Burkina Faso: Trafic de bois d'oeuvre dans le Kénédougou - Des abattages à grande échelle dans l'ombre de l'insécurité

10 Septembre 2024

Le trafic de bois d'oeuvre est une pratique courante dans la province du Kénédogou, région des Hauts-Bassins, précisément dans des villages frontaliers avec le Mali. Le phénomène a pris de l'ampleur avec la situation sécuritaire qui a occasionné le départ des agents forestiers de certaines localités de la province. L'insécurité a donc laissé une porte ouverte à une exploitation anarchique et frauduleuse des espèces d'arbres protégés à Koloko et à Samorogouan. Enquête !

A Koloko, une commune frontalière située à 50 km de Orodara, chef-lieu de la province du Kénédougou (région des Hauts-Bassins), se tient, tous les lundis, un important marché où Maliens et Burkinabè se rencontrent pour des échanges commerciaux. A l'ombre de ces échanges et loin des étals, se développe un trafic illégal de bois d'oeuvre dans plusieurs localités de la province frontalière.

Le 30 mai 2024, des agents forestiers en poste à Samorogouan, une commune rurale au nord de la province, ont intercepté des trafiquants de bois d'oeuvre dans la forêt à cheval entre le village de Soungalobougou (commune de Samorogouan) et celui de Zitonosso (commune de Koloko). Au terme de cette opération, deux trafiquants arrêtés, deux tronçonneuses saisies et une importante quantité de bois récupérés, composée de Bombax Costatum (kapokier rouge), de Pterocarpus erinaceus (Vêne) et de Erythrophleun africanum (bois noir d'Afrique).

« C'est sur la base des renseignements que nous avons pu mettre la main sur ces deux trafiquants », note le chef du service départemental de l'environnement de Samorogouan, Issiaka Dioulgou. Les deux trafiquants, selon M. Dioulgou, ont été conduits à la police pour une garde à vue de 48 heures puis ramenés au service de l'environnement pour audition.

Ceux-ci se sont vus infliger une amende de 500 000 F CFA chacun, avant de recouvrer la liberté. Aux dires d'un forestier (qui a requis l'anonymat), ce cas est un exemple parmi tant d'autres, car, la commune de Koloko serait une plaque tournante pour les trafiquants de bois d'oeuvre du fait de sa proximité avec le Mali. Mais, il n'y a pas que Koloko qui vit ce phénomène.

En avril 2022, une mission conjointe de la direction régionale de l'environnement, de l'énergie, de l'eau et de l'assainissement des Hauts-Bassins et du Conseil régional des Hauts-Bassins a pris, en flagrant délit, quatre individus à Tèmètèmèsso dans la commune de Morolaba, en pleine coupe de bois composé de plusieurs espèces protégés (Bombax Costatum, Combretum nigricans, Detarium microcarpus, Hexalobus monopetalus, Hollarrena floribunda et Pterocarpus erinaceus). Les trafiquants ont été conduits à Bobo-Dioulasso et leurs matériels de travail confisqués. Ils ont été verbalisés à 2 millions F CFA.

Cette opération a pu être menée à la suite d'une information reçue par la direction régionale en charge de l'environnement, émanant du Conseil régional des Hauts-Bassins. C'est alors qu'une mission conjointe a été aussitôt dépêchée sur le terrain par les deux structures pour vérifier les faits. Sur les lieux, la mission a constaté « avec désolation » des souches d'arbres, des branches et les copeaux de bois parsemés sur le sol.

582 procès-verbaux d'interpellation

Au total, 69 arbres ont été abattus. Afin de mettre la main sur les éventuels auteurs de ces deux dégâts, la mission a dû faire le gué toute la nuit.

De 2018 à 2023 (5 ans), les statistiques des services de la direction provinciale en charge de l'environnement font état de 582 procès-verbaux d'interpellation en matière de coupe illégale de bois au Kénédougou. Le bois le plus prisé par ces trafiquants est entre autres, le Parkia Biglobosia (néré), Khaya Senegalensis (Cailcedrat), le Moghoni afaginea (feuilles de lièvres), le Bombax costatum (Kapokier) et le Pterocapus erinaceus (bois d'ébène ou bois rose). Pourtant, précise la directrice provinciale en charge de l'environnement, le lieutenant-colonel des eaux et forêts, Lucie Zongo, toute exploitation illégale et frauduleuse de bois est interdite par la loi. Le Burkina Faso, ajoute-t-elle, a ratifié, en effet, la convention CITES qui, à l'annexe III interdit l'exploitation de bois d'oeuvre.

