La sortie de Ni chaînes ni maîtres est l'occasion de (re) lire l'ouvrage de référence d'Amédée Nagapen, Le marronnage à l'Isle de Franceîle Maurice, Rêve ou riposte de l'esclave. Ce livre fait partie de la documentation utilisée par le réalisateur français Simon Moutaïrou. L'ouvrage a été publié en 1999 par le centre culturel Nelson Mandela pour la culture africaine. En 2000, l'auteur, qui était membre de l'Académie des sciences d'outre-mer, a reçu le Grand prix littéraire des océans Indiens et Pacifique pour cette œuvre.
Amédée Nagapen, historien disparu en 2012, y consacre tout un chapitre à Madame La Victoire, chasseresse. Il s'appuie sur diverses sources contemporaines – des témoignages écrits par des personnes ayant rencontré la dame - pour détailler sa vie, de la naissance à la mort. Amédée Nagapen souligne que Madame La Victoire « appartient aujourd'hui au patrimoine culturel de l'île Maurice ».
Extrait
«Son nom et ses réalisations sont revenus sous la plume de maints chroniqueurs qui ont laissé un faisceau de récits circonstanciés. Parmi, l'abbé de la Caille, le baron de Vaux, Bernardin de Saint-Pierre et Maximilien Wiklinsky. Elle s'appelle Michelle Christine Bulle et naquit en 1724 à Périgueux (Dordogne), en France. Ses parents étaient Chris- tine Bert et Pierre François Bulle, dit Comtois, sergent dans les troupes de la Compagnie des Indes. En 1727, à l'âge de trois ans, elle se trouvait déjà, avec sa famille, à l'Isle de France, d'où elle repartit peu après. En 1730, la fillette de six ans retourna sur le vaisseau le Mars.
En novembre, 1731, elle fut sauvagement violée par le soldat Bellamy. Immédiatement, le militaire fut jugé et pendu haut et court. Il paya ainsi de sa vie sa crapuleuse canaillerie.
Alors qu'elle n'était encore qu'une adolescente, son père quitta le métier des armes pour s'installer comme colon sur le littoral du sud-est, au pied de la montagne Bambous, au Grand-Port. Dans le même quartier, s'était installé un autre colon, un ancien sergent, Joseph Le Masson, dit La Victoire, propriétaire d'une habitation prospère.
Le 9 janvier 1739, dans la petite église Notre-Dame à Port-Bourbon, plus tard Vieux-Grand-Port, la jeune Michelle, même pas quinze ans, épousa le riche Joseph Le Masson. Désormais, elle ne fut plus désignée que sous le nom de Madame La Victoire. Elle sut épauler efficacement son mari dans l'exploitation de la concession. La famille habitait une confortable demeure de pierres perchée sur une hauteur, près de la Pointe du Diable (...)
Victime d'incursions continuelles des pillards sur son habitation, Madame La Victoire résolut non seulement de défendre et de protéger son exploitation, mais encore d'être proactive. Habile cavalière, elle décida de monter des expéditions dans le but de faire disparaître les attentats, les maraudes, les déprédations infligés aux alentours de Port-Bourbon. À cette fin, avec le concours de ses deux fils, elle entraîna une bonne douzaine de ses esclaves et déclara la guerre aux marrons. D'emblée, son initiative fut couronnée de succès. Dès lors, elle prit goût à ces aventureuses randonnées, augmenta sa troupe et intensifia ses campagnes de nettoyage (...)
Le gouverneur d'alors, qui était le gouverneur Desroches, étonné et charmé du courage de cette guerrière, lui assigna cent livres par tête de noir qu'elle tuerait et cent cinquante pour ceux qu'elle emmènerait vivants au port. »