Dans le cadre de la célébration du 144e anniversaire de la fondation de Brazzaville, l'Institut français du Congo (IFC) a organisé une conférence-débat enrichissante sur l'évolution de la ville et ses sociabilités urbaines, animée par les historiens Scholastique Dianzinga et Stevio Baral Angui, sous la modération de Jean Félix Yekoka. Un temps d'échange suivi de la projection du film « Brazzaville » de Hassim Tall.
Dans sa communication, la Pre Scholastique Dianzinga est longuement revenue sur les circonstances de création de la ville de Brazzaville et son évolution. A en croire ses propos, à l'origine de Brazzaville, c'est l'explorateur Pierre Savorgnan qui est chargé par le comité français de choisir l'emplacement des deux premières stations scientifiques et hospitalières. Ce sont deux postes coloniaux qui devaient servir de base d'opération. La première station, c'est Francheville qui deviendra Franceville au Gabon, fondé le 13 juin 1880.
La fondation de la seconde station, celle qui sera Brazzaville, est précédée du fameux traité à Mbé avec le souverain Téké Iloô 1er que De Brazza appelle Makoko. Le 3 octobre 1880, l'explorateur français va signer au Stanley Pool avec les chefs locaux l'acte de cession par lequel il prend possession du territoire qui à l'époque représentait un véritable enjeu en raison de l'intensité de l'activité commerciale, mais aussi de sa convoitise par le roi belge Léopold II.
De simple territoire, Brazzaville connaîtra plusieurs événements et mutations qui ont contribué à son évolution en tant que ville. " Et donc, durant la colonisation, c'est la fonction de capitale de la France libre qui impulse des transformations marquantes sur le plan de l'aménagement et de l'embellissement de Brazzaville", a fait savoir la Pre Scholastique Dianzinga. Seulement dans cette évolution politique, économique et sociale de Brazzaville, ajoute-t-elle, l'on remarque que la ségrégation qui, autrefois, était sur la base raciale, deviendra une ségrégation urbaine.
Ainsi, on va distinguer le centre-ville où sont installés les cadres et les quartiers populaires Bacongo, Makélélélé, Poto-Poto, Ouénzé. " Si jusqu'à présent, il y a de la ségrégation spatiale, de la ségrégation sociale, mais en réalité, ce sont les sociabilités urbaines qui vont donner une autre image, une scène de rassemblement, plutôt que de se diviser. À travers les orchestres, groupes de danse traditionnels, équipes de football, on assistera à des équipes qui seront caractéristées par la diversité", a-t-elle dit.
Développant cette notion de sociabilité urbaine, le Dr en histoire contemporaine, Stevio Baral Angui, a déclaré qu'en suivant l'histoire de Brazzaville, on remarque que la ville se situe entre mutations et permanence socio-culturelle. Concernant les mutations qu'on observe dans les sociabilités, plusieurs facteurs en sont à l'origine, à savoir l'extension territoriale de la ville.
" Cette extension a favorisé ce que l'on pourrait appeler le passage d'un espace monoscalaire, c'est-à-dire ethnocentrique, à un espace plutôt multiscalaire et cosmopolite. Entraînant la desagrégration de la parenté d'une part, et d'autre part, la recomposition de la parenté", a-t-il expliqué.
On note également le système économique imposé par le milieu urbain qui repose principalement sur l'économie monétaire où l'intérêt personnel prime sur l'intérêt collectif ; la redéfinition du socle infrastructurel de socialisation et sur ce point le Dr Stevio Baral-Anguy a souligné : " Il suffit de parcourir simplement l'ensemble de nos villages. Vous allez vous rendre compte que le cimetière est toujours dans la concession parentale ou familiale. Or, la ville nous impose les cimetières publiques. Et donc, ces éléments, à première vue anodins, introduisent des chocs émotionnels, psychologiques, qui nous emmènent dans le changement social, mais également dans la redéfinition et l'évolution, en quelque sorte, de nos sociabilités".
Dans le même contexte, il a précisé qu'à Brazzaville, aujourd'hui, cette évolution se traduit également par le changement des pratiques sociales et de pratiques culturelles que ce soit à travers des rites funéraires mais aussi dans les habitudes alimentaires, les mentalités, les croyances et dans le style vestimentaire.
Projection du film « Brazzaville »
Film documentaire de cinquante-deux minutes sorti en 2005 et réalisé par le Congolais Hassim Tall Boukambou, « Brazzaville » est un voyage de découverte, pour certains, et de redécouverte pour d'autres, sur des événements, personnages et lieux emblématiques de la capitale congolaise.
Ancré dans l'histoire, ce film plonge le spectateur dans le passé glorieux de la ville et révèle les facettes les plus inattendues et les plus authentiques de la capitale mettant notamment en lumière : l'historique de Brazzaville, le fleuve Congo, la société des ambianceurs et des personnes élégantes (Sape), le marché Total, les sculpteurs de Massengo, les chants et danses traditionnels, la rumba et le ndombolo, l'école de peinture de Poto-Poto, le football avec Diables noirs/Etoile du Congo...
« Brazzaville continue de se transformer à son propre rythme, et je pense que c'est une ville qui va évoluer une fois de plus dans le temps. Ce que j'adore dans Brazzaville, c'est l'énergie de cette jeunesse qui crée. Vingt ans après, ce que je souhaite, c'est que la ville soit encore plus paisible et qu'elle respire enfin de nouveau en créant surtout des espaces verts », a déclaré Hassim Tall Boukambou.