Sénégal: Musique sénégalaise - Ces obstacles sur le chemin des femmes dans le hip-hop

analyse

Le hip-hop appelé également rap est devenu l'un des genres musicaux les plus pratiqués au Sénégal. Il a commencé à émerger dans le pays au début des années 1980, porté par la jeunesse urbaine. Quel est le rôle des femmes artistes sénégalaises dans l'approbation de ce genre musical? Quels sont les obstacles qu'elles doivent surmonter dans ce milieu?

Mamadou Dramé est l'auteur de plusieurs publications sur le hip hop sénégalais. Il donne à The Conversation Africa des éléments de réponse.

Qu'est-ce qui caractérise le hip-hop sénégalais ?

Le rap sénégalais s'est très tôt détaché du rap mondial par une appropriation précoce du mouvement. En effet, 1988, année retenue pour le début de du rapp au Sénégal, après une période de mimétisme, les rappeurs ont tenu à se démarquer par l'utilisation des langues sénégalaises comme le wolof, le sérère, le pulaar, le joola, le mandingue, entre autres, à côté du français et de l'anglais. Par la suite, ils ont essayé de sénégaliser les rythmes en utilisant les instruments locaux comme la kora, la flûte peule, le xalam, etc., mais aussi en faisant des duos avec des musiciens d'autres genres comme le mbalakh (Daara J avec Youssou Ndour, PBS avec Baaba Maal, Pacotille avec Fatou Laobé, ...).

Cette originalité a malheureusement été interrompue s'est malheureusement estompée à la fin des années 1990, pour ce qui concerne l'utilisation des sonorités locales, suite au boom connu par le genre hardcore - rap très virulent dans le propos et très engagé politiquement, ne tolérant qu'on chante juste pour le fun -, mais les langues se sont davantage africanisées. D'un autre côté, le rap sénégalais a été très engagé politiquement et socialement. Il a rarement été envisagé comme de l'art pour l'art.

C'est pourquoi les rappeurs ont eu une influence reconnue dans la trajectoire politique du Sénégal. En effet, les rappeurs ont fait de la sensibilisation des jeunes une priorité, en leur faisant comprendre qu'ils pouvaient changer la trajectoire politique de leur pays. Ainsi, en 2000, ils ont pu participer à faire tomber le régime de Abdou Diouf et participer ainsi à l'alternance, à travers leur musique.

Quelle est sa place sur la scène de la musique populaire ?

Le rap joue et a toujours joué un rôle très important dans la scène musicale locale. A un moment donné, le rap a été le genre musical le plus écouté et le plus joué au Sénégal. Toutes les chaînes de radio ont eu des émissions de grande écoute en début d'après-midi pour se faire un nom. Les artistes ayant compris l'importance qu'il peut y avoir à jouer avec les rappeurs et à leur capacité de mobilisation des jeunes les ont souvent employés pour des duos ou pour assurer les premières parties de leurs concerts.

Par ailleurs, les rappeurs ont aussi montré que la musique pouvait mener à l'entrepreneuriat. Ils ont tous pu développer des activités parallèles et monter des structures pour générer des revenus et impacter sur le vécu des jeunes de leurs localités. C'est ainsi qu'il est plus facile de trouver des rappeurs leaders d'opinions que des musiciens des autres genres. Par exemple Malal Talla (Fou Malade est devenu incontournable dans le paysage audiovisuel et il est souvent invité à se prononcer sur les questions politiques de l'heure.

Sur les problématiques relatives au panafricanisme, Didier Awadi est souvent sollicité. Dans le domaine de l'emploi des jeunes et la formation, Amadou Fall Ba a joué un rôle tellement important que la mairie de Dakar a pu mettre sur pied la Maison des Cultures Urbaines qui travaille étroitement avec Guédiawaye Hip Hop, un collectif de rappeurs.

Africanews a récemment indiqué que les femmes commencent enfin à se faire entendre dans le hip-hop sénégalais. Qu'en est-il ?

Pendant longtemps, la scène rap a été très misogyne avec une présence féminine très minime. Il y a eu des rappeuses comme Fatim de BMG 44, Sister Yaki dans le groupe Timtimol, ou encore Syster Joyce pour ne citer que certaines. Cependant, à part quelques-unes comme Fatim, les femmes ont souvent joué les seconds rôles et ont souvent été confinées au rôle de "choeur".

Elles ont essayé de monter des groupes entièrement féminins, comme ce fut le cas avec Alif (Attaque Libératrice pour l'Infanterie Féministe).. Mais soit elles ont abandonné le rap ou la musique de façon générale, soit elles se sont reconverties dans d'autres genres musicaux. Ces dernières années, on voit des femmes qui s'affirment dans les genres du rap et jouent les premiers rôles. Certes, elles sont encore peu nombreuses, si on compare aux hommes, mais elles existent bien et tiennent bien leur rôle.

Quels sont les obstacles que les femmes doivent surmonter dans ce milieu ?

Pendant longtemps, les femmes ont été victimes de préjugés et de pesanteurs sociales. L'image négative qui a accompagné le rap à ses débuts ne facilitait pas les choses. Par ailleurs, évoluer dans un milieu essentiellement masculin pour des jeunes filles de moins de 25 ans n'était pas facile et les parents ne laissaient pas leurs filles se balader avec des hommes, d'autant que beaucoup de spectacles se font la nuit.

Le regard de la société sénégalaise et les préjugés et jugements obligent les femmes à se démarquer au bout d'un moment. Il y a aussi le fait que beaucoup d'entre elles se marient à un moment donné et avec les responsabilités familiales, elles elles prennent du recul par rapport au rap. Autant d'obstacles qui ne facilitent pas la présence permanente des femmes dans le milieu hip-hop.

Les rappeuses sont en train de prendre leur place et progressivement. Il y a encore du chemin à parcourir parce qu'elles sont encore en nombre insuffisant, mais elles ne se laissent pas faire non plus et elles imposent leur talent et leur caractère.

Quelles sont les voix féminines qui se distinguent ?

On peut citer pêle-mêle Mounaaya qui est très bien connue. Elle est dans le domaine depuis très longtemps. Toussa est de la même génération. Elle est célèbre pour avoir chanté "Rap bou Djigene bi" (le rap au féminin). Mamy Victory s'est imposée en remportant le prix de la meilleure artiste féminine 2016 aux Galsen Hip Hop Awards. Il y a également OMG qui a été double finaliste du Prix Découvertes RFI en 2019. Elle a aussi été désignée meilleure artiste féminine des Galsen Hip Hop Awards 2018.

Black Queen Sunshine a sorti une mixtape de 13 titres pour, disait-elle, "marquer l'avènement du leadership féminin dans le milieu du hip hop sénégalais". Eve Crazy s'est fait connaître pour avoir éclaboussé le Flow Up, un concours organisé par Africulturban qui cherche à donner une chance qux jeunes rappeurs prometteurs. Sister LB fait également partie des rappeuses les plus connues.

Il y a quelques semaines, elle a été invitée à participer à des festivals en Europe. Il faut aussi compter avec Mina la voilée, l'une des rares rappeuses à chanter avec un voile sur la tête. Bien sûr, il y a d'autres que je n'ai pas citées, mais qui sont tout aussi talentueuses, sans compter les premières à avoir tenté l'aventure.

Mamadou Dramé, enseignant-chercheur, Université Cheikh Anta Diop de Dakar

AllAfrica publie environ 600 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.