Ile Maurice: Médicaments gratuits - le président de l'association des pharmaciens «choqué»

Avant la dissolution du Parlement et alors qu'il était toujours Premier ministre, Pravind Jugnauth avait annoncé, le 29 septembre, que les médicaments seront gratuits dans le secteur privé pour tous s'il obtient un prochain mandat. Cette annonce faisait suite à celle de Navin Ramgoolam, leader du Parti travailliste, concernant la gratuité des médicaments pour les retraités uniquement cette fois.

Par ailleurs, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, lors de l'inauguration du Dr Bruno Cheong Medical Centre à Flacq le 2 octobre, a souligné que les prix des médicaments continueraient d'augmenter. En ce qui concerne la mise en place de cette mesure annoncée par Pravind Jugnauth, il a indiqué : «Bizin fer enn travay. Ena tou letan pou sa ek pou resi, bizin kone kouma pou fer li.» Questions dès lors : cette mesure électoraliste est-elle vraiment réaliste, sachant que les prix des médicaments flambent et qu'il existe déjà, par moments, des pénuries ?

Chetan Dookun, président de la Pharmaceutical Association of Mauritius (PAM), se dit carrément «choqué» par cette annonce.

«Les médicaments sont déjà gratuits dans les hôpitaux. Un patient se tourne vers le privé par choix ou par manque de confiance dans le système gratuit existant. Pourquoi le gouvernement proposerait-il des médicaments gratuits dans le secteur privé ? La situation des pharmaciens privés s'est particulièrement détériorée depuis l'introduction du 'regressive mark-up', destiné à faire baisser le prix des médicaments. Nous avions signalé que ce système ne ferait pas baisser les prix malgré les consultations avec les autorités concernées. Depuis, les prix des médicaments continuent de grimper.»

Il fait remarquer que, le 27 septembre, il a été décidé de réduire l'exemption pour l'importation de produits pharmaceutiques «bonus/free-of-charge» de 30 % à 10 % dans le cadre du contrôle des prix, dans le but de réduire le coût des médicaments. «Cette exemption de 30 % soutenait la marge minime imposée aux grossistes. Ces 30 % étaient normalement partagés avec le commerce de détail. Les mesures prises n'aideront pas à faire baisser les prix.» Il avertit que le prix des médicaments va encore prendre l'ascenseur avant de se demander : «Ceux qui savent que les médicaments sont gratuits dans le privé iront-ils encore à l'hôpital ? Le budget alloué au secteur privé va exploser. D'où l'État obtiendra-t-il le financement nécessaire ?»

«Farfelue sans réflexion préalable»

Le président de la PAM rappelle en outre que ceux qui exercent dans le privé ont investi dans une pharmacie qui offre un service. «Il nous faut de l'argent pour maintenir le stock. Une personne paie pour son médicament et le pharmacien réinvestit dans le stock. Mais si on distribue des médicaments gratuitement et que les pharmaciens sont payés des mois plus tard, cela ne sera pas soutenable, surtout pour les petits pharmaciens. Cela va compromettre la qualité des soins.» Pour Chetan Dookun, cette annonce faite à la veille des élections est «farfelue sans réflexion préalable. Je ne dis pas que ce n'est pas faisable, mais on ne peut pas avoir deux systèmes gratuits». Il estime que la mise en place de ce système pourrait prendre «plusieurs années».

Siddique Khodabocus, président de l'Association des petits et moyens importateurs de produits pharmaceutiques, soutient également que les pharmaciens sont inquiets par rapport à cette mesure, mais il n'est pas contre cette idée. «Les médicaments sont déjà chers à la source, notamment à cause du coût élevé des matières premières et du fret, entre autres facteurs. Les gens ont du mal à acheter leurs médicaments dans le privé, surtout les médicaments de marque, qui sont coûteux. Avec le pouvoir d'achat en baisse, cela ne va pas s'améliorer. Le prix des médicaments flambe et la roupie se dévalue.» Il propose qu'«un moyen d'accompagnement» soit mis en place. «Je pense que le gouvernement devrait aider ces personnes, soit par une catégorisation leur permettant d'avoir accès aux médicaments, soit par une contribution ou encore par la mise en place d'une carte limitant la quantité de médicaments obtenus gratuitement. Si une personne en utilise davantage, elle paiera la différence. Donner des médicaments gratuitement est une bonne idée, mais il y a tout un travail à faire en amont.»

Mais il rappelle si besoin est que le système de soins dans les hôpitaux est déjà gratuit. «Maintenant, faire en sorte que le privé devienne gratuit... Nous ne pouvons pas avoir deux systèmes gratuits. Le public n'ira plus à l'hôpital. Ce ne sera donc pas facile à gérer. Il faut étudier tout cela.» Toutefois, il met en garde contre les risques de pénurie en l'absence de bonne planification, ainsi que contre la surprescription, la création d'un mode de vie sans précaution, une consommation excessive de médicaments et le développement de résistances aux médicaments. Il estime que les officines doivent être consultées pour la mise en place de cette mesure, car elles sont des acteurs essentiels. «Il faut veiller à ce que cette mesure soit bénéfique pour les patients comme pour les pharmaciens. Nous craignons pour notre profession si cette réforme est mal appliquée. Cela pourrait impacter un large secteur de l'économie si c'est mal implémenté. Le droit fondamental d'une personne est de connaître ses soins. Si le gouvernement souhaite nous aider, nous l'accueillons favorablement, tant que cela n'impactera pas notre profession et que cela ne donnera pas lieu à des abus.»

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