La couverture médiatique de l'Afrique a toujours été dominée par des récits de maladies, de pauvreté, de conflits et d'instabilité politique. Ces représentations, ancrées dans l'histoire coloniale, continuent de façonner les perceptions et les décisions politiques au niveau mondial.
Une analyse nuancée et complète de la manière dont l'Afrique est représentée dans l'actualité mondiale pourrait contribuer à changer cette situation. Elle pourrait présenter une image plus équilibrée du continent.
En tant qu'enseignants et chercheurs expérimentés en journalisme et médias, notre récent Global Media Index for Africa apporte un éclairage sur la manière dont l'Afrique est représentée dans les médias mondiaux.
Notre Indice mondial des médias pour l'Afrique, récemment publié, apporte des éclairages sur la manière dont le continent est représenté dans les médias internationaux. Réalisé par une équipe de chercheurs de l'Université du Cap en collaboration avec Africa No Filter et The Africa Center, l'indice est la première étude quantitative à grande échelle sur la manière dont les médias internationaux représentent l'Afrique.
Africa No Filter est une organisation à but non lucratif qui milite en faveur d'un changement dans les récits stéréotypés sur l'Afrique. Le Centre pour l'Afrique offre des espaces de dialogue sur l'Afrique et sa diaspora à travers différentes plateformes.
L'Indice mondial des médias pour l'Afrique répond aux préoccupations de longue date concernant les stéréotypes et les récits biaisés persistants sur l'Afrique. Il prend en compte, entre autres, la profondeur de la couverture, la persistance des stéréotypes et le niveau d'équilibre. L'initiative vise à encourager les médias à adopter des approches plus équilibrées et plus diversifiées dans leurs reportages.
Évaluer les médias internationaux
L'indice inaugural est basé sur une analyse de contenu de plus de 1 000 articles de presse provenant de 20 médias internatioaux de premier plan, recueillis entre juin et décembre 2022. Il s'agit de CNN, Deutsche Welle, Bloomberg, The Guardian, The Wall Street Journal et Al Jazeera.
Les articles ont été évalués sur la base de quatre indicateurs clés : la diversité des sujets, la diversité des sources, la diversité des pays et la profondeur de la couverture. Chaque média a été noté en fonction de ces indicateurs, ce qui a permis d'obtenir une vue d'ensemble de ses performances.
Nos conclusions confirment les stéréotypes qui ont toujours caractérisé les reportages des médias internationaux sur l'Afrique. Les reportages continuent de se concentrer sur la guerre, les maladies, la corruption et l'insécurité. Le seul changement notable concerne les voix qui sont mises en avant dans ces reportages.
Ce type de reportage alimente les perceptions persistantes que d'autres régions du monde ont de l'Afrique et explique pourquoi le continent continue d'être considéré comme un "enfant en difficulté" qui a besoin de sauveurs étrangers.
Ces conclusions aideront les médias internationaux à améliorer la façon dont ils couvrent l'actualité de l'Afrique. Elles seront également utiles aux décideurs politiques africains et internationaux, ainsi qu'au grand public, qui souhaitent une couverture nuancée de l'Afrique.
L'actualité de l'Afrique ne se résume pas aux conflits, à la corruption, à la pauvreté, aux mauvais dirigeants, aux mauvaises politique et aux maladies. Elle concerne également le tourisme, le dividende démographique des jeunes et la valeur de ses abondantes ressources minérales stratégiques dans l'économie mondiale moderne axée sur la technologie.
Limites de la couverture médiatique
Moins de voix au chapitre : L'analyse a révélé une disparité entre les sexes dans les sources d'information. Les hommes, en particulier les élites puissantes comme les politiciens et les hommes d'affaires, ont dominé les récits. Les voix des Africains ordinaires, des femmes et des groupes marginalisés étaient notablement absentes.
La tendance des grands médias à ignorer les diverses sources d'information est inexcusable. Contrairement aux affirmations selon lesquelles ces sources ne sont pas disponibles, il existe des bases de données, en Afrique du Sud par exemple, qui répertorient diverses minorités démographiques, y compris les femmes, qui peuvent être citées.
