Serigne Cheikh Tidiane Sy dit Al Maktoum, khalife général de la confrérie des tidianes rappelé à Dieu en 2017 à l'âge de 90 ans, a laissé l'image d'un guide religieux ouvert au monde, s'illustrant, sa vie durant, par une posture qui était à cheval sur des générations.
Le fils de Serigne Babacar Sy, premier khalife des tidianes, était considéré comme un écrivain, un penseur et un philosophe. Le petit fils d'El Hadji Malick Sy, une des principales figures de la Tidianya au Sénégal, a marqué les esprits, et continue à inspirer nombre de disciples, grâce à la magie de la technologie.
Lorsqu'un événement majeur survient au Sénégal, le réflexe chez beaucoup d'entre eux, est de recourir à ses messages en vidéos, pour comprendre les enjeux du moment. Ces enregistrements, qui restent très actuels deviennent souvent viraux sur les réseaux sociaux.
Communément appelé "le marabout intellectuel", Serigne Cheikh Tidiane Sy est connu pour ses prises de positions sur des sujets d'actualité. Ses écrits témoignent de son statut d'homme de culture et d'intellectuel achevé.
A 16 ans, "Serigne Cheikh" comme l'appellent affectueusement ses disciples, publie son premier article intitulé "Les vices des marabouts". Quelques années plus tard, il sort "El Hadj Malick Sy, l'incompris de la nation". Tous les deux ont été publiés aux Presses universitaire de Dakar.
Un marabout ouvert au monde
Dans les rencontres intellectuelles auxquelles il prenait souvent part en France, en Egypte, entre autres, il représentait honorablement le produit des "daara", ces médersas à la sénégalaise. Au Sénégal, dans les années 2000, il animait la traditionnelle conférence du Maouloud, le jour-même de cet évènement commémorant la naissance du Prophète Mohamed (PSL). C'était un cadre d'échanges où il invitait des hommes politiques.
Il est le fondateur de la "dahira" "Moustarchidine wal Moustarchidate", une organisation religieuse aujourd'hui dirigée par son fils Serigne Moustapha Sy.
Affranchi du conservatisme, il pose des actes forts, comme celui d'installer le téléphone pour le khalife afin qu'il se connecte davantage au monde. Il choisit comme style vestimentaire, la "djellaba", avec une capuche couvrant sa tête. Un style qui finit par être associé à son image.
Serigne Cheikh Tidiane Sy incarne un nouveau type de marabout à travers l'association éducative islamique qu'il créa en 1955. Il avait lancé, la même année, un journal dénommé "L'islam éternel". Il animait des conférences sur divers sujets : l'islam, la société, la science la culture et la politique.
Sa relation à la politique
"Ce qui marque les hommes, c'est la culture de Serigne Cheikh, ses écrits en arabe et en français. Son jeune frère Pape Malick Sy m'a une fois dit qu'il avait acheté un livre à 6 millions, ce qui témoigne de l'importance qu'il accordait au savoir", confie Serigne Babacar Cissé, son neveu. "Ses paroles résonnent comme s'il parlait à notre monde", poursuit-il.
En 1959, le religieux crée le Parti de la solidarité sénégalaise (PSS). La contestation des résultats électoraux qu'il considérait comme "tronqués", - un avis qu'il partageait avec le PAI, le Parti africain de l'indépendance de Majhemout Diop (1922-2007) - lui a valu un emprisonnement.
Quelques années plus tard, le président sénégalais d'alors Léopold Sédar Senghor le nomme ambassadeur du Sénégal au Caire et auprès de la République arabe unie. Le marabout ambassadeur avait contribué à développer la coopération culturelle et faisait venir des milliers d'ouvrages à destination des arabisants sénégalais, informe son neveu Serigne Babacar Cissé. Ses déboires avec l'Etat poussent finalement Serigne Cheikh Tidiane Sy "Al Maktoum" à arrêter ses activités politiques.
"Al-Maktoum", "le caché"
Sous son magistère de Khalife général des Tidianes en 2012, le marabout, Serigne Cheikh Tidiane Sy connu pour être un homme mystique, ne faisait pas d'apparition officielle. On rapporte que son frère Serigne Mansour Sy disait ceci aux fidèles : "si vous m'interrogez sur le savoir des livres, je peux apporter des réponses mais s'agissant de choses mystiques, veuillez-vous adresser à Serigne Cheikh Sy. Sa référence demeure son père, Serigne Babacar Sy".
Durant son khalifat, le marabout ne s'est jamais affiché en public. Avant cela, ses interventions à l'occasion de la nuit du Gamou étaient très attendues par les fidèles. "Il aimait mener une vie rangée, pas bruyante. D'ailleurs, il a vécu et est parti comme cela", raconte son neveu, Babacar Cissé. Dans son entourage, on explique son attitude par sa volonté de s'éloigner des maux de la société.
Considéré comme l'héritier de son homonyme, le fondateur de la Tidjaniyya, il est surnommé, "Al Maktoum", "le caché", en arabe. Une appellation qu'il doit à son caractère énigmatique, soutient son neveu, qui a grandi sous son ombre. "Il a reçu l'enseignement de son père qui avait une vision globale. Il n'a jamais été à l'école française et pourtant il faisait des discours en français et traduisait le Coran en français", pour souligner la particularité de son défunt oncle.
"Sa venue au monde et tout son parcours sont teintés de mystique. Il avait une complicité avec son homonyme. Ce qui fait qu'il a hérité du secret de la +tarikha+, la confrérie tidiane", soutient Serigne Babacar Cissé.
Serigne Cheikh Tidiane Sy, le cinquième khalife de la confrérie tidiane de Tivaouane, est décédé en 2017, emportant avec lui, son mystère, mais laissant derrière lui, comme legs, la "dahira" "Moustarchidine wal Moustarchidate".