Congo-Kinshasa: Au-delà de l'Est du pays, la menace posée par un groupe armé affilié à Daech pèse sur l'ensemble de la région des Grands Lacs

8 Octobre 2024

Alors que les combats directs entre les forces armées congolaises et le groupe armé M23 dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC) ont fortement diminué, la menace que représente les ADF, un groupe armé affilié à Daech, perdure et pèse aussi sur l'ensemble de la région des Grands Lacs.

C'est l'avertissement lancé par la cheffe de la Mission des Nations Unies en RDC (MONUSCO), Bintou Keita, alors qu'elle se trouvait à New York, la semaine dernière, pour informer les membres du Conseil de sécurité sur la situation dans l'Est de la RDC.

Dans un entretien accordé à ONU Info, elle observe que les ADF commettent beaucoup d'exactions et ont tué un nombre élevé de civils, alors que les combats avec le M23 ont diminué depuis le cessez-le-feu début août entre la RDC et le Rwanda, qui soutient le M23.

La menace posée par les ADF, « si on n'y fait pas attention, c'est quelque chose qui risque de perdurer » et de « créer beaucoup de problématiques pour l'Est de la RDC mais peut-être même la région des Grands Lacs », dit-elle.

Dans cet entretien, elle évoque également le désengagement progressif de la MONUSCO de l'Est de la RDC et l'impact que ce désengagement peut avoir sur la participation des femmes aux processus de paix et aux processus politiques. Elle parle aussi de l'assistance apportée aux victimes d'exploitation et abus sexuels par des Casques bleus et comment cette assistance va continuer après le départ de la mission.

L'entretien a été édité pour des raisons de clarté et de longueur

La MONUSCO est toujours déployée dans deux provinces de l'Est de la République démocratique du Congo. Qu'en est-il de la situation sécuritaire, notamment après l'accord de cessez-le-feu signé par la RDC et le Rwanda le 30 juillet avec la médiation de l'Angola ? Et qu'en est-il de la menace des groupes terroristes affiliés à Daech dans la région ?

Ce cessez-le-feu du 30 juillet avec l'entrée en vigueur le 4 août dernier a été une bonne nouvelle parce que sur le terrain, nous avons observé une baisse importante des combats directs entre les forces armées de la République démocratique du Congo et le M23. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des escarmouches entre certains groupes et le M23, mais on a quand même une forme d'accalmie et on espère que ça va se transformer, avec la poursuite des efforts du Président Joao Lourenço dans la facilitation, en quelque chose qui puisse rester permanent.

Sur la question des ADF, les Forces alliées démocratiques, affiliées à l'État islamique, malheureusement, ce que nous nous constatons, c'est qu'elles commettent plein d'exactions et que le nombre de personnes tuées par les ADF est absolument faramineux.

Il y a une attention portée au M23, pour lequel il y a notamment des problématiques de déplacement de population. Mais pour ce qui concerne les ADF, si on n'y fait pas attention, ça sera quelque chose qui risque de perdurer et de créer beaucoup plus de problématiques pour la région, pour l'Est de la RDC, mais peut-être même d'une façon plus grande, la région des Grands Lacs. C'est la raison pour laquelle on se soucie aussi des ADF, même si tout le monde focalise sur le M23.

La MONUSCO travaille beaucoup sur la protection des civils. Nous déployons des bases mobiles de nos militaires de façon régulière dans la zone de Beni, de Maimoya, Eringeti et Kilia. Mais surtout, ce qu'on essaye de faire, c'est d'engager dans des opérations conjointes avec les FARDC (forces armées congolaises) ou même d'avoir des opérations unilatérales. Et quand on regarde le nombre d'opérations qui ont été menées récemment, on est à plus de 12 opérations rien que dans la région de Beni.

La MONUSCO s'est retirée, plus tôt cette année de la province du Sud-Kivu. Vous avez dit que vous souhaitiez tirer les leçons du départ du Sud-Kivu pour poursuivre le désengagement progressif de la mission. Où en est actuellement votre réflexion sur cette question ?

Le désengagement s'est passé le 30 juin. Les équipes ont travaillé avec les composantes de la mission, les agences, fonds et programmes. Il y a eu des conversations avec les autorités congolaises au niveau provincial et aussi au niveau central et des échanges avec les collègues du siège. J'ai reçu une première ébauche de ce qu'on appelle une After action review, qui regarde tous les domaines sur lesquels nous avons appris des leçons. Lorsque tout cela sera validé, je pourrais mettre sur la place publique les grandes leçons que nous avons tirées.

Nous avons tiré beaucoup de leçons en termes de logistique. Nous avons tiré des leçons en termes de préparation, de qualité de préparation des partenaires avant des engagements.

Comment on mobilise les partenaires extérieurs, pas seulement les agences, fonds et programmes, mais les partenaires extérieurs aussi pour qu'ils puissent accompagner au-delà du système des Nations Unies, les autorités provinciales et les autorités locales. Et nous avons aussi vu tous les aspects de relations avec les pays contributeurs de troupes, de police et surtout aussi comment on gère le désengagement par rapport au personnel, que ce soit le personnel international ou le personnel national.

Dans le cadre de l'évolution de la présence de la MONUSCO dans l'Est, le Conseil de sécurité a autorisé en août la MONUSCO à fournir un soutien logistique à la mission de paix de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), la SAMIRDC. Comment fonctionne ce partenariat ?

C'est un partenariat qui est de plus en plus renforcé. Il y a beaucoup d'échanges entre le commandant de la force SAMIRDC et notre propre commandant de la force onusienne. Mais ça ne s'arrête pas simplement à des discussions entre les militaires. Il y a aussi les composantes civiles de la mission. Notre Représentante spéciale adjointe qui est basée à Goma pour la protection et les opérations est aussi en contact avec SAMIRDC. Et il y a des discussions avec nos collègues du bureau conjoint des droits de l'homme sur tout ce qui concerne les cadres de conformité par rapport aux droits de l'homme, mais aussi tout ce qui est le human rights due diligence pour les soutiens que nous sommes amenés à fournir à SAMIRDC.

