Quelle devrait être votre indemnisation si le procureur de la Cour pénale internationale décidait soudain d'arrêter les poursuites contre vous ? Maxime Mokom pense qu'environ 3,5 millions d'euros pour lui et sa famille seraient suffisants. D'où l'audience du 9 septembre. Qui s'est transformée en séance emblématique de la façon dont, dans une cour internationale, personne n'assume la responsabilité d'un échec.
En octobre de l'année dernière, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) annonce soudain qu'il retire toutes les charges contre Maxime Mokom, ancien ministre du Désarmement en République centrafricaine (RCA). Il le fait dès l'audience de confirmation des charges, avant que les juges n'aient eu l'occasion de dire oui ou non à l'opportunité d'un procès. À l'époque, nous avions écrit « Mokom a été libéré de prison ». Mais les détails qui viennent d'être révélés dans le cadre de la demande d'indemnisation de Mokom montrent à quel point le parcours de sortie de l'unité de détention de Scheveningen peut être tortueux.
Les documents disponibles sur le site de la Cour ont été expurgés au maximum pour s'assurer qu'il n'y ait aucune indication sur l'endroit où Mokom a essayé d'aller, où il se trouve maintenant, ou même où se trouve sa famille. Les courriels détaillés qui ont été échangés constituent pourtant huit annexes distinctes. Dans un échange surréaliste, il est question de savoir qui doit monter dans la voiture pour se rendre à l'hôtel où Mokom est détenu.
Mokom n'a pas été initialement « jeté sur la route » par la CPI, comme Mokom lui-même l'a dit à la Cour, mais il a été placé dans une « fiction juridique », comme l'a décrit le représentant du greffe Marc Dubuisson, connue sous le nom de « bulle de la CPI ». C'est ainsi qu'une personne qui doit quitter la prison, sur ordre de la Cour, est prise en charge par la même Cour parce qu'il n'y a pas d'État où l'ancien détenu peut se rendre.
La « fiction juridique », souligne Dubuisson, est qu'une chambre d'hôtel fait, en réalité, partie de la CPI. Personne - sauf, comme dans le cas présent, le pays d'origine - ne veut généralement d'un ancien détenu international. Il est donc coincé dans un vide juridique qui l'empêche de se soumettre aux règles de l'État hôte, les Pays-Bas, qui pourrait l'arrêter en tant qu'immigré clandestin arrivé dans le pays sans papiers.
Il reste donc dans cette bulle, tandis que le tribunal tente de lui trouver un nouveau foyer. Mokom avait été jugé par contumace en RCA et condamné à la prison à vie ou aux travaux forcés, selon les sources. Bangui n'est donc pas une option.
Mokom identifie ses malfaiteurs
Mokom invoque une « négligence du parquet, de la justice et de l'administration », rappelle la présidente Miatta Maria Samba. Elle dirige ce qu'on appelle la « Chambre ad hoc article 85 », qui tire son nom de la disposition spécifique du Statut de Rome de la CPI régissant l'indemnisation en cas d'arrestation injustifiée. Cette disposition stipule que « toute personne victime d'une arrestation ou d'une détention illégale a un droit exécutoire à être indemnisée ».
Samba est entourée des juges Keebong Paek et Beti Hohler. Hohler travaille au tribunal depuis de nombreuses années, mais n'a été élue juge que récemment. Paek fait également partie de la nouvelle cohorte de juges de première instance, qui ont prêté serment en mars dernier.
Le juge Samba résume la demande de Mokom et les trois motifs qu'elle comporte. Le premier est qu'il a été la cible de poursuites injustifiées en raison du fait que le Bureau du procureur n'a pas reconnu ou identifié les preuves à décharge. Deuxièmement, Mokom allègue que la Chambre préliminaire et la Chambre d'appel n'ont pas rendu de décision en temps utile - à deux reprises - ce qui lui a causé un préjudice irréparable.
Enfin, sur le plan administratif, il allègue qu'il a fait l'objet d'une détention illégale par deux fois : entre le jour de sa demande de mise en liberté provisoire, le 14 novembre 2022, et sa libération effective en octobre 2023, période pendant laquelle il n'a pas bénéficié de mise en liberté provisoire parce qu'aucun État n'était disposé à la faciliter ; puis lorsqu'il a été confiné dans un hôtel après la clôture de la procédure.
Mokom demande 2 850 000 euros d'indemnisation pour lui-même et 500 000 euros supplémentaires pour le préjudice causé à sa famille.
L'histoire de la procédure est longue et détaillée sur la période entre le retrait des charges et le départ de Mokom vers une destination non divulguée. Mais certains points essentiels apparaissent au cours de cette journée d'audience du 9 septembre. Il a passé 43 jours dans un hôtel. Ses déplacements ont été restreints. Tout le monde - juges, greffiers et juristes - peut-être même les États concernés, même s'ils ne comparaissent pas devant le tribunal, estime avoir fait son travail. Mais rien dans le règlement de la Cour ne permet de gérer correctement une telle situation. De plus, l'accord conclu entre les Pays-Bas et la Cour sur le déplacement des témoins et des détenus ne prévoit pas pleinement ce qui se passait alors.
