Les Forces armées arabes libyennes (FAAL) autoproclamées doivent révéler ce qu'il est advenu de l'ancien ministre de la Défense Al Mahdi al Barghathi et 18 de ses proches et sympathisants enlevés à Benghazi par des hommes armés, a déclaré Amnesty International un an après leur disparition forcée.
« Depuis un an, les familles d'Al Mahdi al Barghathi et de ses proches et sympathisants vivent dans l'angoisse, sans savoir si leurs êtres chers sont encore en vie. Les injustices dont ils ont été victimes révèlent jusqu'où les FAAL sont prêtes à aller pour éliminer toute contestation réelle ou perçue de leur emprise absolue sur le pouvoir, ainsi que l'impunité quasi totale dont jouissent les groupes armés affiliés aux FAAL, a déclaré Bassam Al Kantar, spécialiste de la Libye à Amnesty International.
« Le gouvernement d'union nationale basé à Tripoli, ainsi que les FAAL, en tant qu'autorités de facto dans l'est de la Libye, doivent garantir des enquêtes impartiales, indépendantes et efficaces sur les crimes commis, notamment en révélant le sort réservé aux victimes de disparitions forcées et le lieu où elles se trouvent, ainsi que les causes et les circonstances des décès en détention. »
Al Mahdi al Barghathi, un rival du commandant en chef des FAAL, Khalifa Haftar, est retourné dans sa ville natale de Benghazi le 6 octobre 2023 dans le sillage des efforts de réconciliation tribale. Après son retour, des groupes armés affiliés aux FAAL ont fait irruption au domicile de sa mère dans le quartier de Salamani. Les affrontements qui ont suivi entre les groupes armés affiliés aux FAAL, dont Tariq Ben Zeyad (TBZ) et l'Agence de sûreté intérieure (ISA), d'une part, et les combattants fidèles à Al Mahdi al Barghathi, d'autre part, ont fait au moins 15 morts et de nombreux blessés, alors que les FAAL avaient coupé Internet.
Depuis un an, les familles d'Al Mahdi al Barghathi et de ses proches et sympathisants vivent dans l'angoisse, sans savoir si leurs êtres chers sont encore en vieBassam Al Kantar, Amnesty International
Le 7 octobre, des combattants affiliés aux FAAL ont pris en otage 36 femmes et 13 enfants de la famille d'Al Barghathi. Ils ont été libérés après que ce dernier et son fils ont été placés en détention aux mains des FAAL, avec 38 autres membres de la famille et sympathisants. On ignore ce que sont devenus au moins 19 hommes, et l'on craint qu'ils n'aient été victimes d'exécutions extrajudiciaires après avoir été capturés. La mort de six autres a été confirmée, dont au moins deux dans des circonstances suspectes après avoir été capturés en vie. Les 15 derniers seraient retenus au centre de détention des FAAL.
Amnesty International a interrogé les familles de huit détenus, dont celles des deux hommes morts en détention, ainsi que des avocat·e·s et des militant·e·s politiques. Elle a examiné des rapports médicaux et médicolégaux, des photos, des vidéos et des documents officiels.
Le raid dans le quartier de Salamani
Al Mahdi Al Barghathi était auparavant ministre de la Défense de l'ancien gouvernement d'entente nationale (GEN) basé à Tripoli, rival des FAAL et du « gouvernement libyen » allié basé à l'est.
Sa famille a raconté qu'à son retour, des forces lourdement armées affiliées aux FAAL ont fait irruption dans la maison de sa famille et ont affronté des combattants fidèles à la famille al Bargathi, notamment du groupe armé Brigade 204.
À la suite de ces affrontements, les responsables des FAAL et du « gouvernement libyen » ont affirmé avoir déjoué un attentat terroriste et ont déclaré que neuf fidèles d'al Mahdi al Barghathi avaient été tués et huit blessés, alors qu'ils tentaient de résister à leur arrestation.
