Ile Maurice: «Ni chaînes ni maîtres c'est Rs 122 millions dépensées à Maurice»

24 Septembre 2024
interview

Niven Pareemanen de Nine Pictures company est producteur exécutif de «Ni chaînes ni maîtres». Du budget local au recrutement des équipes, en passant par les démarches administratives, il a travaillé sur ce film français entièrement tourné à Maurice. Ce long-métrage sur le marronnage est en salles, chez MCiné et les cinémas Star

En tant que CEO de Nine Pictures, comment vous êtes-vous positionné pour obtenir le contrat de producteur exécutif du film français «Ni chaînes ni maîtres» ?

C'est un coup de chance. J'étais Line producer du film de David Constantin Simin zetwal (NdlR : sorti en 2022). Quand le producteur délégué Nicolas Dumont de Chi Fou Mi (NdlR : société qui produit Ni chaînes ni maîtres) est venu à Maurice, il a discuté avec son contact, David Constantin, qui lui a parlé de moi.

Y a-t-il maintenant suffisamment de compétences locales pour remplir tous les postes nécessaires pour faire un film?

Pas tous. Le département où c'est toujours plus compliqué, c'est le production designer ou chef déco. Après, cela dépend de la sensibilité du réalisateur. Le réalisateur, le directeur de la photo et le chef déco marchent ensemble. C'est le réalisateur qui choisit son chef déco. Nous en avons de très bons, comme Arvind Mattadeen et Azim Mollan, mais ce sont les seuls.

Pour Ni chaînes ni maîtres, Emilien Jubeau a mis en place la vision de David Bersanetti, le chef déco. Il y a aussi Bénédicte Banessy, mais c'est un département où nous sommes un peu plus faibles.

(Niven Pareemanen entouré de son partenaire Olivier Sulpice et du réalisateur Vincent Gilliet.)

Sur les petits projets qui viennent régulièrement, les tournages pour Netflix, les séries européennes, nous pouvons tout faire. Mais pour ce qui du lourd, comme Hollywood, c'est en général une vision tellement différente qu'il faut aller chercher ailleurs pour combler les équipes.

Maurice peine par manque de formation ou est-ce une question de sensibilité artistique ?

Il y a très peu de gens qui vivent de l'industrie du ciné- ma à Maurice, environ 50 à 75 personnes, grand maximum une centaine. Beaucoup triment. Les jeunes qui sont encore chez leurs parents peuvent se permettre de faire un projet pendant deux-trois mois et puis de faire autre chose, bat enn ti travay en attendant le prochain projet de cinéma. C'est une question de passion. Il y a des gens qui peuvent tout lâcher pour travailler sur un tournage. C'est vraiment une drogue. Vivre ces mois intenses avec une équipe, vous ne retrouvez cela dans aucun job. Le plus compliqué, c'est de quitter un film.

J'ai la chance d'en vivre parce que Nine Pictures derrière fait des pubs. Cela fait sept ans, depuis Serenity (NdlR: tourné à Maurice en 2017) que je ne fais que des tournages de cinéma. J'ai créé Nine Pictures parce que j'obtenais des contrats de pubs locales et internationales. Tout travail est bon à prendre. Cela m'a permis de rencontrer plus de jeunes, de former des équipes, d'étendre mon réseau.

Pour ce qui est du chef déco, cela dépend très souvent de la sensibilité du réalisateur. Il faut que le production designer et le réalisateur s'entendent sur la vision artistique. Ce n'est pas dit qu'un production designer puisse faire tous les tournages contrairement à un technicien qui lui, peut travailler sur tous les tournages. Très peu d'entre nous avons eu la chance de faire des écoles de cinéma. Ce sont les tournages, le contact avec des professionnels étrangers qui nous ont formés.

«Ni chaînes ni maîtres» était votre premier contrat avec un long métrage français ?

Premier projet en tant que producteur exécutif, premier projet en tant que local service provider pour Nine Pictures. Cela a été une opportunité et une leçon extraordinaire.

Détaillez votre rôle de producteur exécutif.

J'ai été en contact avec la production dès fin 2022. Les seules personnes que la production avait rencontrées à Maurice jusque-là, c'était David Constantin et Amaury Bouchet, le régisseur général. La première chose que la production souhaite, c'est visiter le pays. Une fois les repérages faits, que la production trouve le Film Rebate Scheme intéressant, elle se met en contact avec un producteur local.

(Au centre, l'actrice mauricienne Ornella Blanchet qui apparaît dans Ni chaînes ni maîtres.)

