Le 31 juillet 2024, le Tribunal de grande instance de Conakry a rendu un verdict qualifié d'« historique » dans le procès des accusés du massacre du 28 septembre 2009 qui avait fait au moins 156 morts, selon l'ONU. Alors que la Guinée commémore samedi les 15 ans de cette violente répression d'un rassemblement de l'opposition, RFI a analysé le jugement. Dans ce document de près de 300 pages, la Cour livre quelques vérités judiciaires sur les préparatifs du massacre, son caractère « méthodique » et « systématique ». Toutes les zones d'ombres n'ont cependant pas encore été levées, car le procès a également permis de nouvelles inculpations.
Une chose apparait sans ambiguïté à la lecture de ce jugement : le massacre du stade du 28 septembre 2009 en Guinée a bel été bien été préparé. Il s'agit d'une attaque « généralisée et systématique » ayant fait l'objet d'une « organisation méthodique », écrivent les juges dans leurs conclusions.
Ils retiennent au moins « trois actes préparatoires » à la répression contre une manifestation de l'opposition organisée ce jour-là dans le plus grand stade de la capitale. Le premier est « l'encadrement par Claude Pivi de 400 jeunes dans l'enceinte de la présidence ».
Récemment arrêté au Liberia après son évasion de prison en novembre 2023, le colonel Claude Pivi était ministre chargé de la sécurité présidentielle au moment des faits. Selon les juges, il avait donc procédé en amont du massacre au recrutement de 400 jeunes « dont certains étaient présents au stade pour participer à la répression des manifestants ». Comment ont-ils été recrutés ? Ont-ils agi de leur côté ou ont-ils été intégrés à la garde présidentielle ou aux services spéciaux le jour du massacre ? Sur ces points, le jugement est muet.
Le second « acte préparatoire » retenu est « la mobilisation de féticheurs par Gono Sangaré ». À l'époque, Gono Sangaré est l'intendant personnel de Moussa Dadis Camara, capitaine qui a dirigé la Guinée de fin 2008 à début 2010. Au cours du procès, Toumba Diakite, l'ancien aide de camp du chef de la junte, a plusieurs fois évoqué une visite de Dadis Camara au domicile de Gono Sangaré, en présence de centaines d'hommes « habillés en fétiche avec des cauris, armés de flèches et des machettes ».
Les juges donnent, eux, peu de détails dans leurs conclusions. Gono Sangaré ne figurait pas sur la liste des accusés jugés, mais son nom a souvent été cité à la barre. En novembre 2022, il a été inculpé, mais n'a pas été entendu. Car il est désormais en fuite.
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Au moins « trois actes préparatoires »
C'est au sujet du troisième « acte préparatoire » retenu que le jugement et le procès ont été les plus riches en enseignements : « l'infiltration parmi les manifestants » de ce que l'on a appelé « les recrues de Kaléah », du nom d'un camp situé près de Forécariah, en Basse-Guinée.
Plusieurs rapports et télégrammes diplomatiques avaient déjà révélé l'existence de ce camp, installé peu après la prise du pouvoir par la junte de Dadis Camara et où plus de 2000 hommes avaient été installés pour recevoir un entraînement de commando. L'objectif du pouvoir était de disposer d'une milice à sa solde, alors qu'une grande méfiance régnait entre la junte et certaines sections de l'armée régulière. De nombreux témoins avaient rapporté leur présence dans le stade, infiltrés parmi les manifestants, armés et prenant part au massacre.
Les juges retiennent qu'une partie de ces recrues a bien été sélectionnée et acheminée de Kaleah vers Conakry, quelques jours avant la manifestation et ont « participé au massacre du stade ». Ils s'appuient notamment sur les propos tenus pendant le procès par un ancien pensionnaire de ce camp, Mamadi Soumaoro. Son témoignage, qualifié de « sans équivoque » est longuement cité dans le verdict.
Selon lui, « dès le 24 septembre », soit quatre jours avant le massacre, un certain sergent Bamba « est venu lire la liste » de ceux qui avaient été sélectionnés pour partir « en mission »,soit « 300 à 350 hommes ». À la barre, il a raconté avoir compris plus tard que la mission s'agissait d'aller réprimer les manifestants. Selon ce témoin, les recrues envoyées au stade venaient essentiellement de deux compagnies : une baptisée Charly (composée uniquement de féticheurs), une autre compagnie baptisée Titanic. « J'ai vu certains sortir du camp Kaléah, armés de fusils AK 47 et habillés en tenue de couleur Kaki », peut-on lire dans l'extrait de son témoignage reproduit dans le jugement.
Qui encadrait les « recrues de Kaléah » ?
