La condamnation le 3 septembre d'Aboo Baker Mudhoo et de son neveu Abdool Mohammad Oussay Mudhoo à 30 ans et 24 ans de prison respectivement, pour culture de cannabis, a choqué. Les peines infligées sont d'autant plus stupéfiantes quand l'on pense à ceux qui échappent à toute condamnation et même à toute poursuite.
D'après le bulletin d'Afrobarometer en date du 6 septembre, «... a majority [...] think sentences for powerful individuals and government officials found guilty of wrongdoing are too lenient». C'est la perception que la population a de notre justice en général. Si Afrobarometer avait effectué un sondage au sujet des condamnations et peines infligées pour les affaires de drogue, le résultat serait encore plus sévère.
La drogue est devenue non seulement un problème social à Maurice mais aussi un problème légal. Si les condamnations pour trafic de drogue étaient rares jusqu'en mi-2023, lorsqu'il y en avait, elles l'étaient d'une manière impitoyable. Toutefois, au cours des procès aux Assises en ce moment, les condamnations et les peines pleuvent...
L'un des problèmes, c'est qu'il n'y a pas de différenciation entre types de drogue. Que ce soit cannabis, héroïne ou les plus dangereuses drogues synthétiques, tous les condamnés sont logés à la même enseigne. Car nos lois sont ainsi faites que la dangerosité du stupéfiant n'est pas vraiment tenue en compte. Contrairement à l'Angleterre, par exemple.
Ainsi, bien que le cannabis soit classé dans la 1e partie du premier «schedule» de la Dangerous Drugs Act (DDA) et que les drogues dures, comme l'héroïne et la cocaïne, soient classées dans la 2e partie, les peines de prison maximales encourues sont de 25 ans pour les deux. (La seule différence, c'est que pour le trafic de l'héroïne ou de la cocaïne, est prévue une peine plancher de cinq ans.)
Dans l'affaire des Mudhoo, le juge Pravin Harrah a justifié ces lourdes peines en ces termes, que l'on entend d'ailleurs souvent répéter : «The severity with which local producers and suppliers have to be dealt with in order to send the proper signal to potential offenders who may be tempted to indulge in the lucrative business of dangerous drugs, needs no repetition.» Un lecteur de l'express n'a pu s'empêcher de faire ce commentaire : «Est-ce que la sentence est motivée par un désir de se rattraper pour d'autres sentences suspectes ?» De leur côté, les philosophes en droit objectent souvent à ce besoin de donner l'exemple : pourquoi, disent-ils, celui qui est condamné doit-il payer pour les autres ? L'effet de dissuasion recherché, ajoutent-ils, pourrait être la conséquence de pressions politiques. Comme ce fut le cas en Angleterre, après la condamnation des émeutiers de Notting Hill, en 1958.
Circonstances aggravantes
Le juge Pravin Harrah a trouvé de plus une circonstance aggravante dans le fait qu'Abdool Mohammad Oussay Mudhoo s'occupait des plantations de cannabis. Pour Aboo Baker Mudhoo, tout en reconnaissant que sa précédente condamnation en 2002 ne devrait pas être tenue en compte, le juge a quand même conclu que cette vielle condamnation pour avoir cultivé deux plants de gandia est une circonstance aggravante car «the fact remains that the accused No.1 did not mend his ways but instead he graduated in the business of cannabis cultivation by starting from two cannabis plants in 2002 and reaching 1,154 cannabis plants in 2017». Autrement dit, pour le juge, Aboo Baker a commencé par deux plants de gandia et a évolué jusqu'à la culture de 1 154 plants.
Heureusement, le même juge ne semble pas avoir pris en compte une précédente condamnation du neveu pour avoir fumé une cigarette en public, bien qu'il en ait fait mention dans sa sentence.
La condamnation des Mudhoo repose principalement sur le témoignage d'un certain Henriette, qui travaillait sur le champ de gandia. Le juge Harrah, qui a noté des incohérences sur son témoignage, a néanmoins décidé de le croire sur parole. «I watched his demeanour. He was coherent and struck me as a witness of truth despite some minor variances in his testimony.» C'est ce sixième sens, si l'on peut dire, de certains juges et magistrats, qui a mené à la condamnation des Mudhoo.
