Il y travaillait depuis 1991 jusqu'à ce mardi 4 septembre. Manoj Ramtohul, 60 ans, est un habitant de Ste-Croix qui était jusque-là marsan minn dans l'un des étals du Ruisseau du Pouce. Cette semaine, il n'a quasiment pas dormi car il a assisté, impuissant, à la destruction par la municipalité de Port-Louis de ce site qui abritait tant de souvenirs de ses années de dur labeur, de sacrifices, mais aussi de camaraderies de presque toute une vie.
«Mo ti pe travay dan enn ti trisik kouma marsan ambulan ziska minisipalite donn nou enn plas isi, dir nou travay pou de bon an 91. Pa ti ena mem sa bann gran gran batiman-la kan nou ti fek koumans travay isi. Sa lepok-la ek zis 500 roupi ti pe peye ziska dernierman met zafer lakour.» Rongé par la douleur et le sentiment d'être incompris, écrasé par l'incapacité d'agir mais se voulant de bonne foi, l'homme peine à contenir ses émotions. C'est en larmes qu'il s'exprimera, là où nous l'avons rencontré, dans un coin du Jardin de la Compagnie, au beau milieu des feuilles de tôles éparpillées et autres débris qui jonchent le sol.
Ce sont là les restes de leurs étals, à ses camarades marchands et lui. «Mo pann reisi al lekol ek mo pa konn lir. Mo pa pou dir ki monn arive parski ou ankor trouv mwa la. Me selma ek sa travay-la monn reisi fer mo zanfan aprann gagn enn degre ek azordi li dan enn bon plas travay. Mwa, zame mo pann refiz travay, me get zordi... depi 3 zour mo pa dormi. Ki mo pu dir ou... se lavi !»
Comme Manoj, ils sont 27 commerçants à avoir vu leur vie basculer lorsqu'ils ont compris qu'ils devraient quitter l'endroit où ils se rendaient quotidiennement pour gagner leur vie. La raison évoquée par les autorités : leur propre sécurité. En effet, à chaque grosse averse, il n'est plus un secret que Port-Louis est inondée et que les environs du Ruisseau du Pouce sont les plus touchés, voire noyés.
Mais revenons-en à nos marchands. Si au début de ce litige ils étaient plus nombreux, c'est parce que certains ont entretemps été relogés à la Gare du Nord, tandis que ceux restants refusent la proposition qui leur a été faite d'être relogés au Victoria Urban Terminal (VUT). La raison : le manque de visibilité des nouveaux locaux, la perte de clientèle, l'espace restreint et les frais jugés trop onéreux pour de «simples» commerçants. Selon notre interlocuteur, il n'est absolument pas question de faire les difficiles, mais certaines conditions ne peuvent être acceptées par ses collègues et lui.
Pour appuyer ses dires, Manoj raconte avoir fait lui-même l'expérience du nouvel emplacement au VUT. «Monn al travay laba enn an. Mo ti enn dimounn en bonn sante me mo finn fini par fer enn atak laba a fors monn strese. Ou pena laplas mem pou bouze ale-vini. Si ena misie madam travay ansam, bizin frot frote telma lokal-la tipti. Pena mem plas pou met enn levye ni enn lavabo ek tou fre ki nou oblize peye extra ser. Ou fer profi ou pa fer ou bizin pey tou laba.» Pour ce père de famille, avec deux employées à sa charge, l'avenir est incertain.
Comme la trentaine de commerçants laissés sur la touche, Manoj demande au lordmaire de trouver un arrangement, si ce n'est qu'agrandir les locaux qu'on leur propose au VUT, pour qu'ils puissent «au moins y placer un réfrigérateur». Désormais, ces 27 «petits travailleurs» ont le sentiment d'avoir été trahis par la mairie qui n'aurait pas arrêté de leur dire à chaque rencontre et demande de délais : «Ok, ok travay travay, nou get sa apre.» Manoj rappelle que «zot finn vinn kas partou lendime mem, aswar...»
La rédaction a tenté de joindre le lord-maire à plusieurs reprises durant la semaine. À vendredi, nos appels étaient restés sans réponse.