Il y a dix ans, un groupe d'anciennes élèves de Lorette, majoritairement de Port-Louis et certaines de Quatre-Bornes, se sont retrouvées pendant quelques jours lors de l'année de leurs 60 ans pour célébrer leur nouveau statut de «Senior citizen», rattraper le temps perdu et se remémorer leurs années scolaires, qui les ont marquées à vie.
Elles remettent ça dix ans plus tard, soit du 13 au 19 septembre, avec une série d'activités comportant un volet philantropique (voir encadré). L'occasion était trop belle pour ne pas rencontrer trois membres du comité organisateur de ces retrouvailles baptisées Loreto 70's et faire remonter à la surface leurs souvenirs.
Au-delà du fait qu'elles aient mis au point le calendrier des activités des Loreto 60's en 2014 et 70's cette année, on sent un lien d'amitié très solide et une grande complicité entre Joceline, Yolande, et Chantal.
Ce n'est pas étonnant car ces trois jeunes septuagénaires ont fait leur scolarité primaire et leur secondaire dans la même classe au Lorette de Port-Louis alors que Chantal a dû aller compléter la fin de son cycle secondaire au Lorette de Quatre-Bornes en raison de son choix de matières.
En évoquant le souvenir de ces 'années-là', leurs yeux brillent et l'excitation perce dans leurs voix, à croire qu'elles étaient redevenues des gamines en uniforme à carreaux bleu, noir et blanc, les pieds enfilés dans les fameuses chaussures Bataflex, à jouer et à chahuter dans la cour de récréation...
C'est dès le primaire en 1959 que Chantal et Joceline ont été scolarisées à Notre Dame de Lorette à Port-Louis car elles étaient toutes deux originaires de la capitale, même si par la suite, les parents de Chantal ont ouvert une boutique à Tamarin et que la famille a déménagé.
Cela n'a pas empêché Chantal, qui n'avait alors que huit ans, de poursuivre sa scolarité au Lorette de Port-Louis, même si cela signifiait pour elle d'avoir à prendre l'autobus toute seule de Tamarin à Bambous et de là, sauter dans un autre autobus pour gagner la gare Victoria à Port-Louis et emprunter sur la seule route qu'elle connaissait pour rejoindre son école, soit celle longeant le marché central.
Chantal (à dr.) et sa jeune soeur Jackie.
Joceline, dont le père était notaire, est l'avant-dernière de dix enfants. Sa famille vivait à la rue Volcy Pougnet. Elle se souvient de son premier jour d'école car elle est arrivée en retard. «Vu le nombre d'enfants dont mes parents devaient s'occuper, c'était normal que je sois en retard. Miss Clency m'a fait asseoir à l'arrière sur le seul banc de libre. J'étais décontenancée mais je n'ai pas pleuré.»
Sévère
Sa classe se trouvait à la droite du bureau de la directrice d'alors qui n'était autre que la religieuse Mère Andrée. Celle-ci savait se montrer sévère envers les élèves quand il le fallait. D'ailleurs, Joceline n'a pas oublié que cette même Mère Andrée l'a punie quand elle n'a pas su répondre à des questions en classe de catéchisme à la veille de sa première communion.
La gamine qu'elle était ne l'a pas mal pris. «J'ai été mise aux arrêts, un après-midi, dans une salle de classe. Je voyais le temps passer et personne ne venait me relever. Je crois que Mère Andrée m'avait oubliée. Comme ma maman avait fait ressemeler mes Bataflex avec du cuir, j'ai frotté mes pieds à terre pour les faire crisser lorsque j'ai aperçu, par la porte vitrée de la classe, les deux caretakers Lise et Sabine qui s'activaient. J'ai alors toqué à la porte le plus fort que je pouvais. Le bruit a attiré leur attention. Elles ont été avertir Mère Andrée et c'est ainsi que ma punition a pris fin.»
