On savait que la grand-messe des personnes âgées à Pailles, dimanche, allait tenir toutes ses promesses, surtout à la veille de la dissolution du Parlement et de l'annonce des élections. Pravind Jugnauth ne pouvait décevoir une importante clientèle politique, dont les votes ont été décisifs en 2019, au risque de la voir basculer dans les bras du tandem Ramgoolam/Bérenger. L'Alliance du changement avait proposé, 24 heures auparavant, une augmentation de la pension de Rs 1 000 en janvier 2025, avec effet rétroactif à partir de juillet 2024, assortie d'autres mesures annoncées le 1er Mai.
Certes, l'alliance de l'opposition a voulu couper l'herbe sous les pieds du leader orange, accueilli comme le sauveur, voire le protecteur des retraités, au SVICC. Mais peu imaginaient qu'il avait en réserve un cadeau électoral dont l'annonce a fait vibrer la salle. À Rs 20 000 pour la pension, le Premier ministre, détenteur du chéquier, a placé la barre très haut. Toutefois, comme la plupart des mesures populistes annoncées dans le Budget 2024-25, ciblant les jeunes et autres groupes professionnels, il faudra que les seniors lui redonnent la clé du bâtiment du Trésor lors de la prochaine échéance électorale. Et cerise sur le gâteau : la gratuité des médicaments pour eux, leurs enfants et petits-enfants. Qui dit mieux ?
Si les spin doctors de l'alliance de Pravind Jugnauth, qui devrait accueillir prochainement le PMSD de Xavier-Luc Duval, ont rapidement laissé croire, via les réseaux sociaux et la MBC, que les Rs 20 000 seraient bientôt dans les poches des retraités, certains sceptiques, peutêtre à juste titre, en doutent. Ils se demandent si le gouvernement ne repoussera pas l'application de cette mesure à la fin de son hypothétique troisième mandat en 2029, comme cela s'est produit pour les Rs 13 500 annoncées en 2019 mais appliquées seulement en 2024.
D'où la colère de certains, exprimée au moment même de l'annonce, qui exigent que cette mesure ne soit pas conditionnée par des promesses électorales, mais mise en oeuvre sans délai, puisque le gouvernement contrôle tous les leviers du pouvoir. D'autres ont sorti leur calculatrice pour comparer. Le MSM, avec ses alliés, propose une pension de Rs 15 000 en janvier 2025, qui passerait à Rs 20 000 en 2029, soit une augmentation de Rs 1 000 par an pendant cinq ans. L'opposition PTr-MMM-Nouveaux démocrates et Rezistans ek Alternativ, quant à elle, propose une hausse de Rs 1 000 en janvier 2025, avec un effet rétroactif depuis juillet 2024, ce qui porte la pension à Rs 21 000 en janvier 2025 pour chaque bénéficiaire, avec le 13e mois. En plus, Navin Ramgoolam promet que la pension de Rs 14 500 sera non imposable, en cas de victoire, et indexée sur l'inflation pour compenser le coût de la vie. À vous de juger.
Doit-on s'étonne si chaque alliance rivalisera à fond sur le terrain, en poussant jusqu'à l'extrême limite les promesses électorales ? Comme on peut se demander si le débat politique ne se résume aujourd'hui qu'à met for gagn for et que tout gravite malheureusement autour de la gratuité de certains services, des cadeaux, voire des bribes électoraux pour acheter la conscience de l'électorat.
Ceux aguerris aux rouages du folklore électoral diront cyniquement que c'est le propre d'une campagne, où tout obéit à des calculs politiques visant à séduire le plus grand nombre, comme le million de Mauriciens qui choisiront le prochain gouvernement dans quelques semaines.
Confrontation
L'annonce à Pailles s'inscrit par ailleurs dans un contexte électoralement tendu, avec la confrontation entre Business Mauritius et le ministère du Travail autour du réajustement salarial, conformément aux articles 94 et 106 de l'Employment Relations Act (ERA). Bien que momentanément apaisé, ce bras de fer continue. En temps normal, Business Mauritius n'aurait pas défié le pouvoir exécutif en contestant la légalité des nouvelles réglementations sur les rémunérations. Mais le contexte impose une nouvelle posture à cette organisation, car la relativité salariale est devenue un sujet hautement politisé, d'où sa demande de clarification juridique via une procédure de révision judiciaire.
Entre-temps, les entreprises financièrement solides sont libres de réajuster les salaires de leurs employés, bien que cela pèse lourdement sur leur trésorerie. IBL, qui affiche un chiffre d'affaires de Rs 102 milliards et un bénéfice net de Rs 5,9 milliards au 30 juin 2024, devra mobiliser Rs 1 milliard pour financer la hausse du salaire minimum couplée au réalignement salarial pour ses 15 000 employés. D'autres groupes hôteliers, comme Lux et NMH, anticipent déjà une augmentation des coûts salariaux. Cependant, les résultats financiers des grands conglomérats, publiés récemment, confirment au moins une chose : leur bonne santé financière accréditerait la thèse du gouvernement selon laquelle ils peuvent rémunérer leurs employés de manière adéquate sans se cacher derrière les éternels coûts de production en hausse.
Dans les jours à venir, on peut s'attendre à ce que la surenchère politique s'intensifie jusqu'au jour J, avec des promesses électorales doublées d'une inflation verbale sans bornes de la part des principaux leaders. Il s'agit de séduire et de convaincre une population qui réclame toujours plus, sans se soucier de savoir comment ces mesures, chiffrées en milliards, seront financées. Qui a dit que «demain sera à nous» ?