Même si le gouvernement a pris de nombreuses mesures pour venir en aide à une industrie qui doit affronter plusieurs défis, il existe trois problèmes qui, selon les acteurs de cette industrie, l'empêchent de rapporter de nouvelles valeurs économiques, sans augmenter son coût de production. Ils sont le manque de main-d'oeuvre, l'abandon continu des terres qui étaient sous culture de canne et le manque d'eau pour les besoins industriels et agricoles.
Face à des difficultés qui jalonnent son difficile parcours, dont le changement constant dans son prix de vente sur les marchés extérieurs, le secteur sucrier mauricien est-il en mesure de se donner les moyens d'augmenter sa productivité et de rapporter de nouvelles valeurs économiques à la maison ?
C'est l'une des nombreusesthématiques évoquées dans le cadre des travaux de la dernière assemblée générale annuelle du Mauritius Sugar Syndicate, le jeudi 19 septembre, à l'hôtel Labourdonnais.
Mahen Seeruttun, ministre de l'Agro-industrie et de la sécurité alimentaire, qui était l'invité d'honneur du Syndicat des sucres, estime que c'est possible. «Une fois de plus, je réitère mon appel à tous les acteurs engagés dans la production du sucre pour qu'ils mettent tout en oeuvre pour qu'une hausse du niveau de leur productivité devienne une réalité. Une option rendue indispensable.»
Mission pas impossible
En dépit des éléments négatifs, dont l'instabilité des prix offerts par les marchés extérieurs, la baisse du prix par tonne de sucre depuis le démantèlement du Protocole Sucre en 2009 pour atteindre les Rs 8 700 la tonne en 2018, suivie de l'abandon par de nombreux planteurs de terres consacrées jusque-là à la culture de canne,Mahen Seeruttun persiste et signe en affirmant que cette hausse du niveau de la productivité n'est pas impossible.
Il s'est appuyé sur un constat qui, selon lui, constitue la preuve qu'il est possible de relever les défis que pose une éventuelle hausse de niveau de productivité dans le secteur du sucre mauricien. Il s'agit de la prompte intervention de l'État à proposer des mesures courageuses pour venir en aide à un secteur en difficulté afin de le faire rebondir. «Il s'agit de mesures et de décisions courageuses prises dans le cadre du Budget 2024-25 pour créer les conditions devant permettre à l'industrie sucrière de faire face aux difficultés et aux contraintes auxquelles elle est confrontée.»
Il en a cité au moins une bonne dizaine, parmi lesquelles la décision prise par le gouvernement de donner aux planteurs une avance de 80 % sur la vente de leur sucre pour la récolte de 2024, basée sur une estimation de prix du Syndicat des sucres. Cette mesure a été prise de concert avec la Mauritius Cane Industry Authority,dont la principale responsabilité est de mener des projets de recherche, de développement et d'innovation devant permettre au secteur d'accroître sa production et sa productivité au niveau des champs et des usines, alors que le Syndicat des sucres est chargé de la commercialisation du sucre mauricien.
Il y a aussi l'allocation de Rs 75 millions dans le cadre du Cane Replantation Scheme pour venir en aide aux propriétaires de plantations de petites et moyennes superficies afin de relancer la culture de la canne sur des terres abandonnées. Une mesure devant permettre à quelque 1 250 arpents de terre de retrouver leur place de production de sucre. Puis, vientl'allocation d'une somme de Rs 1,1 milliard pour que les activités du National Business Framework puissent avoir lieu.
Il s'agit d'une initiative au terme de laquelle le gouvernement devrait en finir, d'ici 2030, avec un système de production d'énergie électrique reposant essentiellement sur l'utilisation du charbon, celle-ci étant remplacée par des sources d'énergies renouvelables susceptibles de satisfaire 60 % des besoins du pays en électricité.