Comme il n'y avait pas de téléphone à l'époque, elle a attendu que sa maman vienne la chercher chez une amie où elle allait régulièrement et qui habitait à deux pas de l'école. Ce n'est qu'en début de soirée qu'elle a pu regagner sa maison.
Jouer avec un bras
Joceline se remémore ses parties de volley-ball avec un bras car elle a eu deux des trois nerfs de l'épaule droite déchirée à l'âge d'un an à l'issue d'une chute de sa mère qui la tenait dans ses bras. «Je ne pouvais soulever automatiquement mon bras droit. Donc, je tenais mon pain dans ma main droite et je jouais avec mon bras gauche. C'était très amusant.» Une évocation qui a suscité l'étonnement de Yolande et de Chantal qui n'avaient rien remarqué auparavant.
Joceline avoue qu'elle n'était pas une brillante élève au secondaire. «J'étais un 'katar' comme on le disait autrefois. Cela ne m'intéressait pas d'être assise sous le nez de l'institutrice. Et je n'étais pas malheureuse de faire moins bien que les autres élèves. Je préférais être à l'arrière et relever le dossier du pupitre pour chuchoter avec mes voisines.»
Elle n'a pas oublié qu'un jour qu'elle ne trouvait pas sa gomme élastique, elle s'est subitement mise à chanter à tue-tête en classe «Et v'lan ! Passe-moi l'éponge», chanson de Fernand Reynaud, qu'elle a transformée en «Et v'lan ! Passe-moi la gomme». Elle chantait si fort que la classe attenante l'a entendue. Joceline ne se souvenait pas d'avoir été punie. Or, Chantal l'affirme. «Oui, tu as été punie pour cela».
Pass it on
Joceline déclare que ce qui l'a sauvée académiquement ce sont les cours d'arithmétiques et de dictées de français que lui imposait son père en week-ends. «Cela m'a rendu service car j'ai fini par adorer les mathématiques et le français. Si bien quand l'émission 'Les chiffres et des lettres' a été stoppée, j'en ai littéralement pleuré.»
Sa Form V réussie, elle n'a pas poussé plus loin les études. Deux religieuses de Lorette qui l'ont marquée sont Mère Immaculée, qui enseignait le français dans sa classe et Sister Antonia, une Irlandaise, qui ne haussait jamais la voix et qui commençait ses 'transitions' par «By the way», recommandant toujours aux élèves de «Pass it on», soit de transmettre les valeurs reçues des soeurs de Lorette à leur entourage.
Elle n'a pas oublié non plus Miss Denise, qui enseignait le catéchisme et qui a non seulement fait grandir sa foi mais lui a aussi appris la couture et la broderie. Elle considère que les institutrices et enseignantes du Lorette de Port-Louis ont été comme des «mamans» pour leurs élèves. Joceline se réfère à la parabole évangélique du bon grain pour résumer son parcours scolaire dans une école confessionnelle. «Elles m'ont permis de tomber dans la bonne terre et de pousser. Elles m'ont construite.»
Mains tachées
Le père de Chantal était originaire de Chine. S'il a accepté que sa fille fréquente une école confessionnelle c'est parce qu'il était opposé au régime communiste en Chine et refusait que sa fille soit admise à l'école chinoise à Maurice. Alors qu'elle était en troisième et avait les mains tachées d'encre, Miss Lise, qui était toujours tirée à quatre épingles, a vu ses mains et l'a interrogée à brûle-pourpoint, lui demandant si elle ne s'était pas douchée.
«J'ai répondu par la négative car à l'époque, les Chinois ne se lavaient que le soir. Il fallait prendre de l'eau dans un seau et ramener dans la salle d'eau pour se laver. Le matin, on ne faisait pas cela. J'ai été punie et j'ai dû me mettre debout jusqu'à la fin de la classe.» Si Chantal avoue lui avoir tenue rigueur pendant longtemps, elle lui a tout pardonné lorsqu'elle l'a revue des années plus tard lors d'une fête et son ancienne institutrice était alors devenue septuagénaire.
