Dakar — Des membres du gouvernement, dont le Premier ministre, Ousmane Sonko, ont dénoncé, jeudi, à Dakar, la publication de "données erronées" par leurs prédécesseurs, Macky Sall et d'anciens ministres, concernant les comptes publics du pays, la dette et le déficit budgétaire notamment.
"Les autorités que nous avons remplacées ont menti au pays et aux partenaires en [...] fournissant des données erronées", a soutenu le chef du gouvernement lors d'un point de presse.
Les données en question ont été publiées "de 2019 à 2023", selon Ousmane Sonko.
Un "surfinancement d'environ 605 milliards de francs CFA utilisé pour payer des dépenses non budgétisées"
"Le régime du président Macky Sall a tripatouillé les données pour donner une image économique, financière et budgétaire qui n'avait rien à avoir avec la réalité. C'est d'une extrême gravité", a-t-il martelé en présence du secrétaire général du gouvernement, Ahmadou Al Aminou Lo, des ministres de la Justice, Ousmane Diagne, de l'Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, et de l'Enseignement supérieur, El Hadji Abdourahmane Diouf.
Ousmane Sonko a fait état notamment de "600 milliards de francs CFA qui auraient dû être dépensés à partir du 1er janvier 2024". "Mais le régime sortant les a dépensés avant notre arrivée au pouvoir (en mars 2024), c'est-à-dire pour l'exercice 2023, ce qui est extrêmement grave [...] Au moment où je vous parle, nous ne trouvons aucune trace de l'utilisation de ces fonds", a soutenu le Premier ministre.
Selon lui, les anciens ministres des Finances Amadou Ba (également ancien Premier ministre), Mamadou Moustapha Ba et Abdoulaye Daouda Diallo, ainsi que Macky Sall, l'ex-président de la République, font partie de ceux qui sont à l'origine de la publication des données "données erronées".
"Le rapport sur la situation des finances publiques révèle que la dette publique du Sénégal et le déficit budgétaire sont plus élevés que ce qui a été publié et communiqué à nos partenaires par les autorités sortantes, de 2019 à 2023", a soutenu le ministre de l'Économie, du Plan et de la Coopération.
Abdourahmane Sarr affirme que "le déficit budgétaire a été annoncé à une moyenne de 5,5 % du PIB durant la période 2019-2023". "Mais, en réalité, il a été en moyenne de 10,1 %, soit près du double", a-t-il dit.
"La dette publique a été annoncée en moyenne de 65,9 % du PIB durant la période 2019-2023 mais, en réalité, elle a été en moyenne de 76,3 % du PIB en raison des déficits publics plus élevés que ce qui a été publié", a signalé le ministre de l'Économie, du Plan et de la Coopération.
Toutes les conséquences judiciaires seront rigoureusement tirées
"À la fin de l'année 2023, la dette de l'État [...] hors secteur parapublic était de 15.664 milliards, soit 83,7 % du PIB, alors qu'elle était annoncée à 13.772 milliards, soit 73,6 % du PIB. Il s'agit donc d'un supplément de dettes contractées et non publiées de près de 1.892 milliards, soit 10 % de plus du PIB", a dénoncé M. Sarr.
Concernant l'année 2023, "le déficit budgétaire corrigé [...] s'établirait aux alentours de 10 % du PIB, si on intègre les tirages sur ressources extérieures et les prêts auprès des banques, alors que le déficit annoncé était de 4,9%", a-t-il relevé.
Le ministre de l'Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr
"Au-delà de ces chiffres sur le déficit et la dette, l'audit fait par le gouvernement révèle que le surfinancement du Trésor public d'environ 605 milliards de francs CFA à la fin de 2023 [...] a été utilisé pour payer des dépenses non budgétisées et des dettes connues de l'État, contrairement à ce qui avait été communiqué aux partenaires", a poursuivi Abdourahmane Sarr.
"La non-disponibilité de ce surfinancement en 2024 a nécessité des emprunts non initialement programmés, notamment l'émission d'eurobonds par placement privé de 750 millions de dollars américains en juin 2024, et des crédits commerciaux syndiqués de 300 millions d'euros au troisième trimestre", a-t-il ajouté.
Les faits découlant du "rapport que vient de nous présenter le ministre de l'Économie, du Plan et de la Coopération sont d'une gravité certaine et semblent revêtir une qualification pénale, que les autorités judiciaires compétentes saisies vont devoir déterminer au moyen d'investigations qu'elles jugeront appropriées", a dit le ministre de la Justice.
Une "détérioration grave" des finances publiques
"Il est vrai qu'il ne m'appartient pas [...] de juger de l'effectivité des faits. Il appartiendra aux autorités judiciaires et policières de les déterminer. C'est leur travail. Ce que je peux dire, c'est que ce sera fait avec le maximum de rigueur, de transparence et sous réserve des règles du principe de la présomption d'innocence", a assuré Ousmane Diagne.
"Toutes les conséquences judiciaires seront rigoureusement tirées, les faits seront décortiqués de manière [...] transparente, claire et objective, les responsabilités situées, et les personnes susceptibles d'avoir eu à commettre des faits contraires [à] la loi pénale en subiront les conséquences", a-t-il soutenu.
Le point de presse des membres du gouvernement a eu lieu une dizaine de jours après l'installation officielle du Pool judiciaire financier (PJF), une juridiction créée par Macky Sall et ses collaborateurs, en remplacement de la Cour de répression de l'enrichissement illicite.
Le ministre de la Justice, Ousmane Diagne (au milieu)
Le PJF est chargé des affaires relevant de la corruption et des pratiques assimilées : les faits de détournement et de soustraction de deniers publics, d'escroquerie et de faux monnayage, les infractions liées au financement du terrorisme, au trafic de migrants et à la réglementation bancaire, etc.
Le 12 septembre, le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, a promis de faire en sorte que "les responsabilités [soient] situées à tous les niveaux de la chaîne administrative et politique", concernant la gestion des finances publiques par les ex-dirigeants du pays.
Un audit mené par la Cour des comptes a dévoilé une "détérioration grave" des finances publiques, avait-il dit dans un discours adressé au peuple sénégalais, le même jour.