La question que bon nombre de citoyens se posent aujourd’hui, et à bien des égards, est celle de savoir si finalement l’alternance du 24 mars 2024 n’aura pas été qu’un piège sordide.
Il est vrai que la tournure prise ces dernières 48h au Sénégal, avec le vote de rejet de la loi portant dissolution du Conseil économique social et environnemental (CESE) et celle du Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) par l’Assemblée nationale par 83 voix contre 80, et le débat qui l’a précédé, montre en effet qu’il ya un vice dans le système politique sénégalais.
Le pouvoir en place élu à 54,28% des électeurs, fait face à la coalition Benno Bokk Yaakaar, dont le candidat avait été battu lors de la présidentielle, et qui dispose à l’Assemblée nationale d’une majorité absolue, décidée à s’opposer à la réalisation d’une des promesses de campagne du Président Bassirou Faye et de remettre en question sa légitimité acquise.
Cette situation n’aurait en effet pas pu se produire, si le candidat Macky Sall, élu en 2012 sur la base entre autres de sa promesse de réduire son mandat, qui était alors de 7 ans à 5 ans, avait respecté celle-ci. Peut-être à sa décharge, on peut lui concéder que le Conseil Constitutionnel, juge des élections le lui avait refusé, dans un avis resté célèbre.
Cela aurait pu, en effet, éviter que le mandat des députés déborde celui du président, qui restent tous deux investis de la légitimité du suffrage universel. Quoique certains pensent le contraire avec un argument non moins pertinent , prévu par la constitution, qui voudrait que le Président ne puisse dissoudre l’assemblée nationale que deux ans après son entrée en fonction, afin de préserver l’équilibre des pouvoirs conférés à la fois au Président, celui de dissoudre l’Assemblée nationale, et à ceux de l’Assemblée de renverser le gouvernement nouvellement installé à travers une motion de censure, qui faut-il le rappeler, requiert son portage par 1/10ème des députés et son vote à la majorité absolue des membres de l’Assemblée pour arriver à ses fins.
On le voit, le texte Constitutionnel veut dans ses dispositions assurer un équilibre des pouvoirs des deux institutions pour éviter les abus. Dans le cas de figure où l’on se trouve au Sénégal, la coalition Benno Bokk Yaakar, après avoir voté contre le projet de loi portant dissolution des deux institutions précitées, a dans la foulée déposé une motion de censure pour renverser le gouvernement, en usant de sa majorité au Parlement.
En voulant faire d’une pierre deux coups, opposer un vote négatif au projet de loi de dissolution du HCCT et du CESE, et faire venir le premier ministre Ousmane Sonko devant elle, pour lui signifier le renversement de son gouvernement. L’assemblée semble s’inscrire dans une logique de revanche. Il faut préciser, le premier ministre Ousmane Sonko avait opposé un refus catégorique de se présenter devant l’Assemblée nationale pour faire sa déclaration de Politique générale (DPG), telle que prévue par la Constitution, mais qui cependant ne lui fixait pas un délai.
La raison évoquée était, que le règlement intérieur de l’Assemblée était un faux règlement intérieur que les députés de la majorité BBY avait « tripatouillé ». Un tel règlement ne prévoyait pas le passage du 1er ministre, dont la fonction elle-même avait été supprimée du Règlement intérieur, lorsque l’ancien Président Macky Sall avait supprimé le poste. Aujourd’hui cette anomalie est corrigée et le nouveau texte publié, rien ne s’oppose donc, selon les députés de BBY que la DPG se fasse, sauf que les délais sont courts, au regard de l’avis du Conseil constitutionnel qui donne droit au Président Bassirou Diomaye Faye, de dissoudre l’Assemblée nationale ce 15 Septembre 2024.
Nous sommes en plein dans un imbroglio, car le président de la République vient de signer un décret pour mettre fin aux fonctions des Présidents des deux Institutions pour lesquelles l’Assemblée avait rejeté la loi portant leur dissolution ce 03 septembre. Lui aussi rendant coup par coup, a pris un décret pour convoquer l’Assemblée nationale en session extraordinaire, et en a fixé l’ordre du jour, comme l’y autorisent l’art 84 de la Constitution et l’Art 5 alinéa 3 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. A y regarder de plus près, la quasi simultanéité des deux initiatives signifie tout simplement qu’on va vers la dissolution de l’Assemblée. Une question de jours me dira -t-on.
Il y a fort à parier qu’on va vers un référendum ou/ et des élections législatives pour remettre le jeu institutionnel à l’endroit, étant entendu que la volonté du pouvoir en place est de gouverner avec une majorité qui lui est favorable, pour engager les réformes promises aux sénégalais.
Au terme de ce feuilleton juridico politique, l’on s’achemine vers un processus électoral qui sera très complexe, sur fond de recomposition politique, et qui, sans doute, mettra sur la touche un pan entier du personnel politique.
Il y a par ailleurs, une forte probabilité pour le pouvoir en place de recourir au référendum pour réformer la Constitution, car il ne faut pas l’oublier, dans le programme de campagne du Président Bassirou Diomaye Faye la création d’un poste de Vice – Président avait été annoncée et nulle part se manifeste une volonté d’y renoncer. Mieux, le duo qu’il constitue avec son 1er ministre laisse croire, au regard des prérogatives conférées à ce dernier, qu’on s’oriente vers ce schéma institutionnel qui n’est possible que par une réforme constitutionnelle ; par conséquent une nouvelle République se profile à l’horizon.
La perspective reste en tout cas ouverte et nul doute que le Conseil constitutionnel aura encore un rôle à jouer dans le processus menant vers les élections législatives.