Des proches de victimes ont fourni une liste de 40 personnes portées disparues au lendemain des combats. Selon les éléments recueillis par Amnesty International, il a par la suite été confirmé que 15 étaient détenues par les FAAL et six étaient mortes, tandis qu'on ignorait toujours le sort réservé à 19 d'entre elles. Le 13 octobre, l'Agence de sûreté intérieure a publié les photos de 15 hommes vêtus d'uniformes de prisonniers bleus. Les « aveux » forcés de quatre d'entre eux selon lesquels ils avaient planifié des attentats terroristes ont été diffusés par des médias affiliés aux FAAL, en violation de leurs droits. Ils n'ont pas été inculpés ni jugés, et sont privés de la possibilité de communiquer régulièrement avec leur famille et leurs avocats.
Le sort réservé à Al Mahdi al Barghathi
Selon Rawan al Barghathi, la fille d'Al Mahdi al Barghathi, la famille n'a jamais reçu le corps de son père et continue de le considérer comme victime d'une disparition forcée, exigeant que les FAAL révèlent où il est enterré et procèdent à son identification grâce à des tests ADN. En vertu du droit international, la disparition forcée est un crime qui perdure jusqu'à ce que la vérité sur le sort de la victime et le lieu où elle se trouve, ou sur sa dépouille, soit révélée. Sur une vidéo de l'Agence de sûreté intérieure divulguée qui a circulé le 10 octobre, on peut voir Al Mahdi al Barghathi indemne, marchant et parlant lors de son arrestation le 7 octobre. Le 13 octobre, le procureur militaire basé dans l'est du pays, Faraj al Sawsa, a annoncé qu'Al Mahdi avait été grièvement blessé lors de son arrestation. Selon un rapport médicolégal préliminaire qu'a pu consulter Amnesty International, Al Mahdi al Barghathi est mort des suites d'une blessure par balle.
Des proches et des sympathisants tués
Selon des entretiens avec des membres de la famille, des rapports médicolégaux, des certificats de décès et des permis d'inhumation examinés par Amnesty International, au moins six des 40 hommes portés disparus à la suite des affrontements ont été tués et enterrés, dont le fils d'al Barghathi, Ibrahim, deux membres de la Brigade 204, deux membres de la famille d'al Barghathi et un marchand de moutons.
Les corps des six défunts ont été remis aux familles, mais la plupart ont été forcées d'enterrer leurs proches sans recevoir de rapports médicolégaux complets expliquant la cause du décès. Parmi ces dépouilles se trouvait celle du fils d'al Bargathi, Ibrahim. D'après un rapport médicolégal, en date du 21 octobre, il est décédé des suites de blessures par balle. Son corps a été rendu à un membre de sa famille le lendemain. La plupart des autres familles ont reçu les corps dans des linceuls : seuls leurs visages étaient visibles et montraient des signes de torture.
D'après les conclusions d'Amnesty International, fondées sur des sources et des témoignages corroborés, au moins deux des six morts étaient des civils capturés en vie pendant le raid ou dans les jours qui ont suivi, et ils auraient été exécutés de manière extrajudiciaire.
L'un d'eux, Moataz al Barghathi, a été légèrement blessé à la jambe lors de son arrestation. Cependant, le rapport médicolégal préliminaire indique que son décès est dû à deux blessures par balle au poumon et à la tête. Le second, Ahmad Boufnara, un marchand de moutons, a été arrêté quelques jours après le raid. Une photo de son cadavre montre des ecchymoses qui, selon sa famille, sont des marques de torture ; en outre, il avait les yeux crevés. Des points de suture étaient visiblement apparents autour de sa tête et de son torse.
Complément d'information
L'ancien officier supérieur des FAAL, Al Mahdi al Barghathi, a été nommé ministre de la Défense du gouvernement d'entente nationale (GEN) en 2016 et est resté en poste jusqu'en juillet 2018. Il a vivement critiqué l'attaque des FAAL sur Tripoli en 2019-2020.
Les FAAL contrôlent et exercent des fonctions similaires à celles d'un gouvernement à Benghazi, la deuxième plus grande ville du pays, et dans de vastes régions de l'est et du sud de la Libye. Les autorités de facto des FAAL, qui contrôlent un territoire et exercent des fonctions gouvernementales, sont tenues de respecter le droit international humanitaire et relatif aux droits humains.