Ile Maurice: Père et fille récompensés pour leur dévouement

28 Septembre 2024

Azad Dhomun et sa fille Ghaliya Lubna ont récemment été récompensés, chacun selon son dévouement particulier. Lubna, kinésithérapeute, qui exerce depuis six ans au Al Wakra hospital au Qatar, s'est vu décerner, en août, le titre de «Star of the Month» au sein de son département alors que le 1er septembre, son père Azad, banquier connu comme le «médecin des banques malades», recevait un trophée du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) pour ses 60 ans continus d'activisme politique.

«Il n'y a pas plus gratifiant que d'arriver à soulager une personne qui souffre», confie cette jeune femme de 36 ans, qui est en vacances à Maurice. Ghaliya Lubna sont des prénoms arabes, Ghaliya signifiant précieux et Lubna, un type d'arbuste du Moyen Orient dont la résine est très parfumée.

Depuis qu'elle a huit ans, Lubna sait qu'à la fin de son parcours scolaire, elle ira sûrement étudier une branche ayant trait à la médecine. Après ses études secondaires au Queen Elisabeth College où elle choisit comme matières principales en Form VI, les mathématiques, la chimie et la biologie, tout en suivant le programme de l'Alliance française et en prenant part aux examens jusqu'à la terminale, Lubna opte pour la kinésithérapie. C'est en Ecosse qu'elle décide d'aller étudier. Au Queen Margaret University d'Édimbourg, elle entame et réussit un Bachelor of science en kinésithérapie. Licence qu'elle fait suivre d'une maîtrise intensive de 12 mois en cardiologie préventive, soit le traitement de toutes les séquelles de complications cardiaques, artérielles et veineuses, à l'Imperial College de Londres. Un choix dicté par la nouveauté de cette spécialité et le fait qu'elle soit pertinente pour Maurice où les maladies cardiovasculaires sont très élevées.

Elle rentre au pays en 2013 et prend de l'emploi à l'ex-Apollo Bramwell Hospital où elle pratique la rééducation aussi bien néonatale que gériatrique et prend plaisir à soulager les malades.«Mes amis disent que j'ai une nature empathique et je crois que c'est ce qui m'a permis de m'adapter partout et même dans les situations les plus challenging.» Elle quitte ce centre de soins privés en 2018.

Ayant accompagné son père à Doha au Qatar et visité le Qatar Rehabilitation Institute, l'un des hôpitaux publics du Hamad Medical Corporation et ayant été impressionnée par leurs locaux modernes, leurs équipements dernier-cri, les facilités offertes et un personnel multinational, «dans un département, vous pouvez trouver des employés de 30 à 40 différentes nationalités», précise-t-elle, elle se montre intéressée à y faire un stage. Elle envoie son curriculum vitae et la direction lui fait passer un entretien. À sa surprise, un poste lui est offert. «Ce n'était pas dans mes plans d'aller travailler au Qatar mais après discussion avec mes parents et surtout avec papa, j'ai accepté l'offre.»

Dès son arrivée au Qatar, elle est envoyée au AlWakra Hospital et fait le tour de plusieurs services notamment ceux de réanimation, de cardiologie, des soins intensifs et en salles. Ses patients sont soit sous respirateurs artificiels et il faut alors leur faire de la mobilisation passive des membres ou de la physiothérapie respiratoire. Et s'ils sont conscients, ils souffrent de complications sévères qu'elle doit aussi traiter. Ce que Lubna apprécie c'est le travail en équipe pluridisciplinaire. *«Médecins, spécialistes et personnel infirmier se rencontrent quotidiennement pour discuter de chaque cas et décider du traitement à donner.»*Elle dit aussi s'être enrichie au contact de collègues de toutes nationalités. «J'ai découvert différentes cultures, mentalités et façons de travailler. Je sens que j'ai vraiment beaucoup gagné. Et les patients racontent aussi leur vécu et ce sont des histoires humaines parfois terribles. Le Qatar a accueilli bon nombre de victimes de guerre, notamment des Syriens, Irakiens et Palestiniens de Gaza».

Pendant les années Covid, Lubna s'est portée volontaire pour être en première ligne et a traité bon nombre de malades infectés. Si au départ, elle était appréhensive, elle s'est raisonnée en se disant qu'elle était vaccinée et portait constamment le vêtement de protection. *«Et puis, je me suis dit que cette personne malade aurait pu être mon père ou ma mère et qu'il fallait que je m'occupe d'elle.»Malgré sa proximité et son contact quotidien avec les malades, Lubna est passée à travers le Covid-19 sans être infectée. D'ailleurs, souligne-t-elle, le Qatar a été parmi les pays ayant le plus faible taux de mortalité au cours de la pandémie. En août dernier, elle a si bien géré des cas compliqués, assuré des suppléances et participé à des activités avec les patients de son département qu'elle s'est vue attribuer la distinction de Star of the Month.

