Ile Maurice: «Certaines personnes tentent d'amplifier le problème de quelques dizaines de passagers»

30 Septembre 2024
interview

Dans une interview réalisée par «l'express» à la demande d'Air Mauritius (MK), Charles Cartier, à la tête de MK depuis six mois, dresse son bilan. Il soutient que certaines personnes tentent d'amplifier le problème concernant quelques dizaines de passagers. Par ailleurs, il dément avoir évoqué des profits de Rs 200 M pour la compagnie nationale d'aviation. Il dément aussi être candidat aux prochaines élections générales.

Après six mois à la tête de MK, pouvez-vous faire un premier bilan ?

Lorsque je suis arrivé chez MK, j'ai trouvé un personnel démotivé, stressé et sous tension. Il était urgent de trouver rapidement les causes de cette situation et d'instaurer la sérénité au sein des équipes. Il fallait agir vite et procéder de manière méthodique pour identifier les problèmes. Le constat était grave : une culture de passe-droits s'était établie depuis des décennies et il était clair qu'il fallait faire preuve de détermination et de discipline pour y mettre un terme. Il fallait également être prêt à faire face à des représailles tous azimuts.

La transformation de la culture d'entreprise au sein de MK progresse rapidement et la sérénité s'est enfin installée au sein de nos équipes. Une autre tâche à laquelle j'ai dû m'atteler rapidement a été de créer une équipe de direction capable de travailler ensemble, sans coups bas, ni passe-droits. Une équipe de leadership qui partage la même vision : celle d'une compagnie d'aviation nationale performante, où les employés sont fiers de travailler. La réorganisation de la direction est désormais complète.

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L'épineux problème du département technique demeure le challenge le plus difficile à résoudre, car les résultats de notre périmètre d'actions ne se manifestent qu'à moyen et long termes. Les compétences requises sont rares, la formation prend plusieurs années et le marché du travail dans ce secteur est très compétitif. Trouver les talents nécessaires pour soutenir et renforcer notre équipe technique représente un défi.

Nous avons recruté des ingénieurs, mais nous devons maintenant les former spécifiquement pour l'aviation. C'est dans cette optique que nous mettons en place des formations spécifiques avec Polytechnics Mauritius. Nous investissons ainsi dans la jeunesse afin d'avoir des talents locaux disponibles pour permettre à MK de se développer. La maintenance aéronautique est définitivement un domaine d'avenir pour notre jeunesse.

L'autre aspect qui a nécessité mon attention est la direction de ce département technique. Cette fonction a été difficile à pourvoir après la sortie de l'administration volontaire. Nous avons donc cherché la perle rare au sein de nos équipes et cet exercice de sélection a été très révélateur. Bien que nous ayons des équipes techniquement très compétentes, aucun de nos cadres n'avait été formé à la gestion.

C'est pour cette raison que nous avons fait appel à Nigel Jones pour diriger notre équipe technique. Nigel possède une longue expérience internationale dans ce domaine, notamment avec British Airways, British Aeronautics et Etihad. En parallèle, nous allons investir dans un programme de développement du leadership pour nos cadres les plus prometteurs des départements technique et navigant.

Nous avons également revu notre approche pour améliorer l'expérience client. C'est un défi quotidien, car la concurrence est féroce et nous devons constamment arbitrer entre les petits plus à ajouter et le coût opérationnel de chaque action. Nous mesurons en permanence l'expérience client afin de lui apporter des ajustements minutieux, avant, pendant et après les vols.

Quelle est votre réaction après un article qui fait état d'une menace de mise sous administration volontaire ?

Voyons d'abord les faits : il n'y a aucune menace de mettre MK sous administration volontaire et il n'y a aucune raison de le faire. MK se porte très bien malgré les difficultés techniques que nous avons rencontrées. Je profite de l'occasion pour rassurer tout notre personnel, qui a connu des moments traumatisants avec la mise sous administration volontaire post-Covid-19, que ce n'est pas le cas aujourd'hui.

Personne n'a intérêt à ce que MK traverse à nouveau de tels moments. Je tiens également à rassurer tous nos partenaires du monde du voyage et des finances que notre compagnie nationale d'aviation est dans une situation saine. Cela dit, nous avons maintes fois souligné le manque de patriotisme de certains. MK est le symbole de notre souveraineté et elle nous protège de tout isolement.