Plusieurs témoins ont également insisté sur la présence de ces recrues dans l'enceinte de la présidence dans les jours précédents le massacre, d'où ils auraient été conduits en bus au stade. Mais le jugement n'est pas explicite sur ce point.
Les juges sont en revanche très clairs sur le rôle central joué par Blaise Goumou dans cette opération. Ce dernier est déclaré coupable d'avoir participé à l'« encadrement, la sélection, et la conduite des recrues ». Au moment des faits, Blaise Goumou, ancien instructeur de Kaléah, a déjà été muté aux services spéciaux de la présidence, dirigés par Moussa Tiegboro Camara. Mais plusieurs témoins ont affirmé qu'il continuait à se rendre régulièrement dans le camp.
Les juges ont également établi qu'il « était à la tête d'une équipe, qui s'est rendu au stade, le 28 septembre 2009, où il a rejoint Moussa Thiègboro Camara, son chef de service » et secrétaire d'État à la présidence en charge des services spéciaux.
De nouveaux inculpés
Blaise Goumou n'est pas le seul maitre à bord au camp de Kaléah. Au cours du procès, trois autres noms sont sans cesse revenus : encore Gono Sangaré, ainsi que Bienvenu Lamah et George Olemou.
Ce dernier est désigné comme le responsable de l'« infiltration des recrues de Kaleah » parmi les manifestants présents au stade. Il est désormais inculpé, mais n'a pas encore été entendu par les juges. Quant à Bienvenu Lamah, il figurait au tout début de la procédure sur la liste des accusés, mais avait été relaxé faute de preuve. Sur la base des nouveaux éléments révélés au cours du procès, notamment par Toumba Diakité, il est désormais formellement inculpé, accusé d'avoir commandé le camp de Kaléah et d'avoir joué un rôle central dans la sélection des recrues en vue du massacre du stade.
Si Gomo Sangaré est en fuite, Bienvenu Lamah et Georges Olemou ont été arrêtés en novembre 2022. Ils sont aujourd'hui détenus à la maison centrale de Conakry. Seront-t-ils entendus et jugés ? Leurs avocats ont fait appel de leurs inculpations.
Un autre personnage a souvent été évoqué en lien avec Kaléah : feu Joseph Makambo Loua, un commandant de l'armée. Mais ce dernier est mort depuis les événements de 2009.
« Une parfaite harmonie »
Les juges livrent une autre conclusion importante : « la parfaite harmonie » qui a régné entre les différents acteurs impliqués dans les événements ayant conduit aux crimes commis le 28 septembre 2009 et les jours suivants.
Au fil de leur verdict, les juges dessinent l'existence d'une coordination sur le terrain entre ce que l'on peut considérer comme trois pôles majeurs de la répression : la garde présidentielle, les services spéciaux et les recrues de Kaléah. Trois pôles, qui tous relèvent directement de la présidence et non des forces armées régulières, dont l'ex-état-major n'a été entendu qu'à titre de témoin. L'escadron mobile de la gendarmerie de Kaloum était tout de même sur place, au titre du maintien de l'ordre, a affirmé son dirigeant Mamadou Aliou Keita. Il a été reconnu coupable de crimes contre l'humanité pour viol.
Les juges battent ainsi en brèche la version défendue jusqu'au bout par certains accusés selon laquelle le massacre aurait été commis uniquement « par une garde rapprochée » de Dadis Camara, court-circuitant les chaînes de commandement officielles. C'était notamment la stratégie de défense de Toumba Diakité à la fois ancien aide de camp de Dadis Camara et patron de la garde présidentielle. Quand bien même, par son témoignage, Toumba Diakité a « aidé le tribunal pour la manifestation de la vérité » disent les juges, ce dernier est tout de même reconnu coupable. Le jugement conclut qu'il « était présent au stade », « à la tête d'une horde de bérets rouges » - les éléments de la garde présidentielle. Ils attestent qu'il avait « la main haute » sur le commandant de Koundara, l'un des principaux lieux de séquestration et de torture durant les jours suivant le massacre.