Elle ajoute que la loi 003-2011/AN du 05 avril 2011 portant Code forestier au Burkina Faso et en son article 44 dispose que « certaines espèces forestières en raison de leur intérêt ethnobotanique spécifique ou des risques de disparition qui les menacent, bénéficient de mesures de protection particulière. Leur liste est déterminée par arrêté du ministre chargé des forêts ».

La même loi, en son article 265 stipule que « Toute infraction est punie d'un emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d'une amende de 10 000 F CFA à 2 000 000 F CFA ou de l'une de ces deux peines pour ceux qui procèdent à la coupe du bois sans autorisation ». Avant de passer à la répression, soutient la directrice provinciale, le ministère et ses partenaires ont intensifié la sensibilisation des populations et des acteurs.

« Malgré les multiples campagnes de sensibilisation et de dissuasion organisées, les réseaux d'exploitation et de commercialisation de bois d'oeuvre perdurent », déplore-t-elle. Pire, affirme-t-elle, le phénomène du trafic illégal de bois s'est « beaucoup accru » du fait du terrorisme qui ne permet pas d'effectuer des missions régaliennes de contrôle dans certaines localités. « Derrière ces chiffres (Ndlr 582 PV d'interpellation), se cache la réalité de l'insécurité qui est devenue un terreau fertile au trafic du bois d'oeuvre. Nous avons une pression sur les ressources naturelles, notamment le bois, au niveau de la bande frontalière avec le Mali », regrette-t-elle.

La complicité des populations

L'insécurité est aussi un frein aux efforts du service départemental de l'environnement de Koloko. Selon le chef du service, le lieutenant des eaux et forêts, Hamidou Sédogo, l'exploitation illégale et frauduleuse du bois d'oeuvre prend de l'ampleur dans le département du fait du difficile accès de certaines localités confrontées au défi sécuritaire. « Les trafiquants quittent souvent le Mali et passent par le côté Nord de la commune, via les villages de Zitonosso et Famakolobougou qui sont difficilement accessibles à nos services », affirme-t-il.

Le président du Comité villageois de développement (CVD) de Soungalobougou, Yacouba Ballo, confirme l'effectivité du phénomène dans sa localité. « Nos forêts sont envahies par les trafiquants avec la complicité des populations locales qui abattent sans pitié les espèces protégées. La nuit, souvent à des heures indues, nous entendons les vrombissements des tronçonneuses dans la brousse en train de scier du bois », confie-t-il.

Pour Yacouba Ballo, le trafic illégal de bois est souvent une source de conflits au sein des populations locales. Il précise que les trafiquants sont souvent munis de faux papiers et se présentent à eux en prétextant qu'ils ont reçu l'autorisation des services de l'environnement pour abattre les arbres. « En pareille situation, il faut être vigilant pour ne pas tomber dans leurs pièges.

Nous prenons d'abord le temps de vérifier l'information auprès des services compétents en la matière avant de nous prononcer. Autrement dit, lorsqu'on agit dans le sens contraire, l'on peut avoir les agents sur notre dos qui vont peut-être douter de notre bonne foi et penser que nous sommes de connivence avec les trafiquants de bois », renchérit M. Ballo. Bakary Traoré, ancien conseiller municipal du village de Zitonosso ajoute que ce sont des situations récurrentes qu'ils vivent au quotidien dans leurs localités.

Du Burkina aux pays asiatiques

Sur le mode opératoire des trafiquants, toutes les personnes approchées à Samorogouan tout comme à Koloko, restent muettes. Selon les agents forestiers, les populations locales, sont peu coopératives lorsqu'elles sont directement impliquées dans le trafic. Pourtant, le colonel des eaux et forêts, Aminata Millogo, conseillère technique de la Présidente de la délégation spéciale (PDS) régionale des Hauts-Bassins en matière d'environnement, précédemment directrice provinciale de l'environnement du Kénédougou, est formelle.

De son récit, il ressort que les trafiquants opèrent le plus souvent dans la soirée ou très tôt le matin. Ils arrivent à contourner les postes de contrôle grâce à des complices qui donnent régulièrement des informations sur la position des agents des eaux et forêts. Le bois trafiqué est ainsi convoyé vers Bobo-Dioulasso et mis dans des entrepôts.

