique comment fonctionne cette technologie et fait part de ses travaux de recherche.

Qu'est-ce qui vous a poussé à concentrer vos travaux sur le paludisme ?

Je suis né à N'Dorola, une province de l'ouest du Burkina Faso, où le paludisme revient à chaque saison des pluies. Le paludisme est endémique et toute la population risque d'être infectée. J'ai eu la chance de survivre au paludisme à l'âge de trois ans, ce qui n'a malheureusement pas été le cas de deux de mes proches cousins.

La plupart des familles africaines ont, ou connaissent, une histoire tragique liée au paludisme. La région représente une part importante du fardeau mondial du paludisme. En 2022, un demi-million de décès ont été enregistrés en Afrique, les enfants et les femmes enceintes étant les plus exposés au risque d'infection et de décès. Un enfant meurt du paludisme toutes les minutes.

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C'est l'une des principales raisons pour lesquelles je fais ce travail. Je dirige l'équipe Target Malaria, un consortium de recherche visant à réduire la population de moustiques vecteurs du paludisme en Afrique subsaharienne. Nous sommes basés à l'Institut de Recherche en Science de la Santé (IRSS), à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Nos recherches portent sur le potentiel des technologies génétiques innovantes.

Le paludisme est une maladie évitable, et pourtant de nombreuses vies continuent d'être perdues.

En quoi la technologie génétique est-elle utile pour lutter contre le paludisme ?

Il existe plus de 3 500 espèces de moustiques dans le monde , dont plus de 800 en Afrique. Parmi elles, trois espèces très proches sont responsables de la plupart des cas de paludisme : Anopheles gambiae, Anopheles coluzzii et Anopheles arabiensis.

La modification génétique des moustiques pourrait être un allié de taille dans la lutte contre le paludisme. Des technologies sont en cours de développement pour réduire le nombre de moustiques porteurs du paludisme, par exemple en les rendant moins fertiles. En diminuant la population de moustiques, nous espérons réduire la transmission du paludisme.

En 2019, notre équipe a libéré, au Burkina Faso, des moustiques mâles que nous avions génétiquement modifiés pour les rendre stériles. C'était la première fois que cela se produisait en Afrique. Les mâles stériles peuvent s'accoupler avec des femelles sauvages mais ne peuvent pas avoir de descendance. Pour ce faire, nous avons introduit un gène qui empêche l'éclosion des oeufs fécondés.

Cette mise en circulation à petite échelle n'était pas destinée à lutter contre le paludisme. Elle a constitué pour notre équipe une occasion d'apprentissage essentielle pour recueillir des informations en vue de projets futurs. Les données scientifiques que nous avons recueillies ont joué un rôle crucial dans l'avancement de nos prochaines phases.

Comment votre travail vise-t-il à réduire le paludisme ?

Mon travail se concentre sur une stratégie appelée "suppression de la population". L'objectif est de réduire suffisamment la population de moustiques du paludisme pour arrêter la transmission de la maladie.

Nous étudions différentes approches utilisant la stratégie du "gene drive" : une technique de génie génétique conçue pour augmenter la probabilité qu'un gène spécifique, ou un ensemble de gènes, soit transmis aux générations futures à un taux plus élevé que ce qui se produirait normalement dans le cadre de l'hérédité traditionnelle.

Nos travaux visent à augmenter la probabilité qu'un gène modifié soit transmis à la descendance. Normalement, les gènes ont une chance sur deux d'être hérités, mais les systèmes d'entraînement génétique pourraient porter cette chance à plus de 99 %. Cela signifie qu'au cours de plusieurs générations, un caractère sélectionné pourrait devenir de plus en plus courant au sein d'une espèce spécifique.

L'un de nos projets les plus prometteurs vise à modifier les moustiques à l'aide d'un lecteur de gènes qui rend les femelles stériles. Nous pouvons répandre cette modification dans la population cible en relâchant un petit nombre de moustiques génétiquement modifiés. Ces moustiques pourraient s'accoupler avec des moustiques sauvages, transmettant ainsi le gène modifié à leur progéniture. Les oeufs ne seront stériles que si les deux parents portent le gène modifié.

Plusieurs raisons expliquent pourquoi l'utilisation de moustiques génétiquement modifiés est plus efficace que d'autres outils de lutte contre le paludisme : la population locale n'a pas besoin de modifier son comportement, ni d'acheter du matériel, et elle ne dépend pas des systèmes de santé. Comme il s'agit d'une intervention environnementale, les moustiques se propagent d'eux-mêmes et font le travail à notre place.

Un autre projet futur sur lequel nous travaillons consiste à libérer des moustiques mâles génétiquement modifiés, non liés à un système de transmission génétique, portant un gène avec un "penchant mâle". Autrement dit, ils ont été modifiés pour produire presque uniquement une descendance mâle.

À l'avenir, nous espérons pouvoir tester notre technologie finale sur les moustiques génétiquement modifiés, en menant des essais expérimentaux sur le terrain en Afrique. Cependant, les moustiques génétiquement modifiés n'ont jamais été testés sur le terrain et ne se trouvent actuellement dans aucun de nos insectariums en Afrique.

A quel stade en sont vos recherches ?

Dans nos laboratoires en Europe, nous disposons d'un moustique à guidage génétique doté d'un gène modifié qui affecte la fertilité des femelles, qui fait actuellement l'objet d'études d'efficacité et de sécurité. Il nous faudra encore quelques années pour achever nos études. Nous demanderons ensuite aux autorités réglementaires l'autorisation de procéder à des essais expérimentaux sur le terrain.

La phase suivante la plus immédiate de notre travail au Burkina Faso est axée sur les moustiques ayant un penchant mâle non génétiquement modifié. Nous avons soumis un dossier réglementaire en vue de procéder à une mise en circulation contrôlée de cette souche sur le terrain au cours des deux prochaines années. Ces moustiques n'auront pas d'impact sur le paludisme, car ils ne seront pas porteurs de la technologie de transmission génétique et seront fertiles, mais il s'agit d'une étape d'apprentissage importante. Nous espérons que d'autres évaluations sur le terrain pourront avoir lieu au cours des cinq prochaines années.

Qu'en est-il des conséquences imprévues de l'édition de gènes ?

Au cours des cinq dernières années, Target Malaria s'est associé à l'Université du Ghana et à l'Université d'Oxford pour mener des études écologiques afin de déterminer le rôle exact d'Anopheles gambiae_ dans leurs écosystèmes et de répondre à certaines questions fondamentales : s'agit-il d'une espèce clé dans son écosystème ? Les moustiques de ce type constituent-ils un élément clé du régime alimentaire de leurs prédateurs ? Sont-ils des pollinisateurs ?

Nous n'avons pas encore publié le résultat de ce travail, mais les données recueillies indiquent que ces moustiques jouent un rôle très marginal dans l'écosystème. Rien qu'en Afrique, il existe plus de 800 espèces de moustiques. Nous prévoyons d'en cibler très peu : celles qui sont responsables de la transmission du paludisme à l'homme.

Notre objectif est d'avoir un monde sans paludisme. Nous prenons les risques très au sérieux et nous examinons toutes les éventualités dans nos évaluations des risques.

Abdoulaye Diabaté, Head of Medical Entomology and Parasitology, Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS)

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