Depuis plus d'un demi-siècle, le peuple chagossien mène une âpre lutte contre l'arbitraire colonial. Tous les Chagossiens qui vivaient dans cet archipel du nord de l'océan Indien ont été déportés de force à partir de 1968 vers Maurice et les Seychelles pour permettre l'installation d'une base militaire américaine à Diego Garcia. Après des décennies de batailles, Maurice récupère finalement les Chagos du Royaume-Uni à la suite d'un accord annoncé jeudi entre les deux gouvernements.
Voici les dates clés de ce combat, depuis les discussions secrètes entre le Royaume-Uni et les États-Unis, l'expulsion des Chagossiens, les différentes batailles légales jusqu'aux récentes négociations entre Port-Louis et Londres sur la restitution de l'archipel, avec en toile de fond les enjeux de sécurité et les droits bafoués de ses habitants.
1861 : On recense plus de 550 habitants dans l'archipel, où la plupart sont employés dans les plantations de coprah, le produit séché du noyau de la noix de coco. Au milieu des années 1960, environ 1 000 personnes originaires de l'archipel résident à Diego Garcia, ainsi que dans les îles de Peros Banhos et Salomon.
1964 : Des discussions secrètes s'engagent entre les autorités britanniques et américaines pour établir une base militaire dans l'océan Indien. Une étude réalisée dans ce cadre conclut que «la mise à disposition de Diego Garcia pour des raisons de sécurité nécessitera le déplacement de toute la population présente sur l'île».
1965 : Une rencontre a lieu à Lancaster House, en Angleterre, entre le Secrétaire britannique aux Colonies, Anthony Greenwood, et le Premier ministre mauricien, sir Seewoosagur Ramgoolam. Un passage du compte-rendu de cette réunion indique que Ramgoolam, Sookdeo Bissoondoyal et Razack Mohamed étaient disposés à accepter la séparation des Chagos en échange, notamment, d'une indemnisation de 3 millions de livres sterling accordée au gouvernement semi-autonome de Maurice.
1966 : Le Royaume-Uni signe un bail de 50 ans avec les États-Unis, pour utiliser Diego Garcia, l'île principale de l'archipel des Chagos, à des fins militaires. Bien que le Royaume-Uni soit responsable de l'administration du Territoire britannique de l'océan Indien (BIOT), les États-Unis, en tant que locataires, exercent un contrôle exclusif sur l'île de Diego Garcia. En contrepartie, le Royaume-Uni reçoit 14 millions de dollars pour financer le programme de développement du missile Polaris.
Pendant la guerre froide, cette base a joué un rôle stratégique majeur, alors que la chute de Saïgon et la victoire des Khmers rouges au Cambodge avaient amoindri les capacités militaires de Washington en Asie du Sud-Est. Plus récemment, elle a servi dans les deux guerres américaines en Irak (1990-1991 et 2003-2006) et dans les bombardements américains en Afghanistan en 2001. Elle a également été utilisée par la CIA comme centre d'interrogatoire de suspects capturés en Afghanistan, après les attentats du 11 septembre 2001.
Aujourd'hui, au vu de la situation au Proche et Moyen-Orient, elle reste idéalement placée pour les Américains et les Britanniques.
1967 : Le gouvernement britannique achète toutes les terres de l'archipel à la Chagos Agalega Company Ltd pour 660 000 livres sterling.
1968 : Maurice obtient son indépendance, marquant ainsi le début de la déportation forcée des Chagossiens vers Maurice et les Seychelles. Les premiers habitants des Chagos ont été exilés de leur terre natale en 1968 par des Orders in Council du gouvernement du Premier ministre travailliste Harold Wilson.
1971 : Une ordonnance britannique, la British Indian Ocean Territory Immigration Ordinance, est émise, limitant l'accès aux Chagos.
9 mars 1971 : Les premières troupes américaines débarquent sur le sol des Chagos.
25 avril 1973 : Les derniers Chagossiens sont contraints de quitter les îles à bord du Nordvaer pour laisser la place à la base américaine de Diégo Garcia...
1982 : Un comité permanent est mis en place par des parlementaires mauriciens pour faire toute la lumière sur les circonstances ayant mené à l'excision des Chagos, dont Diego Garcia, de l'île Maurice en 1965. Sous la direction du ministre des Affaires étrangères d'alors, Jean Claude de l'Estrac, le comité présente un rapport détaillant le rôle du gouvernement mauricien dans cette séparation et critique sévèrement le Royaume-Uni pour avoir «violé» la Charte des Nations unies. Un accord est signé entre le gouvernement mauricien et celui du Royaume-Uni pour une compensation financière mais les Chagossiens refusent préférant retourner sur leurs terres.