Ouverture d'esprit nécessaire

Lubna apprécie énormément le Qatar, «paystrès sécurisé, surtout pour les femmes, très convivial pour la famille, avancé d'une certaine façon et où j'ai eu l'opportunité de suivre des formations poussées». Mais elle y a mis aussi du sien pour s'intégrer. «Il faut avoir un esprit ouvert. Si on a des préjugés sur cette région du monde, on ne va pas s'intégrer. Il faut être ouvert pour blend in et s'adapter aux us et coutumes». Lesquels ? Elle explique que la langue arabe est très respectueuse et qu'il ne faut jamais se montrertrop familier. «Dans la culture locale, on observe que la distanciation physique est préférée et que les familiarités de langage ou de manières ne sont pas bien accueillies. Même le sens de l'humour y est différent. Il faut être mindful de cela.»

Après six années passées au Qatar, elle songe désormais à rentrer au pays. «Mes priorités ont changé. J'aime ma profession, j'aime ce que je fais mais je réalise que le plus important c'est la vie. Vous n'imaginez pas le nombre de mourants qui disent que si la vie leur donnait une deuxième chance, ils auraient passé plus de temps avec leurs proches. J'essaie donc de vivre chaque jour comme si c'était le dernier.»

L'exception

Passons maintenant à son aîné. À une époque où être transfuge est presque devenue la norme, Azad Dhomun, qui compte 60 ans d'activisme politique au sein du PMSD, fait figure d'exception. Ce fringuant septuagénaire, vice-président en charge des relations internationales au sein de ce parti, est né en 1945 à Trou-d'Eau-Douce. Il a sans doute subi l'influence de son père, instituteur et maître d'école, président du conseil de village et féru de politique, qui croyait dans le développement du pays. «Il me disait toujours qu'il faut poser les bonnes questions lorsqu'on ne connaît pas le pourquoi des choses», se remémore-t-il.

À la fin de son cycle primaire, Azad intègre le collège Royal de Port-Louis. On est alors au début des années 60 et il est beaucoup question d'indépendance du pays et d'intégration au marché commun. Azad en profite pour aller assister aux meetings et écouter des têtes de file du Parti travailliste comme sir Kher Jagatsingh, sir Seewoosagur Ramgoolam ou encore le leader du Parti Mauricien Jules Koenig, pour se faire une opinion concernant ces questions importantes. Il est séduit par les idées avant-gardistes d'un jeune avocat politicien du Parti Mauricien nommé Gaëtan Duval, qui parle du marché commun, de l'Europe, de l'industrialisation, du tourisme à une époque où ce type de discours est rare, pour ne pas dire inexistant. Il écoute et va faire ses recherches et se dit que cet homme a une réelle vision pour l'avenir et adhère à ses idées. De plus, il est surpris par la simplicité du personnage qu'il finit par rencontrer. «Gaëtan Duval disait : que tu t'appelles Azad, Kistna, Ah Fouy, le pays est à toi. Il voyait grand. De plus, il s'adressait aux gens en termes de mo bann zenfan, mo coco. Il avait beau rouler en décapotable et moi être à pied, s'il me voyait, il me faisait un grand salut de la main. Ses idées et sa simplicité m'ont plu et c'est ainsi que j'ai intégré l'aile jeune du parti appelée Jeunesse sociale-démocrate, le 1er septembre 1964.»

C'est au culot qu'à la fin de ses études secondaires il va intégrer le secteur bancaire pour ne plus jamais le quitter. En lisant un magazine, il note qu'une des rares banques internationales à ne pas être représentée à Maurice est la Habib Bank (Overseas) Ltd. Il écrit au Managing director de cette banque dont le quartier général est au Pakistan et donne de nombreux détails sur Maurice, estimant que la Habib Bank (Overseas) Ltd aurait intérêt à y ouvrir une branche. La direction le prend au mot et délègue dans l'île son représentant,un certain G. A. Mirza. «Je suis informé de ce déplacement par télégramme et j'emprunte la voiture d'un ami pour aller le récupérer à l'aéroport et l'emmener à son hôtel.» Grâce à ses contacts politiques, il le fait rencontrer sir Seewoosagur Ramgoolam (SSR), qui était alors Chief minister et d'autres membres du gouvernement et les parties tombent d'accord pour l'ouverture d'une succursale à Maurice. Une fois la branche ouverte, on lui propose un emploi. Mais Azad ne se voit pas passer sa vie derrière un guichet à compter de l'argent. M. Mirza, qui a effectué plusieurs déplacements depuis sa première visite, lui dit que «Banking is a vast field» et lui prédit qu'un jour, il dirigera cette branche. Grâce à cette institution bancaire, Azad a la possibilité de faire des études supérieures en banking à l'université de Maurice mais aussi au Pakistan, en Italie et aux États-Unis. Quand la Habib Bank (Overseas) Ltd est nationalisée au Pakistan, les membres de la famille qui la possèdent vont s'établir à Zurich où ils créent la Habib Bank A. G. Zurich. Ils contactent Azad pour qu'il ouvre une branche de la Habib Bank A.G. Zurich à Maurice. C'est le cas en 1978. Azad a aussi ouvert des agences au Kenya, aux Maldives, aux Seychelles et au Sri Lanka. En sus d'être manager, il est aussi devenu vice-président de la Habib Bank A. G. Zurich.

