Comment commémorer les femmes malagasy ? Comment leur permettre de se raconter, de se réapproprier l'histoire à travers leurs propres histoires ? À Antananarivo, une exposition et un festival baptisés tous deux « Vavy » (« femmes » en malgache) se déroulent jusqu'au 21 septembre 2024 dans différents lieux de la capitale. Illustration à l'Hôtel de ville avec l'exposition baptisée « Vavy, les archives de nos vie ».
« Femme d'Afrique, enfant du monde, garde tes racines dans tes entrailles. Quiconque osera t'obliger à les montrer pour les prouver, tu les ignoreras. Ainsi tu survivras. » Ici, des vers qui s'échappent d'un moulin à paroles, que le visiteur peut tourner à l'infini. Là, suspendus à un fil, des mots qui semblent s'envoler. La poétesse Na Hassi présente une installation artistique inspirée d'expressions qu'elle a choisi de prendre au mot. Des mots avec lesquels elle joue, dont elle se joue aussi, ceux-là même qui enferment souvent les femmes dans des carcans. « Il y a des histoires qui ne sont pas très propres, mais ce sont des histoires de femmes qu'on essaie d'étouffer au quotidien et moi je les étale-là, explique-t-elle. Pourtant, il y a des vérités qui nous tuent en silence et dont il faudrait peut-être parler. Les moqueries sont plus violentes, plus blessantes que les coups de poing. »
Face au Moulin à Paroles, d'immenses portraits de femmes, peints par Joey Arisoa, une autre artiste. Des femmes dont la pause rappelle inévitablement celle des clichés réalisés pour les archives coloniales. « C'était une manière pour les étudier, pour les catégoriser, rappelle Joey Arisoa. Et donc je reprends ces manières de poser dans les archives, avec également leurs attributs traditionnels (étoffe, tresse, etc.) qu'on utilisait pour mieux cataloguer, comme pour raviver comment nous étions il y a 100 ans, mais aussi pour y ajouter de la vie, pour apporter peut-être un regard digne et plus incarné, et avec ma part de choses à dire ».
Devant le tableau, Tsiry, un visiteur, ne bouge pas, comme subjugué. Accompagné de sa mère, son épouse et leur fille, ils contemplent ensemble l'oeuvre aux teintes bleutées. « Moi, en tant qu'homme, je suis étonné car il y a beaucoup beaucoup de messages dans cette peinture, réagit-il. Vous savez, je ne suis pas un habitué des expositions. C'est même ma première fois ! Je viens de province et ce ne sont pas des lieux que je fréquente habituellement ».
Tour à tour, les visiteurs questionnent Joey Arisoa. « La manière dont elle a conçu l'oeuvre, en faisant des infusions de ses poèmes pour créer cette teinte bleue, de faire poser les modèles avec des attributs réservés aux hommes lorsqu'ils prennent la parole, le geste que fait le modèle, avec ses doigts, c'est très intéressant, s'enthousiasme Tsiry. Je n'aurais jamais compris tout ça si je n'avais pas pu parler avec l'artiste ! »
Le modèle qui pose devant l'artiste, signe avec ses mains le mot « écho ». Echo comme la genèse de cette exposition. Pour porter loin les voix de ces femmes dont l'histoire a été effacée, et s'autoriser, en tant qu'artistes, à prendre la parole quand d'ordinaire, il faudrait d'abord la laisser aux hommes.
Vavy Festival d'Antananarivo: «C'est important d'utiliser l'art et la culture pour sensibiliser à la cause des femmes» Ce festival, créé par des femmes et qui invite des femmes à se raconter, est une grande première dans ce genre à Madagascar. Jusqu'à samedi, dans divers lieux de la capitale, des événements gratuits proposent au public de venir écouter, apprendre, discuter et se questionner sur la représentation des femmes malgaches, sur notre environnement et notre société avec les invités de ce festival : des personnalités contemporaines, artistes, penseuses, leader d'opinion, écrivaines, cinéastes, historiennes, qui dans leur pratique, dans leur quotidien, questionnent constamment la place et le rôle occupées par le genre féminin.
Hannah Abdullahi, chercheuse et doctorante en genre et développement, fondatrice du Vavy Festival, souligne : « C'était important pour moi d'utiliser l'art et la culture comme un moyen de sensibiliser sur la cause des femmes. Et notamment leur représentation, parce qu'on pense surtout à une femme malgache alors qu'il y a des femmes malgaches : il y a une très grande diversité et c'est ça aussi qu'on voulait vraiment mettre à l'honneur. Et mettre en avant aussi des femmes auxquelles on ne pense pas forcément, des femmes qui ont existé, mais dont on ne parle jamais alors qu'elles contribuent ou ont contribué à notre société. »
Elle poursuit : « Donc, en fait, la femme malgache, quand elle est représentée, déjà elle n'est pas souvent représentée, mais quand elle l'est, ce sont toujours des personnalités. Et nous, ce qu'on a voulu mettre en avant, ce sont des femmes qui justement ont grandement contribué à la scène culturelle d'un pays, qu'on devrait connaître. Et pourtant, elles ont été oubliées. Donc c'était vraiment remettre ça en avant, pour que les gens apprennent leur histoire. Pour que les gens commencent à se poser des questions : "Pourquoi est-ce qu'en fait on ne parle pas de ces femmes-là ?"»