Une autre mesure est le recours aux dispositions du National Resilience Fund pour assurer un retour équitable aux producteurs de bagasse au taux de Rs 3,50 par KWh, soit l'équivalent de Rs 3 000 par tonne de sucre. Sans compter la mise en place au niveau de la Banque de Développement d'une enveloppe de Rs 500 millions à un taux préférentiel annuel de 2,5 % pour assurer le retour de quelque 7 000 arpents de terre dans le circuit de la culture de la canne.
Ce plan d'aide est à la disposition des planteurs désireux de reprendre la culture qu'ils ont abandonnée.
Révision urgente du prix de la bagasse
Elles sont nombreuses les initiatives prises déjà pour redynamiser les activités dans le secteur sucrier sur les terres où la culture de la canne se fait déjà, avec pour objectif justement de faire en sorte que les facteurs engagés dans la production du sucre puissent rapporter de nouvelles valeurs économiques pour permettre au sucre mauricien de consolider le niveau de sa compétitivité actuelle.
Parmi les nombreux sujets abordés par Fabien de Marase Esnouf, président sortant du Mauritius Sugar Syndicate, deux sont directement liés à la question de productivité. Il s'agit de la rémunération pour les produits résultant de la fabrication du sucre de canne comme la bagasse et la biomasse.
Et par rapport aux sousproduits, le président sortant du Syndicat des sucres est d'avis que leur commercialisation devrait permettre aux producteurs de disposer d'un certain niveau de revenus qui pourraient les aider à neutraliser l'effet de la volatilité du prix de vente du sucre sur les marchés étrangers.
«C'est ainsi, Monsieur le ministre, qu'il faut en permanence procéder à un ajustement du prix de la bagasse et de la biomasse, de sorte que cet exercice reflète le prix du marché des énergies fossiles dont on veut se débarrasser non seulement dans les faits mais qu'il constitue aussi une initiative à laquelle on aura recours tout le temps comme une incitation pour s'adonner à la production supplémentaire de biomasse. C'est dans ce contexte que le prix de Rs 3,50 par KWh, entré en vigueur en 2021, est déjà obsolète et nécessiteune révision urgente.»
Principales contraintes
Même si les opérations ayant trait spécifiquement à la production de la canne et à la fabrication du sucre ne relèvent pas directement des attributions du Syndicat des sucres, Fabien de Marase Esnouf a évoqué trois contraintes qui ne permettent pas aux acteurs de l'industrie sucrière de saisir toutes les opportunités pouvant l'aider à s'offrir de nouvelles valeurs économiques.
Il s'agit du manque de main-d'oeuvre, celui de la diminution continue des terres sous culture de la canne et un problème de manque d'eau.
Pour Fabien de Marase Esnouf, la principale contrainte de l'industrie sucrière est le manque de maind'oeuvre. Il affirme que ce problème n'est pas un phénomène qui touche 80 % des terres où la mécanisation est possible mais le reste des terres où la présence de la main-d'oeuvre est indispensable.
Il ne nie pas le fait que des mesures ont été préconisées pour trouver une solution à ce phénomène mais elles tardent à se matérialiser. «Il nous faut des solutions capables de neutraliser l'effet d'un problème dont l'impact est vite répandu. Gardons espoir que ce problème de manque de main-d'oeuvre sera chose du passé avec les amendements que l'on propose d'apporter à la Workers' Rights Act afin qu'il y ait plus de flexibilité au niveau du recrutement des travailleurs étrangers, tout en s'assurant que l'emploi de ces derniers ne constitue pas une menace pour la viabilité des planteurs, en dépit d'une fluctuation au niveau des revenus de leurs ventes annuelles. Le passage de l'intention à l'acte est indispensable.»
En raison des problèmes de nature structurelle, le président sortant du Syndicat des sucres estime que la superficie consacrée à la canne diminue en dépit de l'émergence de situations susceptibles d'apporter une hausse de revenus.