Au niveau politique et sauf en cas de maladie, il ne rate aucune réunion de l'exécutif du parti où il a été intégré. Il devient bien vite l'ami personnel et le conseiller de Gaëtan Duval mais aussi de son fils, Xavier-Luc. A-t-il été d'accord avec toutes les décisions du premier nommé ? «Pas toujours. Par exemple, en 1967, quand le PMSD avait recueilli 44 % de voix aux dernières élections, Gaëtan voulait faire une coalition avec SSR pour constituer le gouvernement et Maurice Lesage et Raymond Rivet voulaient attendre cinq ans. Gaëtan estimait qu'en cinq ans, le pays allait couler et que si nous attendions, le parti allait perdre ses voix. Au départ, j'étais d'accord avec Lesage et Rivet mais après avoir écouté l'argumentaire de Gaëtan, j'ai compris finalement que c'était la solution. Cela a causé un schisme au PMSD et Gaëtan est entré au gouvernement en 1969.»

Fidélité

À chaque élection, un ticket lui a été offert mais il a toujours refusé. «J'aime trop ma profession et j'ai toujours pensé que je pouvais mieux aider les gens à travers elle.» Il a eu l'occasion de servir son pays à deux reprises, soit en 1983 en tant qu'ambassadeur itinérant de Maurice dans les pays du Golfe à un moment où l'île comptait 90 000 chômeurs et «j'ai pu inciter de nombreux Mauriciens à y aller travailler et j'ai obtenu des contrats de travail pour plusieurs d'entre eux». Puis en 1989 alors qu'il était banquier dans plusieurs pays d'Afrique, redressant des banques quasi-moribondes, d'où son appellation de «médecin des banques», Xavier-Luc Duval, qui était ministre des Finances pour la deuxième fois, lui a proposé d'être ambassadeur itinérant de Maurice pour les pays africains. «J'ai sillonné l'Afrique et nous avons a fait des road shows, en particulier en Afrique de l'Ouest pour vendre ce que Maurice avait à offrir.»

Il est sans doute un des rares politiciens à n'avoir jamais menacé de démissionner du parti. «Le PMSD est une idée, qui est celle de voir Maurice se développer et être dans la cour des grands. On ne tue pas une idée et les gens qui pensent de même se rallient à ce parti. L'idée n'a jamais changé. Puis, pour moi, le parti c'est une famille.» De plus, «je n'avais besoin de rien et je n'étais pas demandeur de quoi ce soit. Par contre, ce que j'avais à offrir c'était mes connaissances en banking et en économie.» Ce n'est pas pour rien qu'il a été nommé Banquier de l'Année 2022.

Il dit avoir toujours eu la liberté de s'exprimer au sein du parti, qu'il soit d'accord ou pas avec une décision prise. «J'ai toujours eu la possibilité de voice out mais by virtue of the majority, je m'incline.» Ne comptez pas sur lui pour faire fuiter des informations sur les désaccords internes. «Je n'oublierai jamais les paroles de Jules Koenig qui disait que le linge sale ne se lave pas à la rivièremais à la maison.»

Il a réconcilié Gaëtan Duval et son fils lorsque les deux étaient en froid. «Gaëtan venait déjeuner chez moi le mercredi et parfois il passait les après-midis quand il avait besoin de se déconnecter de tout. Xavier venait le plus souvent dîner. Il est comme le deuxième fils de la maison. Avec diplomatie, j'ai fait en sorte que les deux se réconcilient et se donnent l'accolade lorsque Xavier-Luc avait été nommé vice-Premier ministre.»

Sa plus grande fierté au niveau du parti est que celui-ci ait laissé une empreinte localement et internationalement. «En sus de faire les chômeurs obtenir un travail dans les pays du Golfe, avec le tourisme et l'industrialisation, le PMSD a mis Maurice sur la mappemonde». Ce qu'il déteste le plus en politique c'est de voir «les gens qui nous quittent. Dimounn pe size ek manze ar ou, lasiet pankor fini lave ki zot inn al rezoinn enn lot parti. Il y a eu beaucoup de transfuges jusqu'à présent. Cela me peine et me déçoit.» Appelé à dire ce qu'il pense de l'alliance entre le PMSD et le Mouvement socialiste militant, Azad déclare que le système électoral est tel que Maurice doit toujours être dirigé par une alliance. «Je ne peux me prononcer sur l'avenir. C'est le leader du parti qui décidera. C'est lui le capitaine du navire bleu.»

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