Afrique: Fraudes en ligne et sextorsion - Un problème devenu mondial

analyse

Alors que le monde devient de plus en plus connecté, la fraude numérique est passée d'un problème local à un problème mondial. L'Afrique de l'Ouest, en particulier le Ghana et le Nigeria, est le théâtre de la montée des "royaumes de l'arnaque" - - académies informelles qui forment des individus à la réalisation d'escroqueries numériques.

Le terme "royaumes de l'arnaque" a été créé par les arnaqueurs en ligne eux-mêmes pour décrire leurs centres de formation. Ces lieux sont glorifiés dans certaines parties de la culture populaire. Les royaumes de l'arnaque opèrent à la fois en ligne et hors ligne, mêlant formation virtuelle et sessions en présentiel.

Les escroqueries réelles menées par les "diplômés" de ces écoles comprennent diverses actions telles que l'escroquerie sentimentale en ligne et l'escroquerie au courriel d'affaires.

Des structures similaires ont existé dans les années 1980 et 1990 sous le nom de "centres d'affaires". À l'époque, un "président" - généralement un diplômé d'une université ou une personne ayant abandonné ses études supérieures - louait un bureau, engageait une secrétaire et recrutait des escrocs stagiaires, ou "garçons". Leur tâche consistait à cibler les victimes potentielles à travers le monde par le biais de lettres, d'appels téléphoniques et de télécopies. Le "président" assurait le financement et la logistique pendant que les stagiaires perfectionnaient leurs compétences en matière d'escroquerie.

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Ces académies, jadis des centres de formation locaux, sont devenues des menaces à l'échelle mondiale. Elles exportent désormais leurs "compétences" dans le monde entier, alimentant ainsi une fraude persistante et plus largement répandue. En 2023, les États-Unis à eux seuls ont perdu environ 50 milliards de dollars du fait de ces escroqueries en ligne, dont beaucoup sont imputables à des fraudeurs d'Afrique de l'Ouest. Et ce chiffre ne représente que les pertes signalées, nombre d'entre elles étant passées sous silence.

À l'instar des "Sakawa Boys" (un groupe d'escrocs en ligne ghanéen) et des "Yahoo Boys" (des escrocs nigérians), les fraudeurs du "royaume de l'arnaque" justifient parfois leurs actions en expliquant qu'ils cherchent à réparer les injustices du passé. Ils se considèrent comme les descendants des victimes de la traite des esclaves, de l'exploitation économique et du colonialisme, les Occidentaux étant perçus de leur côté comme les descendants des colonialistes. Dans leur esprit, leurs escroqueries en ligne sont, en partie, une réponse à ces injustices historiques.

Pour manipuler et escroquer leurs victimes, ils utilisent également des stratégies surnaturelles - "magie juju". Ainsi, les entreprises d'escroquerie nigérianes sont souvent liées à des confréries, des organisations secrètes ou semi-secrètes telles que la "Black Axe", un groupe criminel organisé formé à l'origine dans les universités nigérianes. En revanche, les cybercriminels ghanéens sont moins souvent associés à de tels groupes.

En tant qu'universitaires ayant effectué des recherches et écrit sur les questions de cybercriminalité en Afrique de l'Ouest, nous souhaitons offrir aux lecteurs une perspective nuancée sur un phénomène complexe. Ainsi, nous combinons des observations sur le terrain avec une analyse globale, soulignant la nécessité d'une action coordonnée pour lutter contre ces crimes.

Fausses personnalités

À mesure que ces fraudeurs étendent leurs opérations, les cas d'escroquerie sentimentale en ligne et de sextorsion ont augmenté aux États-Unis et en Europe, suscitant l'inquiétude.

Dans le cas des escroqueries sentimentales en ligne, les fraudeurs créent de fausses personnalités en ligne pour établir des relations affectives avec les victimes, les trompant et les incitant à envoyer de l'argent ou des informations personnelles. La sextorsion se produit lorsque les auteurs contraignent les victimes à fournir des contenus sexuellement explicites et menacent de les divulguer si les victimes ne satisfont pas à des exigences financières ou autres.

Le "HK", un lieu hautement stratégique

Le terme "royaume de l'arnaque" ou "HK" (sigle anglais) a une signification au sein de ces réseaux de formation cybercriminels. "HK" signifie également "quartier général" ou "haut royaume". Il s'agit d'un centre de commandement central doté d'une structure hiérarchique pour la formation des nouveaux membres, fonctionnant comme une académie de fraude en ligne. Cette structure, importante pendant la phase de formation, tend à se dissoudre une fois que ses membres ont obtenu leur "diplôme".

Le "HK" est plus qu'un lieu physique. Il agit comme un espace conceptuel au sein du réseau. Les novices y apprennent diverses techniques de fraude et stratégies de recherche d'emploi à partir d'informations fournies à l'échelle mondiale. Ainsi, le "HK" sert de centre de connaissances, diffusant des tactiques à travers le réseau.

Le concept s'est imposé dans le langage de la rue, ce qui indique qu'il est accepté et utilisé au-delà de la cyberfraude organisée. Le "HK" met l'accent sur les aspects éducatifs et stratégiques plutôt que sur les préoccupations territoriales, soulignant ainsi la nature décentralisée et adaptable de ces organisations. Des facteurs tels que la pression socio-économique, l'attrait de la richesse rapide et la glorification de la fraude en ligne dans certaines chansons d'Afrobeat poussent les individus à rejoindre ces institutions.

Sextorsion et escroqueries sentimentales

Les diplômés de ces académies contribuent à la hausse alarmante des escroqueries sentimentales en ligne et des cas de sextorsion, en particulier aux États-Unis et en Europe. Il n'existe pas de statistiques criminelles clairement établies pour mesurer cette hausse, mais une organisation qui travaille sur la protection des enfants a dénombré 26 718 cas de sextorsion en 2023 / dans le monde, soit un bond par rapport aux 10 731 cas de 2022.

Loin d'être des incidents isolés, ces escroqueries font partie d'un effort concerté plus vaste, en provenance d'Afrique de l'Ouest et impliquant des participants de plusieurs pays, y compris des acteurs criminels de pays occidentaux. Des études,notamment des entretiens avec un chef présumé d'un groupe cybercriminel affilié à Black Axe, attestent de la portée internationale de ces opérations.

Stopper la fraude en ligne

Il est urgent de s'attaquer à ce problème, tant au niveau local qu'international. Il n'y a pas de solution simple et rapide, mais trois grands domaines d'action sont nécessaires.

Tout d'abord, il faut renforcer la coopération entre les forces de l'ordre des pays ciblés principalement par ces escrocs et les forces de l'ordre d'Afrique de l'Ouest. L'objectif devrait être non seulement d'appréhender les principaux acteurs criminels, mais aussi de perturber l'activité.

Deuxièmement, il faut s'attaquer aux facteurs sociaux et économiques qui poussent les jeunes à s'engager dans cette "industrie".

Enfin, il faut faire beaucoup plus pour protéger les victimes potentielles de ces escroqueries en ligne grâce à des mesures de prévention de la fraude plus efficaces et plus ciblées.

Suleman Lazarus, Visiting Fellow, Mannheim Centre for Criminology, London School of Economics and Political Science

Mark Button, Professor of Security and Fraud, University of Portsmouth

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