2000 : Olivier Bancoult, leader du groupe réfugiés Chagos, remporte une première victoire historique devant la Haute Cour de Londres. Celle-ci déclare «illégal» le déplacement des Chagossiens, leur accordant ainsi le droit de retourner sur leur terre natale.
2004 : Le gouvernement travailliste de Tony Blair annonce que deux décrets royaux, signés par la reine Elizabeth II, annulent le jugement de 2000 et interdisent définitivement aux Chagossiens de retourner dans l'archipel.
2006 : La Haute Cour juge les ordonnances de 2004 «illégales» après l'appel des Chagossiens. Ces derniers retrouvent donc le droit de revenir dans l'archipel, comme décidé en 2000. En 2007, le gouvernement britannique fait appel, mais se voit débouté par la Cour d'appel.
2008 : Les Law Lords, par une mince majorité, estiment que l'ordre d'expulsion de 2004 est légal.
1er avril 2010 : Le Tribunal international du droit de la mer est saisi par les autorités britanniques pour la création d'une zone marine protégée de plus de 500 000 km2 autour des Chagos. Ce parc marin menace tout espoir de retour des Chagossiens et interdit toute activité de pêche dans la région. Le 21 décembre 2010, l'État mauricien conteste cette création devant le Tribunal international du droit de la mer.
2012 : Les Chagossiens portent leur affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui demande aux deux parties de parvenir à un accord amiable. Face au refus de Londres, la CEDH rend un jugement condamnant la position «insensible et honteuse» du Royaume-Uni.
2013 : Olivier Bancoult saisit la Divisional Court pour contester la création du parc marin, mais subit un échec dans sa démarche.
2015 : Les Chagossiens reviennent devant la Cour suprême pour contester le jugement rendu par les Law Lords en 2008. Leur appel est finalement rejeté en juin 2016.
Juin 2017 : Maurice porte l'affaire devant l'Organisation des Nations unies (ONU) pour contester la séparation des Chagos du territoire mauricien par le Royaume-Uni. L'objectif est d'obtenir un avis consultatif de la Cour internationale de justice sur cette question. C'est le ministre mentor d'alors, sir Anerood Jugnauth (SAJ), qui plaide la cause mauricienne à l'ONU. Lors de son discours, il fait ressortir que Maurice a toujours été constant dans sa lutte contre l'excision de l'archipel des Chagos de son territoire. Il fait valoir que le sort réservé aux Chagossiens lors de cette excision est en contradiction avec les lois internationales et les droits humains. La résolution de Maurice est adoptée, avec le soutien de 94 États membres de l'ONU.
13 février 2019 : La Divisional Court britannique statue en faveur du gouvernement du Royaume-Uni et conclut que la décision d'interdire aux Chagossiens de retourner s'installer sur l'archipel pour des raisons de sécurité nationale ne peut être annulée par une cour de justice car il s'agit d'une question relevant de la souveraineté britannique.
25 février 2019 : La Cour internationale de justice rend son verdict : «Le Royaume-Uni doit quitter les Chagos dans les plus brefs délais.» Le 22 mai 2019, 116 États membres de l'ONU votent en faveur de la résolution mauricienne sur le dossier des Chagos, tandis que 56 pays s'abstiennent et 6 votent contre.
2022 à 2024 : Les négociations entre le Royaume-Uni et Maurice concernant la souveraineté sur le British Indian Ocean Territory et l'archipel des Chagos ont débuté en novembre 2022. Douze séries de pourparlers ont eu lieu pendant ce temps. Lors d'une rencontre le 23 juillet 2024 entre le Premier ministre britannique, sir Keir Starmer, et son homologue mauricien, Pravind Jugnauth, il a été convenu de poursuivre les discussions sur cette question complexe et ancienne.
3 octobre 2024 : L'accord signé, qui prendra la forme d'un traité, marque un tournant en reconnaissant officiellement la souveraineté de Maurice sur l'ensemble de l'archipel des Chagos, y compris Diego Garcia. Toutefois, un compromis a été trouvé pour cette île, qui héberge la base militaire américaine. Pour une période initiale de 99 ans, le Royaume-Uni pourra poursuivre l'exploitation de la base militaire de Diego Garcia, mais sous la souveraineté de Maurice.