Il est ensuite chargé dans des containers avec pour destination, les ports du Ghana à destination des pays asiatiques. En outre, précise le colonel Millogo, c'est un grand réseau qui comprend deux chaînes à savoir le réseau d'exploitation et le réseau d'exportation. Le premier réseau, dit-elle, concerne les trafiquants qui rentrent en contact avec des scieurs locaux, chargés d'identifier les peuplements (arbres à abattre, ndlr).

« Ces derniers recherchent les propriétaires des champs ou encore identifient des jeunes de ladite localité qui sont chargés de procéder aux négociations moyennant une certaine somme d'argent, afin de corrompre toute la chaine y compris certains agents indélicats des eaux et forêts », soutient-elle. Quant au second réseau, foi de Mme Millogo, il est constitué de transporteurs et de transitaires.

« Les transporteurs, avec des tricycles ou des camions, sont chargés de rassembler le bois en un seul endroit. Il sera par la suite embarqué dans de camions vers Bobo-Dioulasso », explique t-elle. Elle ajoute que lorsque la quantité n'est pas importante, le camionneur ramasse le bois dans la brousse lors de son retour des marchés tournants à l'intérieur de la province.

« Il charge d'abord le bois, avant de le cacher avec les marchandises (sacs de maïs, riz, patates, ignames) des commerçants. Et comme généralement, le camionneur rentre nuitamment des marchés, il est plus facile pour lui de déposer les passagers et les marchandises. Enfin, il décharge le bois chez son propriétaire aux environs de 3h du matin », dévoile-t-elle.

« Je me rappelle encore d'un fait similaire, lors d'un contrôle de routine. En lieu et place du charbon de bois transporté à destination de Bobo-Dioulasso, c'est plutôt du bois d'oeuvre qui se trouvait au fond du camion de charbon », raconte le colonel Millogo. Quant aux transitaires, relève-t-elle, ils sont chargés des démarches pour la sortie du bois du pays.

Une insuffisance des ressources humaines et matérielles

Selon la directrice provinciale en charge de l'environnement, Lucie Zongo, l'impact de l'exploitation illégale et frauduleuse du bois sur l'environnement est énorme, car elle contribue à la réduction de la biodiversité, mais aussi compromet les actions en faveur de la lutte contre les changements climatiques et le développement durable. A cela, elle ajoute les pertes de revenus pour l'Etat.

Au-delà de la situation sécuritaire, certains acteurs intervenant dans le domaine de la protection des ressources naturelles évoquent plusieurs difficultés qui constituent un obstacle à la lutte. Il s'agit, entre autres, de l'insuffisance des ressources humaines, des moyens matériels de surveillance et de combat, l'inadaptation des moyens roulants (motos) au contexte actuel, le mauvais état des voies d'accès à certains villages et le réseau téléphonique défectueux par endroit qui ne facilite pas la communication lors des opérations d'envergure.

Il est également ressorti des cas de menaces proférés à l'encontre des agents et les tentatives de corruption. Aux dires des uns et des autres, la création d'un poste forestier à Sifarasso et un autre à cheval entre le village de Zitonosso et celui de Soungalobougou s'avère nécessaire et permettra de lutter efficacement contre le phénomène sur la bande frontalière dans la province du Kénédougou. Conscientes de la gravité de cette situation, les autorités provinciales en charge de l'environnement du Kénédougou mènent déjà sur le terrain, la sensibilisation des populations et des scieurs et effectuent régulièrement des contrôles sur les axes routiers.

A cela s'ajoutent parfois des sorties conjointes avec les autres forces de défenses et de sécurité en vue d'endiguer le phénomène dans la province. « Nous demandons une franche collaboration de la part des populations, mais aussi des moyens conséquents », lance la directrice provinciale en charge de l'environnement du Kénédougou, Lucie Zongo.

Pour sa part, le colonel des eaux et forêts, Aminata Millogo, estime l'Etat doit mettre en place une stratégie qui étend les efforts de la lutte contre l'exploitation illégale du bois dans d'autres structures. « Il faut aussi accompagner les agents avec des moyens adéquats de surveillance et lutter contre la corruption », dit-elle.

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