Le père Noël passera-t-il une nouvelle fois à Pailles ce dimanche ? Comme en 2019, presque à la veille des élections, les retraités, certainement plus nombreux en cette année électorale, s'attendent à ce que Pravind Jugnauth casse la baraque et clôture sa série de cadeaux avec un 14e mois. Ce qu'on laisse entendre dans certains milieux proches du Sun Trust, avant la dissolution du Parlement.
Le Premier ministre, qui aime comparer les prestations sociales - plus particulièrement la pension universelle à laquelle les seniors ont eu droit ces dix dernières années - à celles sous le mandat du précédent régime, ne peut rater cet événement sans une annonce phare. Ce, pour perpétuer le «feel-good factor» très présent parmi cette frange de la population, constituant un important réservoir de votes, un poids politique certain dans une période électorale.
Avec plus de 270 000 bénéficiaires, c'est déjà un quart de l'électorat du pays qu'aucun parti politique n'ose aujourd'hui négliger, trop sollicités ces dernières années et caressés dans le sens du poil. Pour autant, il ne faut pas se leurrer : le coût financier des prestations sociales a considérablement augmenté, certains diront qu'il a explosé. En dix ans, l'enveloppe financière de la pension a triplé : de Rs 14 milliards en 2014, elle atteint environ Rs 47 milliards aujourd'hui et devrait passer la barre des Rs 50 milliards l'an prochain pour atteindre Rs 55 milliards en 2026 et Rs 57 milliards l'année suivante. C'est dire les pressions et le poids financier sur le financement de l'État providence.
Loin d'affirmer que les personnes âgées ne méritent pas d'être adéquatement récompensées, avec un niveau de pension susceptible de faire face à la cherté de la vie et une roupie largement dépréciée (-30 % vis-à-vis du dollar) depuis décembre 2019, il ne faut pas en même temps occulter que le vieillissement de la population demeure un défi démographique auquel le pays sera appelé à faire face dans les années à venir. Les statistiques officielles à ce sujet pointent vers un constat pour le moins frappant, celui portant sur la proportion des seniors dans la population : 8 % en 2000 à environ 20 % aujourd'hui. Ce chiffre devrait atteindre près de 25 % d'ici 2050, transformant radicalement la pyramide des âges.
En parallèle, le taux de natalité continue à chuter. Il est de 9,8 pour 1 000 habitants actuellement, contre 10,2 en 2023. Ce qui limite ce que les spécialistes appellent la capacité de «renouvellement générationnel», alors que cette tendance met en lumière une dynamique inquiétante, déjà visible depuis quelques années avec une réduction graduelle de la population active face au phénomène du vieillissement de la population. Les chiffres sont effarants : 150 000 paires de bras en moins en 2050 et 300 000 en 2100, selon des études. Qui indiquent dans le même temps que la population devrait être ramenée à 800 000 à la même période, suivant cette bombe démographique.
Une telle situation entraîne forcément des enjeux. Kris Valaydon, démographe, en relève certains, dont le ratio de dépendance qui continuera d'augmenter et exercera une pression accrue sur les individus de la tranche d'âge de 15 à 64 ans, dont le nombre a déjà commencé à diminuer. «Il y a aussi la disponibilité des ressources humaines nécessaires au fonctionnement de l'économie, une situation qui pose déjà problème. Le vieillissement de la population augmente par ailleurs le nombre de personnes dépendantes par rapport à la population en âge de travailler. Ces éléments ont des conséquences non seulement sur le plan économique, mais aussi au niveau social et sociétal.»
Services sociaux
Aujourd'hui, il faut compter un tiers des dépenses courantes de l'État (Rs 65 milliards pour l'année fiscale 2024-25) pour financer les bénéfices sociaux du pays, alors que la pension, à hauteur de Rs 51 milliards, représente à elle seule 25 %. Ce qui exerce de fortes pressions sur les finances publiques, alors que d'autres dépenses à caractère social relevant de la santé et de l'éducation n'ont pas connu de hausses aussi conséquentes au niveau de leurs dotations budgétaires.
Il n'y a pas mille solutions pour redresser la situation. Celles-ci se situent à deux niveaux : premièrement, inciter les couples à faire davantage d'enfants, donc plus de bras pour soutenir la croissance économique à long terme et, deuxièmement, ouvrir la porte à l'immigration professionnelle.
La première option comporte des considérations financières pour les familles : plus de 100 000 foyers perçoivent un revenu mensuel inférieur à Rs 25 000. Pour ces familles, davantage d'enfants entraînerait des dépenses additionnelles qu'elles ne sont pas, hélas, prêtes à encourir. Les deux alliances électorales ont proposé des mesures pour régler cette problématique, allant des allocations de maternité, à la Pregnancy Care Allowance en passant par des longs congés maternité payés.
L'ouverture du pays à une immigration sélective peut être une solution. La posture de celle-ci est éminemment simple. Elle consiste à ouvrir l'économie aux compétences étrangères dans des créneaux économiques pointus, susceptibles de positionner le pays dans des secteurs correspondants à son nouveau palier de développement. Cependant, l'immigration professionnelle n'est pas une solution miracle. Elle est à double tranchant car les implications sociétales peuvent être désastreuses si l'immigration n'est pas bien maîtrisée. Déjà, la décision de baisser le seuil d'éligibilité dans le Budget 2024-25 pour un Occupation Permit d'un professionnel à Rs 22 500 de salaire mensuel soulève un tollé parmi la classe politique et syndicale. Elle y voit des étrangers concurrencer fortement des travailleurs mauriciens sur certains types d'emplois.
Plus largement, des choix politiques difficiles peuvent occasionner des tensions sociales mais, à terme, sont susceptibles de produire des résultats positifs. Nommément : hausser les impôts, baisser le niveau des retraites, reculer l'âge de départ ou encore augmenter la population active en faisant travailler plus de seniors ou en amplifiant l'immigration. Des mesures qui ont déjà fait recette dans certains pays. À l'instar de l'Allemagne, qui a étendu l'âge de la retraite à 65 ans, alors qu'au Japon, le gouvernement a joué la carte de l'immigration en ouvrant ses frontières pour accueillir 3,2 millions d'étrangers pour pallier les effets d'une population vieillissante, où 30 % sont âgés de plus de 65 ans.
À Maurice, malgré les alertes d'institutions financières, comme le Fonds monétaire international dans le dernier Articles IV, pour réformer le système de pension en repoussant l'âge de la retraite à 65 ans pour bénéficier de la pension de vieillesse et revisiter la Contribution sociale généralisée (CSG), la volonté des dirigeants du pays, hier comme aujourd'hui, n'y est toujours pas.
Entre-temps, on se plaît à répéter que le système de pension reste une bombe à retardement...