Lorsque les autres compagnies aériennes se concentrent sur l'intérêt de leur pays, c'est MK qui défend l'intérêt des Mauriciens. Beaucoup prétendent critiquer MK pour la faire progresser, mais il n'y a qu'une réalité : en agissant ainsi, ces personnes affaiblissent notre marque et l'économie mauricienne. Elles sont tout, sauf patriotes. Je souhaite également dénoncer le parti pris de certains qui sont aveugles à ce qui se passe avec d'autres compagnies d'aviation, ici et ailleurs.

Par exemple, nous avons eu une annulation le 9 septembre et nous avons immédiatement relogé le maximum de nos voyageurs, soit environ 200 d'entre eux, en prenant soin de leur offrir un repas au préalable. Seuls 80 passagers ont dû attendre à l'aéroport. Quatre jours plus tard, notre concurrent a également dû annuler son vol et près de 400 voyageurs ont passé la nuit à l'aéroport de Maurice. Je vous invite à comparer le traitement médiatique et sur les réseaux sociaux des deux événements et à me dire si le traitement était équitable.

Nous faisons voyager 1,6 million de personnes chaque année et il me semble que quelques personnes passent leur temps à amplifier les problèmes de quelques dizaines de passagers, problèmes qui, d'ailleurs, sont communs à toutes les compagnies aériennes. La réalité, c'est que malgré cette iniquité de traitement, nous constatons tous les jours la confiance que les Mauriciens accordent à MK.

Par exemple, lors du récent Salon du prêt-à-partir, nous avons vendu un nombre record de billets en trois jours, pour plus de Rs 200 millions, avec une croissance de plus de 30 % par rapport à l'année dernière. MK continuera à jouer un rôle de premier plan dans le secteur du tourisme et du voyage, mais aussi dans le monde des affaires, puisque sans notre compagnie aérienne, nous n'aurions pas eu la reprise aussi rapide du secteur touristique.

Est-il vrai que des syndicalistes sont très remontés contre vous, au point qu'une majorité d'entre eux a boudé une rencontre prévue entre vous et eux ?

C'est totalement faux ! Nous avons renoué avec des rencontres syndicales qui étaient suspendues depuis plus de trois ans, ce qui a été bien accueilli par les syndicats. Nous avons rétabli une relation de dialogue et de discussions, basée sur le respect mutuel. Je m'insurge encore une fois contre cette campagne de désinformation que nous subissons. J'ai pu lire dans un quotidien et un hebdomadaire qu'il n'y aurait que deux syndicats présents sur les huit que j'avais conviés à notre dernière réunion. En réalité, ils étaient six sur huit à être présents, et la réunion a été extrêmement constructive des deux côtés.

Pourquoi le rapport d'audit financier n'a-t-il toujours pas été publié ? Sur quoi vous basez-vous pour annoncer des profits de Rs 200 M ?

Je dois insister sur le fait que je n'ai jamais annoncé aucun chiffre à ce jour, car le processus de validation des comptes est encore en cours. La seule information donnée est que notre entreprise est en bonne santé financière. Nous nous attendons à ce que les processus d'audit et d'approbation des comptes soient terminés dans les semaines à venir.

Les nombreuses pannes techniques sur les appareils de MK et les retards dans les vols, à quoi les attribuez-vous? Manque d'ingénieurs, de formation ? Comment l'arrivée d'un nouveau responsable du département technique, Nigel Jones, pourrait-elle changer cela ?

D'abord, tous les avions subissent des vérifications de routine et réglementaires avant chaque vol. Avant le décollage, chaque appareil doit obtenir le feu vert de l'Aviation civile. La sécurité et la sûreté en vol sont d'une importance capitale. Il arrive parfois qu'il faille remplacer des pièces, et lorsque celles-ci ne sont pas disponibles dans nos stocks, il est nécessaire de les faire venir d'ailleurs. Les retards commencent lorsque ces pièces ne sont pas disponibles localement, et parfois même à l'international.

