L'histoire se passe au XVIIe siècle. À cette époque, nombreux sont les navires de toutes nationalités qui fréquentent les côtes malgaches. Les uns viennent traiter des marchan-dises. Les autres, en route pour les Indes orientales, font escale à Saint-Augustin pour y prendre ce qu'on appelle alors des rafraîchissements.
Plus d'un, faisant le tour par le cap Sainte-Marie, sont victimes des vents contraires ou des tempêtes, et terminent leur course sur un rocher entre le cap et la presqu'île de Taolankara où est établi le fort Dauphin. La carcasse s'enfonce, à moins qu'il ne soit l'objet de pillages par les « naturels », tels qu'on appelle les locaux à l'époque, tandis que les survivants de l'équipage sont faits prisonniers.
C'est le sort qui advient à un grand navire hollandais qui revient de Batavia, chargé d'épices et de denrées précieuses, vers 1618. Il s'échoue sur la côte de Karimbola, une des plus inhospitalières qui soit, bordant « un pays désertique où parfois il faut pour boire ramasser l'eau de la rosée » (le voyageur Robert Valmy). Quand le capitaine du navire, un certain Pitre, comprend que son bâtiment sera bientôt perdu corps et biens et peut-être disparaître avec lui, il appelle son fils qui l'accompagne dans ce voyage.
Estimant que ce dernier a plus de chance de se sauver, il lui confie deux bagues qui portent chacune « un diamant des Indes de la taille d'une noisette et d'une valeur considérable ». Et de le bénir: « Elles représentent ta richesse et, si tu échappes au naufrage, tu pourras en tirer profit. »
Déjà le navire fait eau de toutes parts. Les radeaux de fortune jetés à la mer sont retournés, à peine occupés, par le flot démonté. Le capitaine ainsi que tout son équipage périssent.
« Seul le jeune Pitre qui s'était embarqué dans une futaille vide, parvint à sauver sa vie en même temps que sa carabine et son épée. » Trois jours durant, sans vivres et sans eau, il erre sur la mer au gré du vent sans pouvoir se diriger.
« Sur le rivage, les indigènes Karimbola qui avaient assisté à la perte du navire, regardaient au loin ce point minuscule perdu sur l'océan, sans pouvoir le sauver- pour s'en emparer- car sur la côte de l'Extrême-Sud malgache, il n'existait pas de pirogues. »
Enfin, le vent rapproche le naufragé de la plage, mais il est alors si faible que c'est à peine s'il peut sauter à l'eau et gagner la terre. Mais il n'a pas abandonné ses armes.
Sa première pensée est de demander à boire aux hommes qui l'entourent. Comme il ne parle pas le dialecte autochtone et comme la population ignore sa propre langue, il se fait comprendre par des mimiques. Un homme lui offre quelques tubercules aqueux déterrés du sable, ce qui assouvit à la fois sa soif et sa faim, tout en soulageant ses lèvres brûlantes, desséchées par le sel.
« Les Karimbola cependant hésitaient sur le sort à lui réserver: soit le tuer pour s'emparer de ses armes, soit simplement le réduire en esclavage et lui rendre plus tard sa liberté en le vendant à d'autres hommes blancs. » Finalement, ils se contentent de le conduire, les mains dûment ligotées et une corde attachée au cou, au roi Andriamamory qui réside dans son « zolika » à Andem-popaly, à trois heures de marche à l'intérieur des terres.
Le roi attend le prisonnier assis à l'ombre d'un grand tamarinier, entouré de ses dignitaires armés de sagaies au fer scintillant. Derrière lui, ses sept épouses sont accroupies sur le sable en silence. Les armes du jeune Pitre sont déposées devant le roi et un curieux dialogue s'engage dans lequel aucun des interlocuteurs ne comprend l'autre. Cependant, le prisonnier par sa jeunesse (il n'a que 20 ans), son calme et sa dignité, sait plaire à Andriamamory et, sans doute aussi, à ses femmes.
« Le souverain lui laissa la vie sauve, lui fit donner un pagne pour remplacer ses vêtements que les épines, tout au long du sentier, avaient réduits en loques et qui étaient encore trempés d'eau. Il l'installa à l'ouest de son « zolika » dans une case spéciale près de celles de ses esclaves. »
Heureux d'être en vie, le jeune naufragé s'adapte facilement à sa nouvelle situation. Il apprend quelques mots du dialecte local, travaille aux champs avec les hommes, rapporte du bois pour la cuisson des aliments. Le soir, quand le soleil descend sur l'horizon, il se mêle au groupe des « ondaty be » (notables du village)...
Ses deux bagues sont toujours à ses doigts, mais par prudence, il laisse les chatons dissimulés en les tournant à l'intérieur de sa paume. Tous ignorent leur existence. Mais pas pour longtemps.