Avec la date des élections fixée au 10 novembre, c'est le rappel de nos nominés dans les chancelleries mauriciennes à l'étranger, le temps de participer activement à la campagne électorale du gouvernement sortant. D'autres se prêtent déjà au jeu politique en se portant candidat. À l'instar de Mahen Jhugroo qui arrive tout juste de Washington, DC, aux États-Unis, pour briguer les suffrages à Piton- Rivière-du-Rempart.
Jhugroo n'est pas le premier nominé ni le dernier à quitter son poste pour retrouver l'ambiance enfiévrée d'une campagne électorale. Surtout si son leader exige sa présence. Loin de la campagne Trump/Harris qu'il a suivie comme un simple spectateur aux États-Unis, le colistier de Leela Devi DookhunLuchoomun et de Ravi Yerrigadoo sera appelé en revanche à revivre celle à la mauricienne dans les jours à venir.
La question de sa participation électorale n'est pas le sujet mais il est surtout important de s'interroger sur son bilan au terme de presque cinq années passées dans la capitale américaine, visage de la diplomatie économique américaine. On a hâte de connaître les actions entreprises pour doper les investissements américains à Maurice, et vice versa, en termes de débouchés commerciaux pour les produits mauriciens autres que le textile. Avec, à la clé, le renforcement des relations commerciales et économiques entre les deux pays.
Comme on veut le savoir pour les nominés dans d'autres chancelleries en Europe, en Asie et ailleurs. Qu'il s'agisse de Paris, Londres, Bruxelles, Berlin, Beijing, Moscou et autres. Alors que certains se font davantage remarquer dans d'autres domaines, comme Chandan Jankee, à la faveur de certaines interventions à la radio pour défendre la politique économique du gouvernement, d'autres se font plus discrets, souffrant d'une absence sur le radar diplomatique.
Ce qui est le cas pour l'ambassadeur mauricien à Paris, nommé en 2017, dont le nom, Vijayen Valaydon, est méconnu peut-être par neuf personnes sur dix. Et on ne se souvient pas nécessairement de son implication dans une grande initiative diplomatique, ayant des retombées économiques et commerciales à Maurice. Encore qu'il doive aujourd'hui cohabiter avec un deuxième ambassadeur, Raj Sookun, ancien ministre conseiller dans cette mission, promu ambassadeur il y a quelques mois. Dans d'autres chancelleries, dont on attend le retour des nominés pour prêter mainforte au gouvernement sortant, le bilan reste pour le moins discutable.
Or, on ne cessera de le répéter : les ambassades sont censées être les portes d'entrée d'un pays sur la scène internationale, jouant un rôle crucial dans la défense des intérêts nationaux. Trop souvent, l'image que ces nominés traînent est celle d'un porteur de valises quand une VVIP débarque à l'aéroport, si ce n'est de lui offrir l'hospitalité de sa résidence de luxe, ce qui permettra à celle-ci d'économiser quelques centaines de dollars.
Cependant, d'un régime à l'autre, les nominations politiques dans les chancelleries ont transformé ces postes clés en sinécures, les locataires bien rémunérés, sans réelles obligations ou sans compétences appropriées. Cette tendance soulève toutefois des questions sur l'efficacité de la diplomatie et la manière dont les intérêts d'un pays sont défendus dans un monde en constante évolution.
Le visage et la voix de son pays
Il faut comprendre, disent les spécialistes de la diplomatie, que les ambassades ne sont pas de simples extensions administratives du gouvernement à l'étranger ; elles sont au coeur des relations diplomatiques d'un pays. Elles représentent l'État dans les affaires internationales, servent de relais entre les gouvernements, assurent la protection des ressortissants à l'étranger et facilitent les échanges économiques, politiques et culturels.
Un ambassadeur demeure le visage et la voix de son pays. À ce titre, il doit non seulement avoir une expertise diplomatique, mais également une connaissance approfondie des dossiers internationaux, des enjeux économiques mondiaux, ainsi que des spécificités locales du pays dans lequel il est affecté. Il doit aussi posséder une sensibilité politique et culturelle capable d'influencer les décideurs à l'étranger et d'obtenir des résultats concrets pour son pays.
Malheureusement, on constate que ce cadre idéal est loin d'être respecté, avec pour résultat que les nominations aux postes diplomatiques sont constamment critiquées pour leur caractère politique. De tout temps, les ambassadeurs sont choisis non pas pour leurs compétences mais pour caser un candidat battu ou un proche du pouvoir. Ces nominations apparaissent plus comme une récompense pour services rendus au parti au pouvoir qu'une reconnaissance de mérites diplomatiques.
L'enjeu ici n'est pas seulement une question de mauvaise gouvernance, mais un affaiblissement réel de la capacité à défendre ses intérêts sur la scène internationale, face aux complexités des enjeux économiques, commerciaux et géopolitiques. Résultat des courses : l'efficacité de la diplomatie mauricienne est fragilisée. «Les ambassadeurs, manquant de formation ou d'expérience dans les affaires diplomatiques, peinent à s'imposer dans des discussions internationales complexes, que ce soit sur les questions économiques, climatiques ou de sécurité. Ce manque de compétence peut affaiblir la position d'un pays dans les négociations, que ce soit au niveau régional ou global», souligne un ancien diplomate.
Pire, l'absence d'une véritable expertise dans les ambassades peut compromettre la capacité d'un pays d'attirer des investissements étrangers. Les ambassadeurs sont souvent des points de contact pour les entreprises et les investisseurs internationaux, et leur capacité à comprendre et à répondre aux préoccupations des investisseurs est cruciale. Si ces ambassadeurs n'ont pas la compétence nécessaire pour promouvoir les atouts d'un pays, ce sont autant d'opportunités qu'ils laisseront passer.
Et quid des solutions ? Il n'y en a pas mille. Il faudra la mise en place de critères transparents de nomination. Les nominations d'ambassadeurs devraient se baser sur des critères objectifs allant de l'expérience diplomatique à la connaissance des affaires internationales, en passant par la capacité à représenter Maurice de manière efficace. Cela nécessiterait une refonte du processus de sélection.
Reste à savoir si les principales alliances politiques sont prêtes à prendre cet engagement et à l'inclure dans leurs manifestes électoraux en finalisation actuellement, conscientes qu'il y a des prétendants qui ont déjà fait leur choix et que des accords sont déjà peut-être conclus sur la répartition des ambassades entre les différentes formations de ces deux blocs.
Maurice doit redresser la barre en plaçant les compétences et l'expertise au coeur de ses décisions diplomatiques, sous peine de voir ses intérêts économiques et stratégiques menacés. Le rôle des ambassades ne doit pas être réduit à un simple outil de rétribution politique, mais doit au contraire rester un pilier fondamental de sa politique étrangère.