Qui a été informé de quoi et quand, pourquoi les avocats de Mokom n'ont pas été pleinement informés, qu'est-ce que le greffe a dit à l'État hôte et vice-versa, tout cela fait partie du litige entre les parties - mais tout est caviardé.
Les tribunaux internationaux peuvent-ils fonctionner correctement ?
Alors pourquoi rendre compte de cette audience alors qu'elle s'appuie sur une documentation limitée et qu'elle se déroule souvent à huis clos ?
Parce qu'elle est emblématique des nombreux problèmes auxquels la CPI est confrontée, où les affaires prennent trop de temps à être portées devant les juges, où les détenus sont arrêtés longtemps après les crimes présumés, où les procédures - dans le cas de Mokom, par exemple, le choix de son avocat - sont fastidieuses, et que c'est instructif pour savoir si ces tribunaux internationaux sont en fait capables de bien fonctionner. Philippe Larochelle, l'avocat de Mokom, qualifie la Cour d'« handicapée », dans la mesure où elle ne peut pas remplir ce qu'il décrit comme « les fonctions normales d'un tribunal pénal ».
En ce qui concerne le dossier contre son client, Larochelle qualifie le travail du procureur en RCA de « très peu fiable » car, dit-il, il « travaille main dans la main avec l'un des régimes les plus corrompus de la planète ». Le fruit de cette proximité avec le président du pays, connu comme « le soleil » en RCA, affirme Larochelle, est que « le procureur est aveuglé par le soleil ». Si le bureau du procureur s'en prend au président russe Vladimir Poutine et qu'il essaie de s'en prendre au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, « j'espère que ces mandats sont plus solides que ceux qu'ils avaient pour Mokom, sinon ils auront des problèmes bien plus graves », déclare-t-il à la Cour.
Larochelle passe également une grande partie du temps qui lui est imparti à critiquer la décision du procureur de retirer les charges. S'il y avait des preuves à décharge parmi les plus de 30 000 documents divulgués à la défense, pourquoi leur a-t-il fallu cinq ans pour s'en rendre compte, demande-t-il. Il brandit le code de conduite du Bureau du Procureur et en cite de larges extraits relatifs à l'« équité ».
« De bonne foi »
Helen Brady, procureure en appel, rétorque que l'équipe de Mokom était manifestement « plus que capable d'analyser elle-même les documents » et que Mokom a bénéficié d'une « défense solide et préparée ». Mais le niveau de preuve pour un mandat d'arrêt, et celui pour une audience de confirmation, est différent de celui permettant de remporter un procès, plaide-t-elle.
La décision de classer l'affaire était une évaluation « prospective », précise-t-elle, prise « en toute bonne foi » parce que, comme l'avait alors indiqué le procureur, plusieurs témoins - des témoins dit « de l'intérieur » - n'étaient plus disponibles. De plus amples informations sur les questions de coopération, d'enquête et de stratégie du procureur ne vont pas être communiquées car elles sont « protégées » et ne sont pas exigées par le tribunal, ajoute-t-elle. Elle reconnaît toutefois que la divulgation de documents à la défense par son bureau « n'avait pas été parfaite ».
Pour le greffe, Dubuisson déclare qu'il n'est pas clair sur quelle base exactement Mokom se plaint à la Cour. L'article 85, souligne-t-il, ne traite pas uniquement de l'indemnisation en cas d'arrestation injustifiée. Dans son troisième paragraphe, il fait référence à des « circonstances exceptionnelles, lorsque la Cour constate des faits concluants montrant qu'il y a eu une erreur judiciaire grave et manifeste ».
Pour Dubuisson, il n'y a aucune raison d'accorder une indemnisation sur la base de l'un ou l'autre de ces critères. Il décrit plutôt les efforts déployés par le greffe pour trouver une solution, mais « on ne peut pas demander au greffe de contacter indéfiniment les États ». Les juges de la Chambre préliminaire avaient eux-mêmes décidé que « cela devait finir par prendre fin », rappelle-t-il.
Mokom s'adresse en personne à la Cour. Il explique que sa liberté de mouvement est restreinte parce qu'il demande l'asile dans un État non divulgué. « Je souffre moralement et physiquement », déclare-t-il. Il décrit également comment le greffe de la CPI a placardé de grandes affiches annonçant son audience de confirmation des charges en République centrafricaine, « suggérant que mes charges seraient confirmées ». Aujourd'hui, ces allégations lui « collent à la peau », dit-il. « Je suis un grand criminel centrafricain », cela « ne me quittera jamais. »
« Le tribunal a ruiné la vie de cet homme », conclut Larochelle.