«Même si nous ne disposons pas de chiffres officiels, nous estimons à 10 000 hectares la superficie de terre où il n'y a plus d'exploitation de la canne depuis des années. Si nous faisons allusion aux revenus totaux enregistrés pour la récolte de 2023, et la moyenne de production, le manque à gagner en termes de revenus s'élèverait à quelque Rs 2 milliards. Le retour de cette superficie dans le circuit de la culture de la canne augmentera non seulement les revenus des producteurs mais contribuera à consolider le niveau de compétitivité du secteur sucrier, tout en donnant au Syndicat des sucres la capacité à consolider davantage sa position sur le marché et la flexibilité voulue pour rechercher de meilleurs prix pour le sucre mauricien. On doit redoubler d'efforts pour renverser cette tendance.»
L'autre souci de l'industrie sucrière, affirme-t-il, est le manque d'eau pour satisfaire les besoins industriels et agricoles.
«Le renouvellement de la Central Water Authority Dry Season Regulation pendant les deux dernières années, couplé à l'octroi de nouveaux quotas d'eau pour les besoins de l'irrigation dans certaines régions, porte préjudice à l'industrie sucrière. En tant que producteurs, notre souhait est d'être partie prenante de la recherche d'une solution durable incluant la mise en place d'un meilleur système de stockage, de distribution et de gestion des ressources nationales en eau.»
Points de repères
Facteurs responsables des baisses du prix sur le marché international
Pour la récolte de 2023-24, le Brésil a, selon les dernières estimations, le potentiel de placer quelque 46 millions de tonnes de sucre sur le marché en raison de meilleurs conditions climatiques et d'un accent prononcé pour la production de plusieurs types de sucre au détriment de l'alcool propre à l'industrie sucrière qu'est l'éthanol.
La décision temporaire de l'Inde de réduire la conversion du jus de la canne en éthanol a eu pour résultat une baisse de 20 % au niveau des contrats à terme sur le sucre, une situation qui risque potentiellement d'influencerles négociations pour la récolte de 2024.
L'augmentation du volume d'exportation du sucre blanc de l'Ukraine aux pays européens est passée de 20 000 tonnes à 430 000 tonnes pour la récolte 2022-23 et à 660 000 tonnes pour la saison 2023-24. Une performance qui résulte de l'octroi de facilités hors taxes aux frontières des pays faisant partie de l'Union européenne, comme soutien à l'Ukraine, après la guerre déclenchée contre elle par la Fédération de Russie.
La hausse par 1 million de tonnes de sucre de betterave par rapport à l'année précédente : face à la possibilité de réduire les prix offerts pour le sucre importé, les acheteurs européens ne se sont pas fait prier pour agir. Le résultat est que le prix courant du marché offert pour le sucre avec la possibilité d'assurer une livraison dans les meilleurs délais, qui se chiffrait à 1 000 livres sterling par tonne au début de 2023, a commencé à chuter pour atteindre les 700 livres sterling en mars.
Les chiffres à retenir
65: c'est le nombre d'acheteurs du sucre mauricien. Un résultat qui fait suite à un projet de repositionnement du label mauricien en juin 2021.
50 : c'est le nombre d'acheteurs qui se sont déjà inscrits sur «Les Grands Sucres», plate-forme virtuelle, lancée par le Syndicat des sucres en octobre 2022.
2 : il s'agit du nombre de récolteuses, incluant les accessoires appropriés,dont l'acquisition a pour objectif de venir en aide aux planteurs lors de la récolte de la canne et pour en transporter les tiges ainsi coupées vers les usines sucrières. Cette acquisition a été faite par le gouvernement par le biais de la MCIA et la Mauritius Co-operative Agricultural Federation, une société coopérative fondée en 1950.
Concurrence déloyale
La situation qui met mal à l'aise les acteurs de l'industrie sucrière locale a pour origine l'importation imminente d'un sucre qualifié de «sucre à bon marché» en provenance spécifiquement des pays faisant partie de la Southern African Development Community et du Common Market for Eastern and Southern Africa, deux organisations régionales dont Maurice fait partie.
Un type de sucre destiné à la consommation tant humaine qu'industrielle et qui peut entrer sur le marché des pays de l'Union européenne sous un régime d'entrée sans frais de douane à payer.