Trafiquant et trafiquant
Pourquoi les Mudhoo ont pris autant d'années de prison ? L'avocat Sanjeev Moloye nous explique les subtilités des articles 30 et 41 de la Dangerous Drugs Act (DDA). «L'article 30 prévoit une peine maximale de 25 ans de prison pour Drug Dealing, soit en français trafic de drogue, mais le condamné n'est pas considéré comme un trafiquant. Pour comprendre, il faut aller à l'article 41. L'alinéa (1) ((a) à (k)) énumère les circonstances aggravantes. L'article 41 (2) prévoit le doublement de la peine de 25 ans si au moins une de ces circonstances aggravantes est présente. Mais c'est l'article 41 (3) qui prévoit un maximum de 60 ans d'emprisonnement si l'accusé est considéré comme un trafiquant de drogue. Et c'est quoi un trafiquant de drogue ? L'article 41 (4) le dit : c'est lorsque la valeur de la drogue impliquée dépasse Rs 1 million.» Bref, même si une personne est arrêtée avec de la drogue, que ce soit du cannabis ou de l'héroïne, et destinée à la revente mais dont la valeur est estimée à Rs 900 000, elle sera passible d'une peine maximale de 25 ans.
Si la valeur dépasse Rs 1 million, ce sera 60 ans.
Or, le cas de la passeuse Ougandaise Hanishah Walukana, jugée le 4 septembre par le même juge Pravin Harrah, pose problème. Bien que l'Ougandaise ait été arrêtée avec de l'héroïne et valant Rs 16 millions, elle n'a pris «que» 11 ans de prison. Alors que Aboo Baker Mudhoo a pris 30 ans pour avoir cultivé du gandia. Pourquoi ?
Premièrement, l'Ougandaise a plaidé coupable, ce qui a aussi permis l'arrestation d'un complice. Ce qui lui a rapporté une diminution d'un tiers de la peine prévue donc de 17 ans. Deuxièmement - et c'est le plus intéressant -, le Directeur des poursuites publiques (DPP) avait supprimé le chef d'accusation de trafic de drogue à la suite de représentations faites par son avocat Taij Dabycharun. Pourtant, l'article 41 (4) de la DDA prévoit noir sur blanc que si la valeur de la drogue dépasse Rs 1 million, l'accusé sera considéré comme un trafiquant.
En tout cas, le juge Pravin Harrah semble avoir adapté son jugement à la peine. Il déclare d'ailleurs : «I am fully alive to the fact that the sentence meted out to an accused party has to be tailored to the particular offence and the personal circumstances of the offender.» Bien que le juge ait parlé de circonstances atténuantes autres, on le pense, que le plaider-coupable, il ne dit pas explicitement si le fait que l'Ougandaise soit une mère de deux enfants mineurs l'a conduit à réduire la peine de 17 à 11 ans. En tout cas, le juge n'a pas parlé de «drug scourge» ni de signal à envoyer aux potentiels trafiquants de drogue comme il l'avait fait pour Mudhoo.
Le cas Franklin
Le trafiquant de drogue Franklin, de son vrai nom Jean Hubert Celerine, a été finalement extradé vers La Réunion, grâce aux pressions des médias et de l'opposition, pour qu'il y purge une peine de six ans seulement, la justice française étant moins sévère. Si Franklin avait fait face à la justice pour ce même crime à Maurice, il courait le risque d'écoper d'au moins 35 ans de prison. Pour rappel, il a été trouvé coupable à La Réunion de trafic, entre nos deux îles, de 148 kilos de zamal valant Rs 114 millions. Sa longue détention provisoire en prison de Melrose sera sans doute décomptée de son temps d'emprisonnement à l'île soeur.
L'avocat Parvez Dookhy, exerçant à Paris, nous rappelle qu'en France, l'importation de drogues illicites est passible aussi d'une amende pour infraction douanière. Même si à Maurice, la police ne semble pas vouloir poursuivre Franklin, la Mauritius Revenue Authority (MRA) le fera-t-elle en lui réclamant l'amende relative à l'importation de ces Rs 114 millions de drogue ? «Non», nous répond-on à la douane. *«On peut imposer des amendes sur la contrebande de vêtements par exemple mais pas sur les drogues.» *À son retour, Franklin pourra dormir sur ses deux oreilles. Sauf si la Financial Intelligence Unit et la MRA ouvrent une enquête sur ses biens.