Le 19 septembre, le procès tant attendu des 64 demandeurs d'asile sri-lankais bloqués sur l'île de Diego Garcia s'est achevé après quatre jours d'audience intense. C'est dans la chapelle située à côté du camp des migrants que la juge Margaret Obi de la Cour suprême du territoire britannique de l'océan Indien (BIOT) a entendu les arguments de la défense et des avocats des demandeurs d'asile.
La juge a décidé de mettre son jugement en délibéré, mais les détails révélés pendant cette audience ont mis en lumière une réalité oppressante : l'emprise totale des Américains sur cette île, où les droits humains semblent être une notion secondaire.
Ce que la délégation a trouvé était une forme d'emprisonnement sous le masque de la sécurité. Bien que les autorités américaines n'aient aucun titre de souveraineté sur l'île, ils y exercent un contrôle absolu, à tel point que les membres de la délégation britannique se sont souvent retrouvés traités comme des détenus eux-mêmes. «Nous avions constamment été escortés et n'avions pas le droit de quitter notre hébergement sauf pour nous rendre à l'audience», témoigne l'un des avocats, décrivant une ambiance de méfiance et de réclusion.
«Je ne comprends plus la valeur de la vie»
Depuis près de trois ans, ces demandeurs d'asile, dont des femmes et 16 enfants, sont confinés dans un camp de fortune à Thunder Cove, une zone transformée en véritable prison à ciel ouvert. À leur arrivée, la zone était encore relativement accessible, mais elle a rapidement été clôturée avec des barrières en plastique, remplacées plus tard par des fils barbelés. Les migrants vivent dans des conditions déplorables, privés de liberté et de dignité.
L'un des témoignages les plus marquants est celui de R.G., un demandeur d'asile ayant reçu une décision positive de non-refoulement en mars 2023. Il compare son existence à celle d'un oiseau en cage, livré à la dépression et aux pensées suicidaires face à une détention sans fin. «Je ne comprends plus la valeur de la vie. Être laissé en suspens, sans avenir, ni liberté, me pousse souvent à vouloir tout arrêter...»
La situation est aussi grave pour les 16 enfants présents dans le camp, dont la plupart n'ont jamais connu autre chose que cet environnement clos et oppressant. La seule exception à leur confinement est une promenade récente le long d'un sentier naturel, une rare occasion où ils ont pu explorer un monde au-delà des grillages.
Un parent raconte à quel point cette expérience, bien que simple pour beaucoup, a été une révélation pour ces enfants, privés depuis longtemps de liberté. «Ils ont vu des crabes le long du chemin, ont levé les yeux pour voir le ciel.»
Bien que les autorités américaines n'aient aucun titre de souveraineté sur Diego Garcia, ils y exercent un contrôle absolu, à tel point que les membres de la délégation britannique, dont les avocats des demandeurs d'asile sri-lankais, se sont souvent retrouvés traités comme des détenus eux-mêmes...
Les avocats des demandeurs d'asile, qui se sont déplacés jusqu'à Diego Garcia pour cette audience, ont eux-mêmes fait l'expérience des restrictions sévères imposées par les forces américaines, censées être des occupants temporaires de cette île sous juridiction britannique. L'un d'eux témoigne : «Les Américains nous ont empêchés de visiter quoi que ce soit. On était tout le temps sous forte escorte.» Malgré leur mission humanitaire et légale, la délégation a été soumise à des restrictions draconiennes, leur interdisant même de prendre des photos comme condition d'obtention de leur permis de visite.
Ce paradoxe éclate lorsqu'on compare leur traitement à celui des civils vivant sur l'île. Bien que les avocats et les migrants soient confinés dans des zones strictement contrôlées, des centaines de civils, employés par des entreprises de sous-traitance comme KBR, gardiens de sécurité de G4S, scientifiques ou encore des célébrités invitées, jouissent d'une liberté quasi totale.
«Nous pouvions voir des gens faire du jogging ou du vélo autour de l'île, aller au supermarché, pendant que nous étions surveillés à chaque instant», raconte un autre avocat, soulignant l'incohérence flagrante du traitement réservé aux demandeurs d'asile.
L'argument sécuritaire, une justification fragile
Les autorités du BIOT justifient cette sévérité par des préoccupations de sécurité, évoquant la présence d'équipements militaires sensibles et les dangers associés à l'infrastructure de l'île, notamment des routes non-éclairées et la circulation de matériel dangereux. Diego Garcia abrite des installations militaires sensibles, y compris un port, un aéroport et des dépôts de munitions. Cependant, les avocats et la délégation sur place ont contesté la validité de cet argument.
En effet, de nombreux civils, employés pour la maintenance, la sécurité et d'autres services sur l'île, jouissent d'une liberté de mouvement bien plus grande que celle des demandeurs d'asile. Ces civils reçoivent des formations en matière de santé et de sécurité, mais les autorités n'ont jamais expliqué pourquoi une formation similaire ne pouvait pas être fournie aux demandeurs d'asile.
Le traitement inhumain des demandeurs d'asile a également attiré l'attention des organisations internationales. En novembre 2023, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) avait conclu que la détention arbitraire des demandeurs d'asile sur Diego Garcia, en l'absence d'un cadre légal clair, violait gravement leurs droits fondamentaux.
Alors que la Cour suprême du BIOT doit rendre son jugement, plusieurs issues sont envisageables. Les demandeurs d'asile pourraient se voir accorder davantage de liberté de mouvement sur l'île, ou, dans le meilleur des cas, être autorisés à quitter Diego Garcia.