Ile Maurice: En quête de justice

6 Septembre 2024

Le Comité des droits des personnes handicapées (CRPD) des Nations unies qui a examiné, les 26 et 27 août, le rapport soumis par Maurice sur la Convention relative à ces droits soumettra son rapport sous peu. Il a déjà recommandé que Maurice renforce ses lois contre la discrimination et adopte une approche basée sur les droits de l'homme pour le traitement des personnes handicapées. Bien que des lois importantes comme la Children's Act et la Disability Act aient été adoptées en 2021 et 2024 pour une justice plus équitable pour les enfants et personnes en situation de handicap, des lacunes persistent pour leur assurer un accès équitable à la justice.

Le procès d'Ibrahim Sorefan, qui a débuté devant la Children's Court, met en lumière les limites de notre système judiciaire à protéger pleinement les droits de ces personnes. Il souligne les défis juridiques posés par l'utilisation de la langue des signes et l'absence de provisions légales pour l'enregistrement vidéo des témoignages. Lors de l'audience du 29 août, les enfants, présumées victimes d'abus sexuels, ont été appelés à témoigner à huis clos. Étant donné qu'ils communiquent en langue des signes, un interprète était présent en cour pour traduire leurs propos aux avocats et au tribunal.

Cependant, l'avocat de la défense, Me Raouf Gulbul, a soulevé une motion cruciale : il a demandé que les témoignages des enfants soient enregistrés par vidéo, car la langue des signes n'est pas enregistrée par les moyens traditionnels, à savoir l'audio uniquement. Cette demande révèle une faille majeure dans le système judiciaire mauricien. La langue des signes n'étant pas un langage oral, elle ne peut pas être capturée par les systèmes d'enregistrement numérique utilisés dans les tribunaux mauriciens.

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Tous les procès sont enregistrés numériquement, mais cela ne concerne que les enregistrements sonores, qui sont ensuite transcrits par l'unité de transcription de la Cour suprême. Pour les sourds-muets, cela signifie que leur communication visuelle, essentielle à la compréhension de leurs témoignages, est totalement absente des archives judiciaires. La langue des signes, moyen principal de communication des témoins dans cette affaire, n'est pas reconnue par les lois mauriciennes comme une forme de témoignage valide à enregistrer.

L'exactitude des témoignages

Me Gulbul a insisté sur le fait que les signes effectués par les enfants ne pouvaient être retranscrits fidèlement sans un enregistrement vidéo. Un interprète peut traduire ces signes en paroles, mais cela implique une certaine perte de sens ou de nuance. La traduction est sujette à interprétation et dans un procès où la précision des témoignages est essentielle, cela pose un grave problème pour un procès équitable. En outre, selon l'article 10(3) de la Constitution, toute personne accusée a droit à une copie complète des actes du procès, ce qui inclut normalement les enregistrements effectués par la cour.

En l'absence d'enregistrement vidéo, ces actes sont incomplets pour les témoins sourds et muets, ce qui compromet potentiellement les droits de la défense. Pour l'avocat, cette approche est insuffisante et porte atteinte au droit à un procès équitable des deux parties, car il n'existe aucune trace fidèle des signes originaux exprimés par les enfants. Il est impossible pour la défense de vérifier la précision des interprétations sans un enregistrement vidéo des signes.

La législation mauricienne ne prévoit pas de dispositions spécifiques pour les témoignages en langue des signes. La Children's Court Act de 2020 stipule que la cour des enfants doit être une court of record, mais ce principe n'est pas respecté dans les faits, du moins pour la langue des signes. De plus, l'article 177 de la Courts Act précise que les preuves et plaidoiries doivent être enregis trées par des moyens technologiques, mais là encore, aucune disposition n'est faite pour la langue des signes.

Si la cour accepte la motion de Me Gulbul, cela poserait un défi important au système judiciaire mauricien. Les tribunaux ne sont pas équipés pour le video recording et aucune infrastructure n'a été mise en place pour sauvegarder de tels enregistrements. La mise en place d'un tel dispositif nécessiterait non seulement des changements logistiques, mais aussi des modifications légales. La Cour suprême pourrait être appelée à émettre de nouvelles directives pour permettre l'enregistrement vidéo ou des amendements législatifs pourraient être nécessaires au Parlement. Dans d'autres pays, comme les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, le Brésil ou encore l'Afrique du Sud, les témoignages en langue des signes sont souvent enregistrés par vidéo pour garantir un enregistrement fidèle et complet des témoignages. Ces enregistrements permettent de préserver les preuves visuelles et gestuelles, essentielles pour une compréhension complète des témoignages. En revanche, Maurice reste en retard sur ce plan.

Une première

Les magistrates Shefali Arékion-Ganoo et Dinya Mooloo sont désormais confrontées à une décision difficile. Si elles accèdent à cette demande, elle devront définir la manière dont les enregistrements vidéo seront réalisés, conservés et utilisés durant le procès. La magistrate Arékion-Ganoo, connue pour plusieurs jugements phares depuis qu'elle siège à la Children's Court, est aussi un membre fondateur de Charis Charitable Foundation, une organisation non gouvernementale à but non lucratif, dont l'une des missions est l'éducation et l'autonomisation des enfants et des jeunes adultes. Elle sera donc appelée à rendre le 30 septembre, une décision importante qui pourrait devenir une première historique dans le système judiciaire pour moderniser les procédures judiciaires et mieux répondre aux besoins des personnes en situation de handicap. «Ma vision est celle d'une société libérée de la pauvreté, d'enfants et de jeunes heureux qui s'épanouissent dans la vie, et de ne plus avoir de victimes de violence domestique », souligne-t-elle sur le site de Charis Charitable Foundation.

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