Les impôts jouent un rôle fondamental dans le financement des services publics essentiels, tels que la santé, l'éducation, les infrastructures et les programmes de protection sociale. Ils sont également indispensables au développement économique des nations.
Dans les pays d'Afrique subsaharienne, les besoins en services publics sont considérables, mais les ressources fiscales demeurent souvent limitées. Il est donc crucial que les citoyens s'acquittent de leurs obligations fiscales. Toutefois, des défis structurels et des problèmes de gouvernance ont entravé la mobilisation efficace des recettes fiscales.
Les récentes manifestations contre la fiscalité au Kenya illustrent les tensions croissantes entre les contribuables et le gouvernement sur le continent. Ces protestations mettent en évidence l'importance de concevoir des politiques fiscales qui non seulement génèrent des revenus, mais répartissent également la charge fiscale de manière équitable entre les différentes catégories de revenus. Si les gouvernements ne s'attaquent pas à ces problèmes, ils risquent de saper la confiance publique et d'accentuer la résistance à l'impôt.
Les difficultés logistiques liées à la collecte des impôts constituent un autre obstacle majeur. De nombreuses économies d'Afrique subsaharienne se caractérisent par la prédominance de petites entreprises et d'une agriculture de subsistance, ce qui complique l'administration fiscale. Le secteur informel - qui représente jusqu'à 80 % de l'emploi dans certains pays - échappe en grande partie au cadre fiscal formel. Il est donc difficile pour les gouvernements d'intégrer cette part importante de l'activité économique dans leurs systèmes de recettes fiscales.
La collecte des impôts en Afrique subsaharienne est également freinée par des systèmes administratifs inefficaces. Dans de nombreux pays, les administrations fiscales manquent de ressources et de personnel, ce qui complique la contrôle du respect des obligations fiscales. Il est souvent nécessaire de se rendre physiquement chez les contribuables ou dans leurs entreprises pour collecter les impôts, ce qui augmente les coûts administratifs et favorise les risques de corruption. De plus, dans beaucoup de cas, les registres fiscaux sont encore tenus manuellement- un système sujet à des manipulations, des inefficacités et des pertes de données.
Nos recherches montrent que l'un des facteurs les plus déterminants pour le respect des obligations fiscales en Afrique subsaharienne est la confiance envers le gouvernement.
Les citoyens sont plus enclins à s'acquitter de leurs obligations fiscales lorsque le gouvernement est perçu comme juste et transparent dans l'utilisation des recettes fiscales. Un contrat social solide, où les citoyens estiment que leurs impôts leur sont redistribués sous forme de biens et services publics, est essentiel.
À l'inverse, lorsque les services publics sont inadéquats ou que la corruption est perçue comme généralisée, le moral des contribuables diminue. Il en résulte une plus grande résistance à l'impôt. Au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et en Afrique du Sud, des études ont montré que la satisfaction à l'égard des services publics favorise le respect des obligations fiscales. Une autre étude a montré que la perception de la corruption a un effet négatif sur le respect des obligations fiscales en Afrique subsaharienne.
La qualité de la gouvernance joue également un rôle dans le respect des obligations fiscales. Les citoyens qui font confiance à leur gouvernement et qui perçoivent que les recettes fiscales sont utilisées pour réduire les inégalités sont plus enclins à payer leurs impôts.
Progrès
Malgré les défis liés à la collecte des recettes fiscales, de nombreux pays africains ont réalisé des progrès au cours des trois dernières décennies.
Entre le milieu des années 1990 et 2016, les recettes totales (hors dons) de économies africaines à revenu intermédiaire sont passées d'environ 14 % à plus de 18 % du PIB. Les recettes fiscales ont augmenté de 11 % à 15 % du PIB.
Il s'agit d'une avancée significative, mais l'Afrique reste néanmoins la région du monde avec le plus faible ratio recettes/PIB.
La faiblesse des systèmes d'administration fiscale continue de limiter la capacité des gouvernements à financer les initiatives de développement. En conséquence, de nombreux pays peinent à fournir des services essentiels tels que les soins de santé, l'éducation et les infrastructures.
Les pays ont également tendance à recourir à des impôts « régressifs », comme les taxes sur la consommation. Ces taxes affectent surtout les ménages les plus pauvres, qui consacrent une part plus importante de leurs revenus à l'achat de biens et de services imposables. Cela affaiblit l'effet redistributif des systèmes fiscaux et peut exacerber la pauvreté et les inégalités.
La voie à suivre
La technologie pourrait aider à relever de nombreux défis liés à la collecte des impôts. Les systèmes fiscaux numériques, l'argent mobile et les déclarations en ligne pourraient contribuer à réduire les inefficacités et à accroître la transparence. Certains pays, comme le Rwanda et le Ghana, ont déjà adopté la technologie pour simplifier les processus et améliorer la conformité.
Cependant, de nombreuses zones rurales d'Afrique subsaharienne ne disposent pas de l'infrastructure Internet nécessaire. Les systèmes fiscaux numériques exigent des autorités fiscales qu'elles investissent dans l'infrastructure et la formation.
Néanmoins, à mesure que la technologie mobile se développe dans la région, les gouvernements seront en mesure d'utiliser des outils numériques pour élargir l'assiette fiscale et favoriser la conformité
Réduire la corruption
Pour renforcer le respect des obligations fiscales, il est essentiel d'améliorer le contrat social entre les gouvernements et les citoyens. Les recherches montrent que lorsque les gens pensent que leurs impôts sont utilisés pour des biens et des services publics qui leur profitent, ils sont plus enclins à s'y conformer.
Le moral des contribuables peut être amélioré en étant transparent, en réduisant la corruption et en s'assurant que les recettes fiscales sont clairement utilisées pour des projets de développement
Des campagnes de communication ciblées sur l'utilisation des fonds fiscaux peuvent contribuer à restaurer la confiance dans les institutions gouvernementales.
Le chemin à parcourir pour améliorer les systèmes fiscaux et le respect des obligations fiscales en Afrique subsaharienne est long. Mais avec les bonnes interventions politiques, les gouvernements peuvent débloquer le potentiel de recettes. Cela contribuera à renforcer les économies, à améliorer les services publics et, en fin de compte, à favoriser un développement plus équitable et plus inclusif en Afrique.
Heikki Hiilamo, Professor of Social Policy, University of Helsinki
Enrico Nichelatti, PhD candidate, University of Helsinki