Dans la galerie des figures féminines emblématiques que nous parcourons depuis plusieurs semaines déjà, nous avons croisé celles qui ont marqué l'histoire de ce pays à un titre ou à un autre. Mais il en est d'autres qui ont marqué les esprits et dont l'influence persiste jusqu'à nos jours de par les messages dont elles étaient porteuses à destination du grand public. Ces messages s'expriment par des symboles que décodent des intermédiaires régissant les espaces propres à l'expression de cette forme de communication, les zaouïas, que continuent d'animer diverses confréries. Cette fois, nous allons nous rendre dans l'une de ces zaouïa, dans la médina de Tunis, où l'on continue à célébrer la mémoire de l'une des saintes les plus populaires de la capitale, Saïda Ajoula.
A défaut d'histoire vraie, c'est à travers l'hagiographie orale que nous allons faire sa connaissance. Elle nous a été rapportée dans l'excellent ouvrage de Emna Ben Miled, intitulé : «Les Tunisiennes ont-elles une histoire» publié en avril 1998. Ci-après la substance de la relation que fait l'auteure de la vie de Saïda Ajoula.
De son véritable nom Haoua ed-Demnia, elle était originaire de la Saguia el-Hamra, dans le nord de l'actuel Sahara Occidental que sa famille quitta lorsqu'elle était encore enfant pour venir s'installer à Tunis. Devenue adulte, elle a été mariée à un homme d'origine turque, jaloux et sévère, et dont elle eut de nombreux enfants. Mais après son mariage, elle se comporta en femme libre. Elle n'acceptait pas la claustration au foyer ni de revêtir le voile à une époque où les femmes citadines étaient cloîtrées et voilées et se disputait fréquemment avec son mari à cause de cela. Ce comportement lui valut, de son vivant, le qualificatif de «hourra»-femme libre.
Libre mais tout autant pieuse, elle était d'une grande élévation d'âme, ce qui la conduisit vers un état de grâce qui se traduisit par l'accomplissement de prodiges que l'on assimila rapidement aux miracles propres aux saintes personnes. On raconte ainsi qu'un jour, après une énième dispute avec son mari à cause de son comportement de femme émancipée, elle se cacha derrière une colonne du patio de sa demeure puis devint invisible. Elle voyagea dans les airs, atteignant instantanément la ville de Tripoli avant de retourner tout aussitôt dans son foyer. Témoin de ce premier d'une longue série de miracles, son mari reconnut en elle le sceau de la sainteté. Et pour le prodige dont elle avait été l'artisane en un rien de temps, on l'aurait surnommée Saïda Ajoula, la Sainte Agile !
Ajoula avait la baraka. On rapporte qu'elle guérissait des malades atteints de cécité par un simple toucher des yeux. Inversement, elle pouvait jeter un mauvais sort à un voyant et le rendre aveugle. On dit aussi qu'elle pouvait transformer une poignée de couscous en véritable festin nourricier de grands rassemblements. Mais peut-être que le «miracle» qui éclaire le mieux le mystère de cette sanctification par la ferveur populaire est celui qui la présente recueillie dans un four à pains ardent, filant sa laine. La flamme de la spiritualité et l'engagement dans le combat du quotidien balisent la voie sur le chemin du salut.