Afrique: Taux de rejet élevés pour les Africains demandeurs de visa Schengen - Un spécialiste des migrations explique pourquoi

analyse

Les Africains sont confrontés à un taux de rejet élevé de leur demande de visa d'entrée dans le groupe de pays de l'espace Schengen. Ce groupe est composé de 29 pays européens qui ont officiellement aboli les contrôles à leurs frontières mutuelles. Un visa Schengen est un permis d'entrée pour les ressortissants de pays non membres de l'Union européenne (UE) qui leur permet d'effectuer une visite courte et temporaire de 90 jours maximum dans cet espace.

_En 2023, les États Schengen ont généré 906 millions de dollars (809 millions d'euros) grâce aux demandes de visa, dont 145 millions de dollars pour les demandes de visa rejetées. En 2023, ces refus ont ainsi coûté aux ressortissants africains 61 millions de dollars (54 millions d'euros) en frais de dossier.-

Un récent rapport du cabinet britannique de conseil en migration Henley & Partners montre que les pays africains représentaient sept des dix pays ayant les taux de refus de visa Schengen les plus élevés en 2022. Godfred Akoto Boafo, de The Conversation Africa, a demandé au spécialiste des migrations Mehari Taddele Maru, l'un des contributeurs du rapport, les raisons d'un taux de rejet aussi élevé pour les Africains.

Quels sont les demandeurs de visa dont le dossier est rejeté ?

J'ai analysé les données de l'UE sur les demandes de visa entre 2009 et 2023 et j'ai constaté une augmentation spectaculaire du taux de rejet pour les demandeurs de visa Schengen. En 2014, 18 % des demandes de visa africaines ont été rejetées, alors que le taux de rejet global était de 5 %. En 2022, le taux de rejet pour les demandeurs africains est passé à 30 %, et le taux global à 17,5 %.

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Parmi les dix premiers pays où le taux de rejet des demandes de visa Schengen a été le plus élevé en 2022, sept sont des pays africains. Parmi ces pays africains, l'Algérie, la Guinée-Bissau, le Nigéria et le Ghana.

L'augmentation des taux de refus de visa est liée à la politique de l'UE en matière de visas.

Nous avons également identifié deux facteurs clés - le revenu et la puissance du passeport - qui peuvent expliquer pourquoi les demandeurs africains sont confrontés à des taux de refus de visa Schengen plus élevés.

Les pays riches aux niveaux de revenus élevés (mesurés par le PIB et le RNB) ont généralement des passeports plus solides (mesurés par le Henley Passport Power, un indice basé sur les données de l'Autorité internationale du transport aérien). Cela signifie que leurs citoyens peuvent visiter plusieurs pays sans visa. Un passeport solide permet aux personnes de se déplacer à la recherche d'opportunités économiques.

En revanche, les habitants des pays pauvres, y compris la plupart des pays africain, ont des passeports plus faibles. Cela signifie que leurs possibilités de voyager sans visa sont considérablement réduites.

Nous avons également mis en lumière un lien entre le faible classement des pays africains dans les indices du revenu national et de la puissance

Par conséquent, il est plus difficile pour les Africains de voyager car leurs demandes de visa sont plus susceptibles d'être rejetées.

Pourquoi ces demandes de visa sont-elles rejetées ?

Officiellement, les refus de visa sont souvent attribués à des doutes sur l'intention du demandeur de quitter le pays de destination avant l'expiration du visa. Selon les Etats européens, la plupart des refus sont fondés sur des doutes raisonnables quant à l'intention du demandeur de visa de retourner dans son pays d'origine.

Comme le prévoit le Manuel du code des visas de l'UE, l'évaluation de l'intention du demandeur de visa de retourner dans son pays d'origine repose sur des preuves indirectes. Les fonctionnaires consulaires disposent d'un large pouvoir d'appréciation à cet égard. Ils prennent en compte trois facteurs clés à travers la documentation :

  • la stabilité de la situation socio-économique du demandeur dans son pays de résidence;
  • la preuve d'un emploi ou d'activités commerciales;
  • les liens familiaux et communautaires.

Les pièces justificatives peuvent inclure des preuves de moyens financiers, de propriété, de contrats de travail, de dossiers commerciaux et conditions de voyage. Les candidats au visa les plus solides font souvent la preuve de liens étroits avec leur pays d'origine. Il peut s'agir de l'existence de membres de la famille à charge restés au pays ou de la propriété d'un bien immobilier.

À mon avis, cela favorise potentiellement une discrimination basée sur la nationalité et des facteurs géographiques. Dans le régime des visas Schengen, la preuve de l'intention de retourner dans son pays d'origine est souvent liée au statut économique des demandeurs et à leur nationalité. Avec un concept aussi élastique, le régime des visas Schengen permet aux fonctionnaires de l'immigration des pays du Sud de filtrer les demandeurs de visa en fonction de leur situation économique et de leur pays d'origine. Or d'après mes recherches, rien ne permet d'affirmer qu'un taux de rejet plus élevé entraîne une diminution de la migration irrégulière ou des dépassements de durée de validité des visas.

Les résultats mettent en évidence des politiques de visa qui affectent de manière disproportionnée les Africains cherchant à se rendre en Europe. Elles sapent l'engagement proclamé de l'Union européenne de renforcer les partenariats avec l'Afrique.

Qu'est-ce qui doit changer ?

Les faibles efforts de l'Europe pour améliorer les voies de mobilité légale pour les Africains ont laissé de nombreuses personnes, y compris des gouvernements, sans illusion quant à la coopération migratoire entre l'Afrique et l'Europe. Malgré les promesses de facilitation des visas, de regroupement familial et de migration de la main-d'oeuvre, les progrès restent insaisissables. Les quelques voies légales disponibles profitent surtout aux travailleurs qualifiés de l'Union européenne.

L'UE doit réformer son régime de visas et élargir les voies d'immigration légales. Mais en fin de compte, la responsabilité première incombe aux États africains. Ils doivent créer un environnement dans lequel leurs citoyens peuvent s'épanouir et prospérer sur le continent. Cela implique d'investir dans le développement économique, la création d'emplois, l'éducation, les soins de santé et les infrastructures.

Les gouvernements africains devraient ratifier le protocole de l'Union africaine de 2018 sur la libre circulation des Africains sur leur continent. Six ans après son adoption, seuls quatre pays ont ratifié le protocole : le Mali, le Niger, le Rwanda et São Tomé & Principe.

En revanche, l'accord établissant une zone de libre-échange continentale africaine, qui se concentre sur la circulation des biens, des services et des capitaux, est bien en vigueur depuis 2019, un an seulement après son adoption.

La réforme des politiques de visa du groupe Schengen à l'égard de l'Afrique va au-delà de la simple gestion des migrations. Il s'agit d'amender la politique en Europe. Si l'Europe souhaite réellement établir un partenariat avec l'Afrique et répondre à sa demande de main-d'oeuvre, les avantages liés à l'élargissement des voies d'accès légales pour les Africains l'emportent largement sur les coûts.

Mehari Taddele Maru, Professor, European University Institute and Johns Hopkins University, European University Institute

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