Ma mission c'est de rentrer dans la faisabilité de ce que souhaite l'équipe française. Monter les budgets, demander le rebate, recruter les équipes locales, sou- mettre les demandes d'autorisation pour l'importation d'armes et d'animaux. Être le fixeur sur le terrain pour que les choses avancent, aller voir des sponsors. Le travail du producteur exécutif commence bien avant que l'équipe de tournage n'arrive. Jusqu'à la semaine dernière, j'étais encore en train de fermer le projet parce qu'on a eu le rebate assez tard.

Quel aspect de votre rôle de producteur exécutif a été le plus dur ? Obtenir le «rebate scheme» ?

Ce n'était pas le plus dur, mais le plus long. Le plus dur c'était l'importation du chien.

Un molosse qui, dans le film, connaît une fin tragique.

C'est un chien-acteur connu en France. Il a sept ans et est entraîné depuis qu'il est né. Il a déjà tourné dans une dizaine de films. En France, il est considéré comme une personne, ce qui n'est pas le cas à Maurice. Pour les autorités, c'est l'importation d'un chien, point. Les conditions de quarantaine à Maurice sont compliquées.

C'est pour cela que dans le film, à un moment donné on ne voit plus le chien. C'est parce qu'il était en quarantaine. Les autorités ont fi- ni par comprendre, mais il y avait un minimum strict à observer, même si le chien avait toutes sortes de certifications et de vaccins. Franchement, le chien a un dossier médical plus épais que nous. Tout était en règle, mais il a fallu le laisser en quarantaine plusieurs jours, ce qui est énorme pour le tournage.

Revenons au «Film Rebate Scheme», pourquoi a-t-il mis du temps à aboutir ?

Vu que c'est une collaboration franco-mauricienne, beaucoup d'informations devaient venir de France. C'est surtout à cause de cela que les conditions finales du rebate ont tardé. Ce n'est pas du côté de l'Economic Development Board. En général, si on vous dit que vous l'aurez dans un mois, cela tombe dans un mois et demi.

Ce sont des remboursements de frais de tournage de quel ordre ?

On a dépensé Rs 122 mil- lions (autour de 2,3 millions d'euros) sur le territoire local. Le budget total du film, avec toutes les dépenses françaises, tourne autour de 7 millions d'euros (environ Rs 359 millions). C'est un petit budget.

Mais une bonne moyenne pour Maurice ?

Même plus. En général, nous avons des budgets de Rs 50 millions à Rs 80 millions. Dépasser la centaine de millions, c'est assez rare. Ni chaînes ni maîtres est l'un des gros films de ces trois dernières années.

Quelle est la suite pour Nine Pictures ?

En mars 2025, nous produirons un long métrage mauricien. C'est le premier film du réalisateur, on croit en lui, on croit dans le scénario, on pense qu'avec un petit budget on pourra faire quelque de sympa.

Petit budget c'est Rs 5 millions ?

Moins de Rs 10 millions en tout cas. J'avais produit The Blue Penny (2023) avec Zia Eckburally, Olivier Sulpice et Jon Rabaud. On a dépensé Rs 1 million en réel. On a été sponsorisés, des gens sont venus cadeau, mais le film a été estimé à Rs 22 millions.

En novembre 2025, nous aurons une coproduction mauricienne, réunionnaise et française. C'est parti d'une phrase du chef maquillage et effets spé- ciaux qui était à Maurice pour Ni chaînes ni maîtres. Quand nous étions dans les cannes, il a dit à mon partenaire Olivier Sulpice, «vous avez tout ce qu'il faut pour faire un film. Si on lâche des zombies, ça peut vraiment péter». Donc, film de zombies pour l'année prochaine.

Et puis, le projet de coeur que nous préparons depuis deux ans avec le réalisateur Vincent Gilliet c'est Rivage de la colère, roman de Caroline Laurent. Nine Pictures a ache- té les droits d'adaptation cinématographiques. L'auteure participe à l'écriture du scéna- rio. Nous sommes à l'étape de levée des fonds.

Point de vue : «Le scénario m'a plus ému que le film»

Impressions de Niven Pareemanen après la première de Ni chaînes ni maîtres : «j'ai eu la chance de lire le scénario. Le scénario m'a plus ému que le film. C'est comme quand vous lisez un livre, l'adaptation au cinéma est magnifique mais ce n'est pas monté aussi haut et aussi fort que dans l'écriture. Il y a de grosses scènes qui n'ont pas passé l'étape du final cut. La production doit avoir ses raisons. On sent vraiment la quête de Massamba incarné par IbrahimaMbaye. À la fin, c'est le moment magique de la libération. Je salue la première réalisation de Simon Moutaïrou. Il a fait un travail de chef. Si je devais le noter ce serait 8, voire 8,5 sur 10. Je suis fier d'avoir travaillé dessus».

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