Il est également important de souligner que la pression sur la demande de pièces de rechange dans le monde est énorme. Ceux qui suivent le secteur de l'aviation savent combien de grandes compagnies ont des avions cloués au sol en raison de difficultés d'approvisionnement. Par exemple, en Inde, la compagnie Go Air a vu toute sa flotte de plus de 50 avions immobilisée à cause de problèmes d'approvisionnement, ce qui a conduit à sa faillite récemment. Les effets de la pandémie ont complètement déréglementé ce secteur et la reprise brutale n'a fait qu'accentuer les difficultés en augmentant la pression.

MK n'a pas une grande flotte et nous ne pouvons nous permettre d'avoir un avion de remplacement, car cela coûte très cher. La pression sur le planning des vols est énorme et dès qu'il y a une panne, cela provoque un effet domino sur les autres destinations. Chez MK, nous avons effectivement réalisé un audit technique en interne et travaillons à corriger les déficiences identifiées.

Nous collaborons avec Airbus sur un plan de six à 12 mois pour mettre en oeuvre toutes les actions qu'elle a identifiées. Nous avons également recruté de nombreux ingénieurs pour soutenir et renforcer notre équipe existante. Cependant, comme je l'ai dit précédemment, la formation d'ingénieurs qualifiés prend plusieurs années et le marché du travail à ce niveau, même à l'international, est très complexe et difficile.

L'autre aspect que je souhaite souligner est qu'avant mon arrivée, MK était à la recherche de deux appareils wide bodyet que l'offre pour la location ou l'achat des avions recherchés (A330 et A350) était rare, voire inexistante. Nous avions acquis à ce moment-là deux A330/200 qui sont aujourd'hui les appareils les plus âgés de notre flotte.

Ces avions ne sont définitivement pas l'idéal et nécessitent beaucoup plus d'interventions techniques que prévu. Ces deux appareils ont également créé une surcharge de travail pour nos équipes techniques et sont responsables d'une large partie des retards techniques que nous subissons. Il est très clair que le remplace ment, à terme, de ces appareils changera drastiquement la donne pour nous.

L'arrivée de Nigel Jones a été très bien accueillie par les employés, qui le voient comme un professionnel extrêmement accessible et expérimenté. L'expérience qu'il apporte dans la gestion opérationnelle quotidienne permettra à l'équipe technique d'être plus dans l'anticipation et la planification. De plus, étant donné que Nigel travaille déjà en étroite collaboration avec Airbus pour l'implémentation de ses recommandations, la réorganisation du département progresse maintenant de manière très coordonnée.

De nombreux problèmes actuels de MK (pannes d'avions, annulations de vols, recours à des avions en «wet lease») découlent de la gestion de Sattar Hajee Abdoula. Il a traité l'administration volontaire comme un simple exercice comptable, critiqué par Rama Sithanen, bradé les avions et empoché des millions. Ne devrait-il pas être redevable et MK ne pourrait-elle pas se retourner contre lui ?

Je n'aime pas ressasser le passé et je ne souhaite pas être celui qui prétend être «sage après l'événement». Nous devons nous concentrer sur l'avenir et travailler pour relever les défis de demain. N'oublions pas que la pandémie a complètement obstrué la visibilité dans tous les secteurs économiques du monde ; personne ne pouvait prévoir quand cela allait reprendre. Il est facile d'être sage après coup, mais la plupart des gens étaient aveugles pendant la crise !

Avez-vous mis en place un système informatique qui prenne en compte les correspondances en cas d'annulation ou de report de vols ? Les passagers déplorent toujours un manque de communication et de prise en charge.

Tout est réglementé. Nous avons déjà un système de communication qui permet d'informer nos clients. Le souci, c'est que parfois, lorsque les clients passent par des agences, nous n'avons pas toujours leurs coordonnées personnelles. Nous avons beaucoup amélioré la prise en charge des clients en attente et nous travaillons sur un système pour assurer une plus grande présence auprès des voyageurs affectés.

Où en sont les accords de partenariat avec d'autres lignes aériennes, notamment en Inde et en Afrique ?

Nous avons déjà rétabli la plupart de nos accords de partenariat et le dernier en cours est avec Malaysian Airlines. Nous sommes actuellement en pourparlers pour renforcer certains de ces accords de partenariat et pour finaliser de nouveaux accords, mais ces discussions sont confidentielles à ce stade.

