Afrique: Extinction de masse des grands mammifères - Un nouvel outil pour faire face

analyse

Nous sommes peut-être en train d'être les témoins de la sixième extinction de masse d'animaux à un rythme alarmant dans le monde entier. Elle se caractérise par la disparition rapide d'espèces en raison d'activités humaines telles que la destruction des habitats, la pollution et le changement climatique.

Contrairement aux précédentes extinctions de masse, qui ont été causées par des phénomènes naturels, celle-ci est en effet due à l'impact de l'homme, comme la croissance démographique, la pollution, les espèces végétales envahissantes et les conflits entre l'homme et la faune.

Les grands mammifères sont particulièrement en danger, en Afrique comme ailleurs. Ainsi, près de 60 % des herbivores sauvages, tels que les éléphants et les hippopotames, sont déjà menacés d'extinction.

Des stratégies efficaces de conservation et de rétablissement sont nécessaires. Pour les élaborer, il faut savoir comment se porte la population d'un animal en particulier et, si cette espèce est en déclin, en déterminer les causes.

Nous disposons d'un outil utile à cet effet : un modèle qui fait appel à la biologie, aux mathématiques, aux statistiques,à l'aide de logiciels informatiques. Mais pour les grands mammifères, il n'existe pas encore de modèle réellement adapté et efficace. Les données adéquates manquent et les modèles sont complexes à construire.

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J'ai fait partie d'une équipe qui a développé un modèle pour tenter de combler cette lacune. C'est le premier du genre à tenir compte de la manière dont les populations de grands mammifères interagissent entre elles et avec leur environnement, tout en intégrant leur biologie détaillée. Il s'appuie sur des données existantes précieuses et peut être adapté à diverses espèces sauvages.

Nous avons testé le modèle sur des populations de topi, une grande antilope d'Afrique de l'Est. Les résultats que nous avons recueillis nous ont permis de déduire que le déclin massif de la population de topi était dû à la perte d'habitat, au braconnage et à la chasse par les prédateurs.

Il est très important de déterminer les causes du déclin de ces populations. Les grands mammifères jouent un rôle essentiel dans les écosystèmes : les modifications qui affectent leurs populations auront des répercussion sur nombreuses autres espèces et pourraient même entraîner l'extinction d'espèces liées.

Comment fonctionne notre modèle

Notre modèle combine différents types de données, comme la taille totale de la population à partir de relevés aériens et de comptages à partir de véhicule terrestre, avec des données prévisionnelles sur les chiffres de la population. Cela nous permet d'estimer et de suivre les tendances démographiques qui ne peuvent être saisies par un seul type de données. Le modèle prend en compte des facteurs tels que l'âge de l'animal, son sexe, la durée de la gestation, la période de sevrage, les nouveau-nés et par an, le taux de natalité, la survie et les impacts environnementaux tels que les précipitations et la température.

Notre modèle commence pour l'essentiel par des hypothèses étayées, puis les met à jour au fur et à mesure qu'il traite les données observées. Ledit modèle est en mesure de déterminer les causes d'un déclin de deux manières.

  • Premièrement, il détermine les facteurs (les précipitations, par exemple) qui ont un impact négatif important sur des éléments tels que le taux de natalité, la survie ou l'enrôlement, et montre exactement comment ils s'influencent mutuellement.
  • Deuxièmement, il nous permet d'utiliser des simulations pour voir comment la modification d'un de ces facteurs, tout en maintenant les autres tels quels, change la population en influençant ses caractéristiques clés (le taux de natalité, par exemple).

Test du modèle sur le topi

Nous avons testé notre modèle sur la population de topis que l'on trouve au Kenya, en Tanzanie et dans d'autres pays africains. Nous avons choisi le topi parce qu'il s'agit d'un grand herbivore en déclin.

Le topi est une élégante antilope pesant entre 91 et 147 kg, avec un long visage et des cornes torsadées uniques. L'une des plus grandes populations de topis encore présentes en Afrique de l'Est se trouve dans l'écosystème du Grand Mara-Serengeti, qui chevauche la frontière entre le Kenya et la Tanzanie.

