Le deal historique conclu avec le Royaume-Uni pour le retour des Chagos à la République de Maurice a précipité le calendrier électoral. Ainsi, depuis vendredi dernier, toutes les cartes sont sur table. Le Premier ministre a mis fin à tout suspense en annonçant que les élections générales se tiendront le 10 novembre, dissipant du coup l'écran de fumée - personne n'avait vraiment cru au subterfuge - d'une partielle dans la circonscription No 10. À n'en point douter, cette joute électorale, même si elle n'est pas la plus importante que le pays connaîtra depuis les législatives de 1967, demeure primordiale pour l'avenir de la nation.
Ayant accédé au fauteuil de Premier ministre en 2017 à la faveur du désistement de son père sir Anerood, Pravind Jugnauth a depuis pris l'envergure d'un chef de gouvernement, d'abord en légitimant sa position en remportant les élections générales de novembre 2019 lors d'une lutte à trois, positionnant le Mouvement Socialiste Mauricien comme le plus grand parti sur l'échiquier politique, raflant au passage 37 % des suffrages.
Même à ses heures de gloire, sir Anerood Jugnauth, avec l'apport, relativement faible du Renouveau Militant Mauricien de Prem Nababsing, n'avait pu mieux faire qu'un score de 19,85 % lors du second 60-0 que le pays a connu. Son bilan plaide également en sa faveur. Pravind Jugnauth est celui qui a eu le courage politique de mettre en chantier le Metro Express, avec la vision sur le long terme de connecter le pays au réseau ferroviaire.
Sur le plan économique, alors que son quinquennat se termine, Pravind Jugnauth s'en est plutôt pas mal sorti, surtout quand on sait que lors des deux premières années de sa mandature, l'économie mauricienne était durement touchée par la pandémie, avec une décroissance de 15,9 % du PIB enregistrée en 2020. Certes, en cette période exceptionnelle, son Grand argentier, Renganaden Padayachy, a usé de techniques non traditionnelles, comme la ponction de Rs 140 milliards pour, d'une part, créer la Mauritius Investment Corporation et, d'autre part, financer le Budget 2020-2021, mais cette démarche audacieuse aura permis de sauver des entreprises systémiques.
Aujourd'hui, l'économie est à nouveau sur les rails. Les entreprises sont prospères, comme en témoignent les derniers bilans financiers, avec le Groupe IBL, par exemple, brassant un chiffre d'affaires de Rs 102 milliards et un bénéfice après impôt de Rs 5,9 milliards. Concernant les indicateurs macroéconomiques, les dernières estimations de la Banque de Maurice font état d'une croissance de 6,5 % du PIB et d'une inflation de 4 % pour 2024.
Ainsi, dans le coin droit, l'on se retrouve avec un Pravind Jugnauth ragaillardi et épaulé par Xavier-Luc Duval, qui a rarement déçu quand il a occupé une fonction ministérielle, alors que dans le coin gauche, l'on retrouve la paire Ramgoolam-Bérenger. Hors de l'Assemblée nationale depuis 2014, Navin Ramgoolam qui, cumulativement, a rempli les fonctions de chef de gouvernement pendant 14 ans, a certainement encore beaucoup à offrir au pays. Alors que Paul Bérenger semble avoir perdu de sa superbe étant dans l'Opposition depuis 2005, après avoir trôné sur le fauteuil de Premier ministre pendant deux ans.
Le tandem Jugnauth-Duval a la jeunesse de son côté. Alors que pour les vieux briscards que sont Ramgoolam et Bérenger, ces législatives sont, en quelque sorte, leur baroud d'honneur. Est-ce qu'ils sauront convaincre la population de leur confiance une nouvelle fois ? Là est tout leur challenge.
L'autre bilan favorable de Pravind Jugnauth auprès de l'électorat, c'est sa politique sociale. Outre d'augmenter la pension de vieillesse jusqu'à Rs 13 500 pour les 60 - 64 ans, il a introduit le salaire minimum et a, récemment, corrigé les distorsions dans la politique de rémunération en adoptant la relativité salariale. Certes, cette charge qu'on impose sur les entreprises a provoqué des grincements de dents et sera dure à digérer notamment pour les petites et moyennes entreprises, mais d'un point de vue de clientélisme politique, c'est un coup de maître.
Navin Ramgoolam et Paul Bérenger le savent bien. Et au vu des premières annonces de l'Alliance du Changement, il semble que celle-ci devrait également s'engager dans la voie d'un renforcement de l'État providence, avec des mesures comme la gratuité des médicaments pour les seniors et la hausse de la pension de vieillesse de Rs 1 000 avec paiement rétroactif à partir de juillet 2024. Donc, la priorité sera de caresser l'électeur dans le sens du poil sous peine de le voir apposer sa croix à côté de l'adversaire.
Par ailleurs, l'accord sur les Chagos pourrait se révéler un argument électoral de taille pour Pravind Jugnauth. Cette victoire acquise pile-poil en fin de mandat lui donne de la carrure en tant que chef de gouvernement. Car qu'on le veuille ou non, le Royaume-Uni et la toute-puissante Amérique ont plié un genou. Il est vrai qu'il faudra signer un traité qui viendra assurer aux Américains la jouissance de Diego Garcia pour 99 ans. Mais, quand on y réfléchit, avait-on vraiment le choix ? Il aurait été naïf de penser que les Américains quitteraient ou démantèleraient leur base militaire hautement stratégique en attendant de voir rappliquer les Indiens ou les Chinois.