Afrique: Panafricanisme - Pourquoi le discours de l'activiste Kemi Seba mobilise

analyse

L'activiste franco-béninois Kemi Seba, leader de l'ONG Urgences panafricainistes, est devenu ces dernières années un leader influent parmi les jeunes Africains, dans un contexte de panafricanisme croissant. Il s'est distingué par ses critiques virulentes contre les relations entre la France et l'Afrique, ce qui lui a valu le retrait de sa nationalité française. Christophe Premat a étudié le discours politique dans les pays francophones, avec un accent particulier sur les politiques identitaires. Il explique à The Conversation Africa les raisons de la percée de Kemi Seba.

Qui est Kemi Seba ?

Kemi Seba se présente comme un idéologue à la tête de l'ONG Urgences panafricanistes, promouvant des pratiques économiques et politiques favorisant une souveraineté panafricaine. Militant anticolonialiste et anti-impérialiste, il réside au Bénin depuis plusieurs années. Après avoir fait face à des expériences de racisme en France, il a été condamné pour des propos antisémites et a également purgé une peine de prison. Il a ensuite tourné son regard vers l'Afrique, où il poursuit son combat pour l'émancipation des peuples noirs.

Comment a-t-il fait parler de lui ?

Kemi Seba est un activiste engagé dans la diffusion de son message auprès des populations africaines et afro-descendantes. Son ouvrage Supra-négritude, autodétermination, antivictimisation, virilité du peuple (2013) est à la fois une autobiographie et un manuel d'autodéfense contre le racisme. Il se fait remarquer par des actions spectaculaires destinées à marquer les esprits et à combattre les discriminations subies par les populations noires.

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Depuis les années 2010, il s'est orienté vers un rôle de guide spirituel, dédié à la défense des communautés noires. Il a récemment brûlé son passeport français, ce qui lui a valu une déchéance de nationalité de la part des autorités françaises.

Dans les années 2000, il avait des liens avec des mouvements radicaux comme la Nation of Islam soutenant à l'époque des positions en faveur de la suprématie noire. Cependant, au fil du temps, il a adopté une approche plus axée sur l'ethno-différentialisme avec l'idée que les groupes ethniques et sociaux ont leur histoire et des caractéristiques spécifiques. Ses critiques acerbes envers certains régimes africains lui ont valu des interdictions de séjour et même des périodes d'incarcération.

Qu'est-ce qui définit sa pensée panafricaniste ?

Ses prises de position, comme son opposition au franc CFA et ses appels au rapatriement des diasporas africaines, ont renforcé son influence au sein des cercles panafricanistes. Kemi Seba développe une pensée panafricaniste radicale qu'il expose dans son livre Philosophie de la panafricanité fondamentale (2023). Contrairement aux approches traditionnelles du panafricanisme, qui visent l'unité des peuples africains et de leurs descendants, il est l'un des rares penseurs à introduire le terme de "panafricanité", mettant l'accent sur un retour aux racines ancestrales.

En réalité, il puise dans un répertoire panafricaniste conservateur avec une attention presque exclusivement portée sur l'identité du sujet noir. Sa vision repose sur un rejet total de l'Occident capitaliste, qu'il considère comme un symbole de décadence spirituelle et morale.

Dans la lignée des travaux de l'historien sénégalais Cheikh Anta Diop portant sur les premiers hommes noirs, Kemi Seba prône un retour à une spiritualité africaine ancestrale, essentielle, selon lui, pour que les Africains recouvrent leur dignité et leur autonomie. Son projet radical envisage la création d'un État fédéral pour tous les peuples africains, les "Quilombos-Unis de Kemet", "KMT" étant un acronyme renvoyant aux peuples noirs.

Le terme "quilombo" fait référence aux communautés marronnes formées par des esclaves en fuite qui ont préservé un mode de vie ancestral. Sa cosmogonie puise dans l'héritage de l'Égypte ancienne, qu'il considère comme un modèle de gouvernement spirituel stable.

Quel est l'impact de son discours sur les jeunes Africains ?

Le discours de Kemi Seba résonne fortement auprès de la jeunesse africaine, en particulier auprès de ceux qui se sentent marginalisés par le néocolonialisme et les inégalités persistantes. Il inspire de nombreux jeunes par ses appels à la fierté noire et à la résistance contre l'impérialisme économique, représenté par des institutions comme la France et l'Union européenne.

Grâce à son utilisation des réseaux sociaux (YouTube, Facebook) et à des interviews avec des médias alternatifs en Afrique francophone, il mobilise les jeunes autour de la souveraineté africaine et de la nécessité de créer un système politique et économique indépendant des influences occidentales. À Cotonou, il a également initié des entreprises solidaires qui ne vendent que des produits fabriqués en Afrique. Il joue également beaucoup sur des valeurs de virilité pour incarner une sorte de Malcolm X francophone.

Quels enjeux son cas met-il en évidence dans les relations entre la France et l'Afrique francophone ?

Le cas de Kemi Seba illustre les tensions croissantes dans les relations entre la France et l'Afrique francophone. Il dénonce ce qu'il appelle le "néocolonialisme" français, incarné par le franc CFA, qu'il considère comme un symbole de la domination économique de l'Afrique par la France. Dans ce contexte de réorganisation des rapports de force géopolitiques, son ONG revendique des partenariats avec des pays tels que la Russie, Cuba, le Venezuela et l'Iran. Il a été invité à participer à des sommets Russie-Afrique et est régulièrement accusé par les autorités françaises de recevoir des financements et du soutien de la Russie, notamment par l'intermédiaire de la milice Wagner.

Kemi Seba s'est aussi rapproché des nouveaux régimes au Mali, au Niger et en Guinée, jusqu'à être nommé conseiller spécial du gouvernement de Niamey. Son activisme, tout comme celui de voix similaires telles que la militante et femme d'affaires camerounaise-suisse Nathalie Yamb, révèle la difficulté pour la France de se détacher de l'héritage de la Françafrique marquée par des réseaux de corruption entre la France et certains gouvernements africains pour établir des partenariats d'égal à égal avec les pays africains.

Dans le même temps, la démarche de Kemi Seba reflète une certaine forme de mélancolie chez les milieux afro-descendants en France, qui peinent à être reconnus comme des citoyens à part entière. Cette difficulté explique en partie la raison pour laquelle son discours trouve un fort écho dans ces milieux.

Christophe Premat, Associate Professor in French Studies (cultural studies), head of the Centre for Canadian Studies, Stockholm University

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