Le baptême
Chantal était très gênée en classe car elle était obligée de se mettre debout tous les jours quand Mère Andrée y entrait pour recenser le nombre d'élèves qui n'étaient pas baptisées. «Nous étions deux à nous mettre debout. Un jour, Mère Andrée a demandé à voir papa. Je lui ai transmis le message. 'Vinn get li ? Ki pou fer ?», s'est enquis son père.
Elle le lui a expliqué. Comme il n'avait pas le temps d'aller à Port-Louis, pour en finir, il a donné son accord en disant : «Ale, batize, batize !» C'est son institutrice, Miss Nadège qui a été sa marraine. Celle-ci, avec qui Chantal est toujours en contact, a 96 ans et vit en Australie.
Plus tard, les parents de Chantal ont aussi pris le baptême. Chantal et son amie Marie-Ange, ont obtenu la petite bourse et étaient de facto éligibles pour l'admission au Queen Elisabeth College (QEC). Lorsqu'elles ont été dire au revoir à Mère Andrée, celle-ci les a réprimandées, les traitant d'ingrates.
«Elle ne pouvait concevoir comment, après un aussi bon encadrement et un excellent résultat en fin de cycle primaire, et cela, grâce aux institutrices de l'école et à elle, que nous ayons opté pour le QEC. Elle nous a tellement grondées qu'en sortant de l'établissement, Marie-Ange et moi avions mauvaise conscience.
Nous avons discuté en marchant et subitement, nous avons pris la décision de rester au Lorette. Je ne le regrette pas car j'ai fait la différence entre l'encadrement des Lorette et celui du QEC où ma fille a été admise. Chez Les Lorette, on développe l'être humain de façon intégrale. Au QEC, c'est le côté académique qui prime et la compétition.
Ce faisant, les élèves passent à côté de certaines valeurs de la vie et deviennent très sélectives dans leur façon de faire. Dans leur tête, il faut toujours être meilleures en tout alors que chez les filles de Lorette, on accepte les autres tels qu'ils sont, et ce faisant, ils nous rendent meilleures», précise Chantal, qui n'a pas oublié comment plusieurs filles de sa classe étaient aux petits soins avec elle chaque mois car elle souffrait de dysménorrhée.
Premier enseignant homme
Plusieurs institutrices et enseignantes l'ont marquée, notamment Sister Catherine, une Irlandaise bâtie comme un homme et qui avait l'oeil à tout et un enseignant homme, l'un des tout premiers à intégrer le Lorette de Port-Louis. Coquine, Chantal raconte comment cet enseignant portait un pantalon taille basse. Quand il allait au tableau, les filles rigolaient derrière son dos. «On n'avait pas l'habitude d'avoir des hommes à l'école.»
Comparer les environnements
Yolande est née dans une famille de boutiquiers établie à Mon Loisir. Elle est la quatrième de huit enfants. Elle a d'abord fréquenté l'école Pellevoisin R.C.A jusqu'en quatrième et de là, ses parents l'ont fait intégrer l'école du gouvernement de Rivière-du-Rempart. Elle a pu comparer les deux environnements. Dans ce dernier établissement, elle a subi l'intimidation d'un instituteur et en a perdu le sommeil pendant un certain temps.
En standard VI, cela allait mieux car les frères Papin, qui y enseignaient, étaient des 'faiseurs de boursiers'. Si Yolande n'a pas eu la petite bourse, elle a été bien classée au point d'obtenir l'admission au QEC.
Sauf qu'en allant faire des démarches pour entamer son cycle secondaire dans ce collège, la rectrice l'a trouvée trop jeune et a demandé qu'elle refasse sa classe de primaire et puis qu'elle vienne au QEC.
«Cela a eu l'effet inverse sur moi car refaire ma classe était comme une punition. J'ai dégringolé et au final, je n'ai pas eu d'autre choix que d'aller au Lorette de Port-Louis», relate-t-elle. Si au départ, intégrer cette école était une déception, l'univers du Lorette de Port-Louis a fini par conquérir son coeur. «J'étais une élève moyenne mais assidue.»