Dadis Camara, le dénominateur commun
Au centre de cette galaxie, Moussa Dadis Camara apparaît comme le dénominateur commun entre tous les acteurs impliqués dans la répression et le grand ordonnateur. S'est-il lui-même rendu au stade ? Les juges ne le disent pas. Ils établissent en revanche son rôle à tous les stades des opérations. Avant : « Certains actes préparatoires ont été concoctés par le capitaine Moussa Dadis Camara lui-même », disent les juges qui soulignent bien que son intention était de « réprimer la manifestation ». Pendant : « Le 28 septembre 2009, la garde présidentielle s'est rendue au stade sur ordre du capitaine Moussa Dadis Camara », écrivent les juges. Après : « Moussa Dadis Camara a complètement manqué à son devoir d'interrompre le massacre, sa déclaration à la barre prouve toute son indifférence face à la situation ("Lorsqu'on m'a dit que le massacre était en cours au stade, j'ai dit que je n'avais aucune possibilité d'envoyer des agents pour intervenir."). »
Les juges confirment que la répression s'est poursuivie les jours suivants, menée notamment par la garde présidentielle (les « bérets rouges ») et les services spéciaux commandés par Thiegboro. Dans les jours qui ont suivi, « Claude Pivi a continué avec ses agents à enlever des citoyens, à les séquestrer dans ses locaux sis au camp Alpha Yaya Diallo, siège de la présidence ». Les juges ont établi qu'il a « constamment rendu compte des agissements » à Moussa Dadis Camara.
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Toujours concernant les bérets rouges de la garde présidentielle, les juges indiquent que Paul Mansa Guilavogui, un autre condamné lors du procès, avait rejoint officieusement le camp Koundara, sous le commandement de son ami Mohamed Camara dit Beugré. Il a participé, selon les juges, sous les ordres de Beugré, aux tortures qui y ont été pratiquées sur des manifestants séquestrés les jours suivants le massacre : flagellations matin et soir, obligation de fixer le soleil, privation de nourriture, etc.
Enfin, les services spéciaux de Moussa Thiegboro Camara ont eux aussi poursuivi les enlèvement, séquestrations, pillages et tortures dans les jours suivants le 28 septembre. Les juges citent longuement dans leur verdict plusieurs témoignages. Parmi eux, celui de Thierno Souleymane Baldé, avocat et défenseur des droits de l'Homme. Il raconte avoir été « détenu dans un container rouge » par les services spéciaux au sein du camp Alpha Yaya Diallo, alors siège de la présidence. « À l'intérieur » du container, certains « pleuraient et criaient toute la nuit sous l'effet des tortures, dans un bureau à côté de là », où étaient menés les interrogatoires.
Toujours des zones d'ombres
Pour autant, de nombreuses zones d'ombres persistent, notamment sur l'articulation précise entre les différents pôles de la répression et le rôle de chacun dans le stade. Le jugement confirme mais sans les expliquer des signes de dissensions au sein de la junte.
L'exemple le plus significatif concerne l'attitude de la junte vis-à-vis des principales figures de l'opposition le jour du massacre. Les juges font crédit à Toumba Diakité d'avoir contribué à leur sauvetage, mais établissent que Marcel Guilavogui, a tenté de s'y opposer. À la fois la fois neveu de Dadis Camara, et « membre influent de la garde présidentielle et adjoint dans les faits » du commandant Toumba, selon la cour, « il s'est rendu » à la suite du massacre « à la clinique Ambroise Paré où venaient d'être admis plusieurs leaders de l'opposition blessés ». Il a alors « menacé de faire sauter cette clinique à l'aide de grenades » alors que les médecins étaient occupés à soigner ces leaders, « notamment Amadou Oury Bah, Sidya Touré, Louncény Fall et Mamadou Cellou Dalein Diallo », confirment les juges.
Auprès de qui Marcel Guilavogui prenait-ils ses ordres ? Le jugement ne tranche pas la question mais celui qui est souvent présenté comme un électron libre, proche de Dadis Camara, est qualifié de « l'un des acteurs principaux du massacre ».
Ainsi, tout en établissant l'existence d'une coordination dans les préparatifs, et la mise en oeuvre de la répression, le jugement ne gomme, ni n'explique certaines incohérences. Il ne permet pas non plus de comprendre quand et à quel moment a été décidée, planifiée, l'organisation de cette sanglante répression, ni la nature précise du plan initial au regard du déroulé des faits.
En creux, ce jugement laisse transparaître les limites d'un procès certes « historique » mais au cours duquel de nombreux prévenus se sont murés dans le silence, ont esquivé les questions de la cour. Certains se sont même illustrés par leur « mauvaise foi », déplorent les juges.
Un procès aussi où ont brillé quelques grands absents tels que le ministre de la Défense au moment des faits, Sékouba Konaté. Un procès enfin qui laissé de côté des aspects importants, tels que les fosses communes. À plusieurs reprises, les parties civiles comme le procureur ont demandé un déplacement sur le terrain pour tenter de les retrouver. La Cour a toujours refusé, sans réellement se justifier. In fine, l'existence de ces fosses est seulement une fois dans le verdict.
En requalifiant les faits en « crimes contre l'humanité », les juges ont toutefois consacré leur caractère imprescriptible. La vérité sur ce massacre pourra continuer de s'écrire. Le dossier judicaire n'est pas clos.
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