Le journal The Guardian du Royaume-Uni a obtenu la meilleure note pour la diversité des sources, avec 62 %. Russia Today a obtenu le score le plus bas avec 36 %.
Portée limitée : La plupart des médias internationaux n'ont couvert en profondeur qu'une poignée de pays africains. Cela pourrait perpétuer l'idée que l'Afrique est une entité monolithique.
L'AFP a obtenu le meilleur score en termes de diversité des pays. Elle a couvert 56 % des pays africains, tandis que le Wall Street Journal en a couvert le moins, soit 31 % pour la période analysée.
Sujets limités : L'un des constats les plus frappants est la faible diversité des sujets traités. L'actualité africaine tourne toujours autour de la politique, de la pauvreté, de la corruption et des conflits. La culture, l'innovation, la technologie et d'autres développements positifs n'ont guère retenu l'attention. The Guardian a obtenu le meilleur score en matière de diversité des sujets avec 57 %. Le Washington Post se classe en queue de peloton avec 29 %.
Profondeur de la couverture : La profondeur de la couverture est l'un des points positifs de cette étude. Malgré des lacunes dans la diversité des sujets et des sources, la plupart des médias ont obtenu de bons résultats en termes de profondeur de la couverture. Cela inclut le contexte, l'équilibre et l'absence de stéréotypes. Le Monde s'est distingué par l'excellente qualité de ses contextualisation, avec un score de 95 %. Le Washington Post est à la traîne avec 69 %. Xinhua est le premier à éviter les stéréotypes avec un score de 97 %, tandis que The Economist occupe la dernière place avec 80 %.*
Comparaison de la profondeur de la couverture entre les différents médias
Le tableau d'ensemble montre que les 20 médias ont généralement obtenu de bons résultats en ce qui concerne la « profondeur de la couverture » pour les quatre sous-indicateurs que sont l'équilibre, le contexte, le cadrage et l'évitement des stéréotypes. CGTN est le moins performant, avec un score de 68 %. Deutsche Welle et Le Monde se partagent la première place avec un score de 94 %.
La couverture de l'actualité africaine par les médias étrangers suit souvent les politiques étrangères de leurs pays. Pendant des décennies, ces derniers ont considéré l'Afrique à travers le prisme de l'aide et non comme un partenaire à part entière. Les points de vue exprimés dans les années 1980 sont toujours d'actualité.
En outre, la représentation de l'Afrique est également destinée à leurs publics nationaux qui ont déjà des préjugés alimentés par des décennies de représentations erronées sur les écrans de télévision et dans la presse écrite. Ces publics ont été réduits à considérer l'Afrique au mieux comme un marché de consommation touristique et au pire comme l'épicentre des guerres, des maladies et de la corruption.
Implications pour les médias mondiaux
Les résultats de notre étude soulignent la nécessité d'adopter une approche plus équilibrée et plus complète des reportages sur l'Afrique. Cela contribuerait à une représentation plus précise et plus juste du continent, en remettant en cause les stéréotypes néfastes et en favorisant une compréhension plus nuancée des complexités de l'Afrique.
Nous recommandons que les médias internationaux :
- couvrent une plus large panoplie de sujets, en mettant en lumière les développements positifs dans les domaines de la culture, de l'innovation et de la technologie, parallèlement aux sujets d'actualité traditionnels;
- d'inclure une variété de sources, en particulier les femmes, les jeunes et les communautés marginalisées, afin d'offrir des points de vue de ceux qui sont directement touchés par les questions traitées;
- élargir la portée géographique de la couverture pour dissiper l'idée que l'Afrique est un pays, contribuant ainsi à un récit plus varié et inclusif;
- offrir un contexte détaillé et des informations de base afin que les lecteurs puissent comprendre la complexité des questions traitées.
Grace Itumbiri et Rutendo Nyaku, étudiants en master à l'Université du Cap, faisaient partie de l'équipe de recherche et ont contribué à cet article
Wallace Chuma, Associate professor, University of Cape Town
Trust Matsilele, Senior Lecturer, Birmingham City University