Depuis 1977, la Direction des études de ressources et de la télédétection du Kenya surveille le nombre et la répartition des topis, ainsi que d'autres grands herbivores sauvages et du bétail, à l'aide de relevés aériens dans les pâturages du pays, qui couvrent 88 % du territoire national.

Sur la base de ces données, nous pouvons constater que le nombre de topis a diminué entre 1977 et 2022 de manière constante et frappante - de 84,5 % - dans l'écosystème du Masai Mara au Kenya, y compris dans les zones de conservation protégées.

Ce déclin indique un risque élevé d'extinction si la tendance persiste. La préoccupation est réelle, car d'autres espèces d'antilopes, telles que le rouan, ont déjà disparu dans le Mara au cours des dernières décennies. Toutefois, les causes de ce phénomène n'ont pas encore été entièrement établies.

Nous avons ensuite intégré les données des enquêtes aériennes et terrestres dans notre modèle sur un ordinateur, à intervalles mensuels. Cette approche permet de saisir les tendances et les dynamiques chaque mois. Il nous permet ainsi de voir la distribution des naissances par mois, la proportion de femelles d'une population précise qui donnent naissance, les cas où plusieurs femelles d'une population donnent naissance simultanément, le nombre total d'individus de chaque âge et de chaque sexe, et la proportion de jeunes qui survivent jusqu'à l'âge adulte.

Le modèle est fondé sur des hypothèses de départ, elles-mêmes basées sur les connaissances existantes et les affine au fur et à mesure qu'il traite des données réelles. Il produit des résultats qui correspondent aux modèles observés de déclin de la population, à la saisonnalité des naissances et au nombre d'animaux qui survivent jusqu'à l'âge juvénile ou adulte.

Les facteurs du déclin

Sur la base de ces résultats, nous constatons que le déclin de la population de topis est dû à la combinaison d'un faible nombre de femelles adultes, d'un faible taux de survie des nouveau-nés et d'un faible recrutement dans la classe adulte, car la plupart des jeunes (plus de 95 %) meurent avant d'atteindre l'âge adulte.

Sur la base de ce modèle, nous pouvons attribuer ces changements à l'impact des changements environnementaux, des activités humaines et de la prédation. Par exemple, les animaux adultes étant les moins sensibles aux changements climatiques, cela suggère que d'autres facteurs - tels que la perte ou la détérioration de l'habitat, le braconnage ou les taux élevés de prédation - contribuent probablement au déclin.

Le nouveau modèle améliore notre compréhension de la dynamique des populations de grands herbivores, tout en confirmant les connaissances existantes.

En combinant différents types de données provenant de plusieurs sources, le modèle permet d'estimer et de suivre des détails importants de la population qu'un seul type de données ne peut montrer. Par exemple, pour la première fois, des données permettent de suivre le nombre total de topis de chaque âge et de chaque sexe à chaque mois, le nombre de topis femelles adultes prêtes à concevoir et les différents stades de la grossesse. Cette méthode permet également d'estimer les changements au sein de la population totale de topis par âge et par sexe dans les quatre zones du Mara, y compris dans les zones ne disposant pas de données directes sur l'âge et le sexe.

Affiner et améliorer le modèle

Notre équipe est en train d'étendre le modèle pour y inclure davantage de caractéristiques (comme l'influence du nombre de têtes de bétail), le rendre plus facile d'accès, l'appliquer à un plus grand nombre d'espèces sauvages et évaluer l'efficacité des mesures de gestion en cours et planifiées.

L'amélioration de notre compréhension des facteurs de disparition des grands mammifères permettra de prendre les bonnes mesures de conservation. Cela permettra également de ne pas gaspiller les ressources. En effet, parmi les solutions à notre disposition figurent l'investissement dans des infrastructures importantes, la modification des politiques de conservation de la faune et de l'élevage, un changement dans l'application de la loi et la réhabilitation des habitats de la faune. Autant de mesures qui sont coûteuses.

Joseph Ogutu, Senior Researcher and Statistician, University of Hohenheim

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