Cet article se veut une réflexion sans complaisance sur la scène artistique camerounaise, en particulier celle des musiciens. Mon regard n'est pas extérieur : mon frère aîné était un artiste reconnu, ce qui m'a permis de fréquenter ce milieu de près.
Le Cameroun, terre de cultures diversifiées, regorge de talents musicaux. Les musiciens y émergent à profusion, comme des champignons après la pluie, issus des quartiers et des villes. Mais, à l'instar des footballeurs, la rivalité y est féroce. Chacun aspire à être le premier, et lorsque cette place n'est pas facilement accessible, tous les moyens deviennent bons pour la conquérir.
Cette compétition intense façonne peu à peu leur attitude. La plupart des artistes que j'ai rencontrés partagent des récits amers sur leurs premières expériences, souvent marquées par l'indifférence ou l'hostilité de ceux qu'ils considéraient comme des mentors. Pour illustrer, je me souviens d'une soirée musicale organisée en hommage à Kotto Bass, où le doyen Nkotti François avait déclaré publiquement que la mort de ce dernier ne venait pas de leur milieu, affirmant qu'il n'y avait pas de haine entre les artistes.
Eboa Lotin, prenant la parole après lui, rétorqua ironiquement : « Quand Nkotti dit qu'il n'y a pas de haine entre nous, j'ai bien ri. » Il raconta alors comment, lorsqu'il était encore jeune, il avait sollicité l'aide de Manu Dibango, déjà établi, qui lui avait demandé de jouer quelques chansons. Après sa prestation, Manu lui demanda s'il exerçait un autre métier, ce à quoi Eboa répondit qu'il était également menuisier. Manu lui conseilla alors de se consacrer à la menuiserie.
Cette hostilité n'est pas un cas isolé. Dieu seul sait comment ce Manu était un homme chaleureux et humaniste à l'égard de tous. Eboa Lotin, ce même soir, évoqua également un incident avec Anne-Marie Nzié, qui, lors d'un spectacle dans les années 70, avait délibérément fait débrancher les câbles juste avant sa performance pour saboter son passage. Ces rivalités sont monnaie courante : Lady Ponce et Coco Argenté en ont fait les frais récemment, tout comme Chantal Ayissi et Mani Bella, ou encore Petit Pays et Samy Diko, dont les différends semblent sans fin.
Dans les années 80, Manulo et son groupe ont également traversé des conflits internes. On ne peut non plus passer sous silence les tensions entre Ndedi Eyango et Longue Longue. Les exemples abondent, et il est rare qu'un groupe de chanteurs camerounais survive ensemble plus de deux ans sans se désagréger.
Le monde artistique est marqué par une méfiance mutuelle. Les humoristes, en particulier, se livrent des batailles acharnées. Je me rappelle des rivalités latentes entre Antonio et Mechekan l'Africain qui illustre bien cette dynamique : Dans les groupes de musiques dirigés par les doyens, les figures établies refusent de céder la place aux jeunes talents. Une jalousie omniprésente, comme l'a chanté Afo Akom dans Yerima. Les coups bas, les trahisons et les abus de confiance sont monnaie courante dans ce milieu. Certains artistes n'hésitent pas à s'immiscer dans la vie sentimentale de leur collègue, les problèmes des femmes sont à l'origine de beaucoup de mésententes. La plupart du temps, ces tensions se limitent à des jalousies mesquines, mais il arrive que les querelles dégénèrent, surtout lorsqu'il y a d'importants enjeux financiers en jeu.
Les musiciens camerounais font face à trois grands dangers. Le premier vient de leur propre famille, qui peut se retourner contre eux dès qu'ils commencent à briller. Le deuxième danger, ce sont les femmes. Fascinées par la célébrité des artistes, les femmes se battent pour les garder, tandis que ces derniers cherchent constamment la meilleure « conquête ». Enfin, le troisième danger réside dans la rivalité avec leurs pairs : la haine s'installe dès qu'un artiste est préféré à un autre dans des concerts somptueux. À cela s'ajoute un mode de vie souvent débridé. Les artistes négligent leur santé, festoient sans retenue, et ne consultent un médecin que lorsque la maladie frappe.
Ce manque de discipline est souvent lié à un niveau de culture relativement bas. Tout comme les footballeurs, nombreux sont ceux qui manquent de recul intellectuel et se laissent séduire par des pratiques douteuses dans leur quête de succès. Environ 80 % des artistes s'adonnent à des rites obscurs pour atteindre la gloire. Et dans les pratiques ceux qui sont faibles autour de toi peuvent être frappés. Qu'est ce qui a tué Mamadou Aijo ? Cet artiste qui vivait sans histoire. On ne sait pas. Pleines de choses se racontent. Mais entre réalité et fiction de ce qui se dit, la vérité n'est jamais loin.
On peut l'avoir éliminé depuis 10 ans et même 20 ans. Tout porte à croire qu'il a été anéanti lentement. Le monde des musiciens ou du showbiz tout court, est un univers fragile, où les véritables amis sont rares et les drames fréquents, même si certains scandales restent tus faute de preuves. Ce sont des vipères. Pourtant il y a ceux qui vivent avec pureté dans ce monde de la musique. Aijo pouvait être de ceux-là. C'était un poète dans l'âme.
Néanmoins, on ne peut nier que ce milieu regorge de talents inestimables. L'un des aspects les plus durables de la musique camerounaise est son éclectisme. Ses multiples rythmes syncopés et ses expressions artistiques vibrantes témoignent de la richesse de la culture camerounaise, tout en intégrant des influences qui viennent de la Côte d'Ivoire ou du Congo-Kinshasa. Le Makossa et le Bikutsi, ces genres folkloriques dominants, continuent de faire rayonner cette identité musicale unique, et toujours en perpétuelle évolution.