Discuter de tout
Trois enseignantes l'ont marquée, Melle Thérèse qui animait la classe de morale, Mme Suzette qui enseignait le français et qui dit-elle, avait «un grand charisme», et Mrs Verna «qui m'a fait aimer la littérature et les poèmes. Elle était adorable. On allait chez elle. C'était des enseignantes qui nous mettaient à l'aise et avec qui on pouvait discuter de tout.» Yolande a beaucoup aimé Mère Antonia, qui voulait à tout prix qu'elle se fasse religieuse. «Quand je l'ai dit à ma mère, elle était ravie car elle voulait qu'une de ses six filles soit religieuse. Mais cela ne s'est pas fait !»
Après ses années de secondaire, Joceline a eu une carrière longue de 24 ans comme réceptionniste à WEAL House. Yolande a démarré la sienne à St Félix, puis l'a continuée à Rogers avant de passer 30 ans dans l'aviation chez Air France. Chantal a exercé plusieurs petits boulots avant d'être représentante médicale chez Medical Trading pendant 23 ans.
Les valeurs qu'elles ont retenues des Lorettes sont celles de la solidarité et de l'entraide, Yolande se rappelant d'ailleurs comment les religieuses acceptaient des élèves qui n'avaient pas les moyens de payer les frais de scolarité car l'école était payante à l'époque. Chantal elle, parle de débrouillardise. «Même si les élèves m'appelait Piti Tamarin ou Piti la campagne, les religieuses et enseignantes m'ont appris à être débrouillarde.»
D'ailleurs, se remémore-t-elle, quand elle a accepté, à 18 ans, d'épouser son enseignant de leçons particulières, Noël Chung, de 14 ans son aîné, Mère du Rosaire, qui était la directrice du Couvent de Quatre-Bornes à l'époque, l'a déconseillée de le faire car elle la trouvait trop jeune. Chantal a tenu tête car elle était amoureuse et voulait se marier.
«Quand Noël est mort subitement à 43 ans, je me suis retrouvée seule, femme au foyer, avec trois enfants de dix, six et trois ans à élever. Mère du Rosaire m'a téléphoné et m'a dit ceci : 'quand un papa meurt, la maman peut élever seule ses enfants. Quand une maman meurt, c'est plus difficile pour un papa de le faire.' Cela a été une autre leçon que m'a apprise Mère du Rosaire : celle d'avoir confiance en moi et d'assumer mon rôle de mère monoparentale.»
Le mot de la fin est revenu à Joceline, qui en connaît un rayon en termes de répertoire musical. Reprenant à son compte la chanson «Chez Laurette» de Michel Delpech, elle a détourné le refrain en : «C'était bien chez Lorette, c'était bien, c'était chouette...»
Les activités du Loreto 70's
Les activités du Loreto 70's démarrent le 13 septembre avec une messe célébrée par le père Georges Cheung à la chapelle du Lorette de Port-Louis. Après une photo de groupe et le verre de l'amitié, le comité organisateur a prévu un 'Ti pouri party' sous la varangue de l'école, avec l'accord de la directrice.
Parmi les autres activités prévues, il y a une journée écolo, un séjour à la mer, une demi-journée de retraite au Centre Mary Ward, une visite à l'Unité des Soins Palliatifs Mère Marie-Augustine à Curepipe, suivie d'une causerie animée par Pierre Ah-Fat, une visite philanthropique à une association féminine encadrée par les sœurs de Lorette, qui vise à autonomiser les femmes de l'association.
«By the way», comme l'aurait dit Sister Antonia, les ex-Loreto Girls 70's de la diaspora mauricienne venant notamment du Canada, des États-Unis, de l'Angleterre, de la France, de l'Australie et de Rodrigues se joindront aux activités, en grand nombre, avec leurs conjoints, pour partager ces moments inoubliables ensemble. Une deuxième messe est prévue en octobre pour clôturer les activités, qui renforceront sans nul doute, cette amitié de longue date.