Dans leur dernier ouvrage, Fanny Pigeaud et Ndongo Samba Sylla lèvent le voile sur une facette méconnue de l'impérialisme en Afrique : le processus électoral comme instrument de domination. Cette analyse percutante offre un nouveau regard sur la démocratie et son application dans le contexte post-colonial africain.
Les auteurs, déjà connus pour leur travail sur le franc CFA, s'attaquent cette fois-ci à un sujet tout aussi crucial : comment les élections, symboles apparents de démocratie, ont été utilisées comme outils de contrôle et de maintien du pouvoir colonial, puis néo-colonial.
L'ouvrage retrace l'évolution du concept de démocratie, rappelant que l'élection n'a pas toujours été considérée comme son expression naturelle. Des penseurs grecs aux philosophes des Lumières, l'élection était vue comme un mécanisme de sélection favorisant les élites, par opposition au tirage au sort, plus égalitaire.
Le livre explore ensuite l'introduction du système représentatif dans l'empire colonial français, révélant les stratégies mises en place pour limiter le pouvoir politique des colonisés :
- Création d'un droit colonial excluant de la citoyenneté (régime de l'indigénat)
- Mise en place de citoyennetés de seconde zone
- Manipulation et instrumentalisation d'élites locales
- Corruption et fraudes électorales
- Répression des mouvements d'opposition
Ces méthodes ont perduré lors des indépendances, permettant à la France de maintenir son influence en sélectionnant des dirigeants africains favorables à ses intérêts. L'ouvrage met en lumière des épisodes clés, comme le référendum de 1958 instaurant la Communauté française.
La période post-indépendance est marquée par l'émergence de régimes à parti unique, suivie d'une ère de "démocratie de basse intensité" soutenue par la communauté internationale. Les auteurs analysent comment cette nouvelle forme de gouvernance, tout en offrant un vernis de légitimité, perpétue le statu quo néolibéral.
Pigeaud et Sylla examinent les ingérences électorales françaises récentes, avec un focus particulier sur la crise ivoirienne de 2011. Ils décortiquent également les nouvelles techniques d'ingénierie électorale, qualifiées d'"eugénisme électoral", utilisées notamment au Sénégal entre 2019 et 2023.
Cette histoire de discrédit de la démocratie éclaire d'un jour nouveau le soutien populaire aux récents coups d'État militaires au Sahel. Elle souligne également les limites d'une approche de solidarité avec les peuples africains qui se concentrerait uniquement sur le droit de vote formel.
L'ouvrage de Pigeaud et Sylla apporte une contribution essentielle à la compréhension des dynamiques politiques en Afrique. Il invite à repenser les notions de démocratie et de légitimité politique dans un contexte post-colonial, où les formes apparentes de gouvernance démocratique peuvent masquer des réalités plus complexes de domination et d'influence étrangère.
Cette analyse approfondie de l'impérialisme électoral ouvre de nouvelles perspectives sur les défis auxquels font face les démocraties africaines. Elle souligne la nécessité d'une réflexion critique sur les systèmes politiques hérités de la colonisation et sur les voies possibles vers une véritable autodétermination politique des peuples africains.