La compagnie Indigo annonce des vols hebdomadaires entre Bangalore et Maurice à partir de novembre. Vous confirmez qu'il y a bien un accord entre Indigo et MK ?

Non, il n'y a aucun accord. La compagnie nationale d'aviation n'a rien à voir avec l'arrivée des vols en provenance de Bangalore. C'est un arrangement G to G, donc entre les États mauricien et indien.

Où en sont les nombreux comités disciplinaires mis sur pied contre Anba Manikham et Sailesh Jowry, entre autres ?

Les procédures suivent leur cours.

Quels sont les défis et vos plans stratégiques pour l'avenir ?

Nous travaillons actuellement à finaliser notre Plan Stratégique 2031, un plan de sept ans où nous prévoyons d'agrandir notre flotte et d'augmenter la fréquence de nos vols. Cela permettra d'accroître notre capacité sur nos routes traditionnelles vers l'Europe, mais en particulier vers la France et le Royaume-Uni, tout en explorant de nouvelles routes régionales et internationales et en renforçant notre rôle en tant qu'acteur majeur dans le secteur de l'aviation de notre hémisphère sud. La stratégie inclut l'identification et le développement de nouvelles routes capitalisant sur les marchés émergents, notamment en Asie du Sud-Est et en Afrique.

En positionnant Maurice comme un hub de connexion pour le contour indianocéanique, nous visons, avec MK, à attirer davantage de passagers en transit et à améliorer la connectivité pour les voyageurs internationaux. Nous prévoyons également de moderniser davantage notre flotte et de remplacer des modèles d'avions plus anciens en 2026 et 2027 par trois nouveaux A350. C'est une partie cruciale de notre stratégie, visant à améliorer l'efficacité énergétique et à asseoir notre part de marché, tant sur le plan régional qu'international.

Cependant, l'un de nos objectifs les plus importants reste d'améliorer continuellement l'expérience client avec des offres de services et des expériences en vol améliorées. Les voyageurs deviennent de plus en plus exigeants, avec des attentes élevées, notamment pour les long-courriers. Notre défi est de répondre à ces attentes, car c'est la seule manière d'attirer et de fidéliser les clients. Bien sûr, tout cela vise à assurer la croissance des revenus et la rentabilité ainsi qu'à réduire les coûts grâce à des gains d'efficacité opérationnelle. Tout cela est connecté et demeure vital pour notre survie.

Votre voyage en Afrique du Sud en compagnie de vos proches fait l'objet d'une enquête à la Financial Crimes Commission. Que souhaitez-vous dire à ce sujet ?

Encore une fois, les détracteurs ne manquent pas de créativité. D'abord, je dois vous dire que cela fait partie de mes conditions contractuelles et que cela a toujours fait partie des bénéfices de tous les CEO précédents. Pourquoi devrais-je être inquiet lorsque mon employeur me donne les bénéfices dont j'ai droit contractuellement ? (...) Ce qui m'étonne, c'est que pour certains, c'est un problème maintenant, alors que cela n'a jamais été le cas pour les CEO précédents.

Ce qui me désole, c'est qu'on entraîne mes enfants et ma mère de 80 ans dans une polémique de bas étage. En revanche, ce qui ne m'étonne pas, c'est que certaines personnes sont prêtes à tout pour m'empêcher de changer les façons de faire. Comme je vous l'ai dit en début d'entretien, ce n'est pas ainsi qu'on pourra entamer mes convictions et ma détermination à changer drastiquement la culture d'entreprise au sein de MK.

Les enfants de certains membres du conseil d'administration continuent de bénéficier de rabais sur les billets d'avion. Qu'avez-vous à répondre ?

Cela a toujours été le cas. Autrefois, des directeurs bénéficiaient à vie de rabais sur les billets. Ce n'est plus le cas. Je suis triste qu'on ait publié les noms de ces enfants.

Serez-vous candidat aux élections ?

Je vous réponds par un non catégorique. J'ai une vision pour cette compagnie pour les trois prochaines années. Je me concentre sur mon travail.

En cas de changement de régime, ne pensez-vous pas que votre poste serait menacé ?

Je fais mon travail. Comme je vous l'ai dit, j'ai une vision pour cette compagnie, et une compagnie prospère sera un atout pour le pays.

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