En ce moment, puisque nous avons eu l'autorisation en août, nous sommes en train de préparer un prochain rapport qui dira la perception, la vision que nous avons les uns et les autres de la mise en en oeuvre de ce soutien à SAMIRDC et bien évidemment, on demandera aussi le point de vue de l'autorité congolaise.

La participation des femmes aux processus de paix et aux processus politiques est un élément important de votre mandat. Pouvez-vous nous dire concrètement comment cela s'est traduit pour les femmes congolaises et comment on peut protéger ces acquis dans le contexte de la transition actuelle ?

C'est une question complexe parce qu'avec la résolution 1325, il y a une demande très claire des femmes congolaises, de la société civile aussi, des élites, d'être à la table des discussions lorsqu'il y a des négociations sur le processus de paix. Mais d'une certaine manière, par défaut, on voit quand même que c'est essentiellement un milieu très fortement masculin.

Quand les femmes nous disent : « On veut être à la table », ça demande beaucoup d'efforts pour pouvoir arriver à être à la table. Et être à la table, dans quelle capacité ? En tant que parties prenantes qui ont des recommandations, ont bossé leur sujet et sont très concrètes ? Ou est-ce être à la table en tant que victimes ? Puisque quand même, dans toute cette situation à l'est de la RDC, les femmes et les filles, et les enfants, sont extrêmement vulnérables à toute cette violence, y compris la violence sexuelle.

La mission, à travers nos différentes composantes, politique, genre, protection de l'enfant, et cetera, a fait beaucoup d'efforts, en partenariat avec nos collègues du Bureau de l'Envoyé spécial pour la région des Grands Lacs et ses équipes, pour utiliser tous les canaux possibles afin que la voix des femmes se fasse entendre dans différents fora, aussi bien ce qui se passe sur le territoire congolais, mais aussi ce qui se passe à Nairobi, au Burundi, à Luanda.

On est dans un rôle de plaidoyer, un rôle de facilitation pour la participation des femmes. Et nous pensons qu'on devrait pouvoir avoir de moins en moins de plaidoyer à faire, que ça devienne naturel, que ceux qui pensent à la structure de facilitation et de négociation pensent immédiatement qu'il y a des femmes qui doivent être dans le dispositif.

Comment pensez-vous pouvoir protéger ces acquis avec le désengagement de la MONUSCO ?

Alors quand il s'agit de du travail qui a été investi durant des années par la mission, on a bien évidemment un partenaire idéal côté de l'équipe pays des Nations Unies, ONU Femmes. Il y a beaucoup d'échanges, d'initiatives, et aussi avec le Bureau de l'envoyé spécial pour la région des Grands Lacs. Il s'agit vraiment de faire en sorte qu'à la fois côté onusien mais aussi côté des organisations de femmes, de la société civile et des ONG nationales et ou internationales qui travaillent sur ces questions, il y ait une bonne compréhension pour la continuité de l'investissement qui a été fait pour préserver les acquis et continuer les efforts de protection lorsqu'il y a des vulnérabilités qui sont connues sur le terrain au niveau local. Et de continuer à faire en sorte que la voix des femmes ne soit pas perdue dans quelque processus qui se passe.

L'exploitation et les abus sexuels commis par les soldats de la paix ont eu des répercussions sur les communautés, en particulier dans l'Est, y compris sur les enfants laissés pour compte. Au cours de la transition, comment l'ONU assurera-t-elle une assistance continue aux victimes de ces injustices et comment les victimes qui ne se sont pas manifestées pourront elles signaler les allégations de mauvaise conduite impliquant les Casques bleus après le départ de la mission ?

Très concrètement, sur le Sud-Kivu, bien avant le départ du 30 juin on a vu le nombre d'allégations monter. Nous avons mis en place des conversations au niveau du terrain, au niveau du siège avec l'équipe de Christian Sanders (Coordonnateur spécial chargé d'améliorer la réponse des Nations Unies à l'exploitation et aux abus sexuels), mais aussi de la responsable pour l'assistance aux victimes, dans un dialogue avec l'équipe pays des Nations unies et sous le leadership du Représentant spécial adjoint qui est le Coordonnateur résident et le Coordonnateur humanitaire, pour assurer qu'on ait la continuité des mécanismes de plainte au niveau communautaire, très fortement reliés à l'équipe pays des Nations Unies.

Donc il y aura une continuité de possibilités de faire remonter les plaintes, mais aussi une façon de suivre immédiatement avec un soutien aux victimes, un soutien non seulement aux femmes, mais aussi aux enfants, issus de ces abus et exploitation sexuels. Et dans le cheminement pour s'assurer que ce soit sur la durée, il y a tout un travail, y compris des consultations qui sont faites maintenant par le siège pour s'assurer qu'au niveau de la coordination du système des Nations Unies en RDC, il y ait un dispositif solide pour que toute personne qui se sent lésée puisse continuer à porter plainte, que les plaintes soient traitées, que les victimes soient assistées et que le dispositif continue au-delà de l'existence de la mission.

Il y a pas mal de travail parce qu'il faut trouver aussi les façons de financer ces dispositifs pour soutenir l'équipe de la coordination du système des Nations Unies. Je suis confiante qu'il y a pas mal de partenaires qui sont en train de voir comment ils peuvent aider pour que personne ne soit laissé en arrière-plan de cette problématique, soit en tant que victime, soit en tant qu'enfant qui doit recevoir un soutien.

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