Libye: Un an après la catastrophe de Derna, une tragédie entourée de controverses

Derna, en Libye, après le passage de la tempête Daniel, le 19 septembre 2023.

Il y a un an, dans la nuit du 10 au 11 septembre, de violentes inondations suivies de la rupture de deux barrages ont dévasté la ville de Derna située à l'est de la Libye. Ainsi, des milliers d'habitants de la ville ont à jamais disparu. Il y a eu plus de 40 000 déplacés selon l'ONU. Des milliers de maisons ont été détruites ou endommagées. L'ampleur des destructions et du bilan humain est toujours indéterminé. La catastrophe de Derna a révélé la vétusté des infrastructures et l'étendue de la corruption dans un pays pourtant riche en pétrole. Retour sur cette catastrophe.

Un an après la catastrophe, l'enquête judiciaire piétine. Le budget alloué à l'entretien de deux barrages dominant la ville a été détourné, mais le procureur général libyen, en établissant la chaîne de responsabilité, n'est jamais remonté plus haut que le maire de Derna. Douze fonctionnaires travaillant à la mairie de la ville, à la structure de gestion de l'eau et des barrages ou à la banque centrale ont été jugés et écopent depuis janvier dernier de peines de prison allant de 9 à 27 ans.

Quant au nombre de victimes, il suscite toujours la controverse. Aucun bilan officiel n'a été établi. Les autorités de l'est libyen ont voulu minimiser les chiffres. Près de 5 000 corps ont été identifiés et enterrés, 10 000 personnes manquent toujours à l'appel. Leurs proches ont déposé leur ADN pour la recherche. Un nombre inconnu de migrants ou de réfugiés politiques figurent également parmi les victimes. Selon les estimations des experts libyens, le bilan pourrait en fait se situer entre 14 000 et 24 000 morts.

En mars 2024, Amnesty a dénoncé la mauvaise gestion du sinistre par les deux autorités rivales. Au lendemain de la crise, note Amnesty, les autorités ont utilisé « des tactiques brutales bien rodées pour étouffer la contestation et restreindre les activités de la société civile et de la presse indépendantes ».

La reconstruction de Derna comme moyen de dominer

Peu après la catastrophe en septembre 2023, le gouvernement de l'est libyen et l'armée nationale libyenne ont appelé à un Forum international à Benghazi pour la reconstruction de Derna. Forum finalement décalé à novembre. Une dizaine de pays avaient alors participé.

En janvier dernier, le chef du Parlement libyen a annoncé la création du Fonds de développement et de reconstruction de la Libye, qui remplaçait le comité ministériel pour la reconstruction de Derna, mis en place immédiatement après la catastrophe. Le chef du Parlement, Aguila Saleh a alloué en février dernier à ce fonds de reconstruction l'équivalent en dinars de 2 milliards d'euros.

Ce fonds a été confié à l'un des six fils du maréchal Khalifa Haftar, Belqasim, non impliqué dans des activités militaires comme deux de ses frères. Ce docteur en économie a toujours voulu montrer une face pacifique du clan Haftar, se concentrant sur les activités économiques et les projets concernant les jeunes et le sport.

Accroître l'influence et la richesse du clan Haftar

« C'est un chèque en blanc », protestent des experts libyens, qui considèrent qu'en l'absence de contrôle, il n'y aura pas de transparence sur le coût réel de la reconstruction, ni sur la qualité de cette reconstruction. Pour ces experts, le projet est « opaque et pourrait dissimuler un possible abus de fonds publics. »

Encore meurtrie, Derna, qui comptait 120 000 habitants avant la catastrophe, est devenue un chantier gigantesque, où les projets avancent à grande vitesse sous la houlette de la famille Haftar et grâce à des entreprises et à des milliers de mains d'oeuvres égyptiennes très bon marché. Le travail se déroule jour et nuit. Tout sera reconstruit avant décembre prochain, affirment des personnes impliquées dans les projets.

Belqasim Haftar se vante de la rapidité de la reconstruction et affirme avoir réalisé un taux d'achèvement de 70 % des projets en cours à Derna. 3 500 logements sont reconstruits ainsi que plusieurs écoles et de multiples infrastructures. La rapide reconstruction à Derna s'est transformée en manne d'or pour le clan Haftar de plus en plus puissant financièrement comme militairement et ne renonçant pas à vouloir devenir le maître de la Libye.

Pour plusieurs observateurs, le fonds de reconstruction de Derna ne constitue pas uniquement une manne financière pour l'est, mais aussi et surtout une influence politique : « Chaque brique posée à Derna est un tremplin pour le plan de succession de Haftar », commente Anas al-Gomati, directeur de Sadeq Institute.

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