Depuis 2018, la justice de genre est devenue aux côtés de l'humanitaire, l'une des priorités qui guident les interventions de l'ONG Christian Aid au Burkina. D'ailleurs, elle met en œuvre le projet "Fostering Gender Recoveries" avec un plaidoyer actif en faveur de la budgétisation sensible au genre. Découvrez dans cette interview, avec le chargé de plaidoyer de l'ONG, les objectifs de ce projet, les changements souhaités. Il déconstruit l'idée selon laquelle, le genre est un concept importé de toute pièce, puis présente les avantages d'un budget qui prend en compte les besoins des femmes et des hommes burkinabè.
Présentez-nous l'ONG Christian Aid
L'ONG Christian-Aid (CA) est une ONG internationale humanitaire et de développement intervenant dans le domaine de l'appui au renforcement de la résilience des moyens d'existence des communautés démunies, de la réponse aux urgences humanitaires. Elle a été créée dans les années 1945 pour contribuer à la prise en charge des victimes de la deuxième Guerre mondiale.
Au Burkina, CA a commencé ses appuis aux communautés dans les années 70 durant la sécheresse qui a créé une crise alimentaire et nutritionnelle dans le Sahel. La vision de Chirstian Aid Burkina Faso est celle d'un Burkina où les femmes et les hommes mènent une vie digne, libérée de la pauvreté et résiliente aux chocs, et sont les moteurs de leur propre développement. Depuis 2018, CA-BF a pour mission de travailler avec les partenaires et les communautés locales pour combattre l'injustice, répondre aux urgences humanitaires, faire campagne pour le changement et aider les gens à réclamer les services et les avantages auxquels ils ont droit.
L'intervention de CA au Burkina se fait à travers des partenaires nationaux que sont des organisations locales de développement qu'elle accompagne dans le développement et la mise en oeuvre de projets au profit des communautés vulnérables. Le contexte actuel du Burkina, voire du Sahel, marqué par la crise sécuritaire a conduit l'ONG à redéfinir l'assistance humanitaire comme sa première priorité. En plus de l'humanitaire, Christian Aid au Burkina a comme nouvelles priorités l'adaptation au changement climatique, la justice du genre et la consolidation de la paix et la prévention des conflits.
L'ONG Christian Aid mène depuis deux ans, un plaidoyer en faveur de la budgétisation sensible au genre au Burkina dans le cadre du projet "Fostering Gender Recoveries". Quels sont les objectifs visés par ce projet ?
Effectivement, dans le but de contribuer à la promotion d'une macroéconomie juste et équitable du point de vue du genre, Christian-Aid met en oeuvre au Burkina, sur la période du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2024, un projet intitulé : « Fostering Gender Just Recoveries » qui signifie « Favoriser un relèvement économique juste et équitable du point de vue du genre ».
La mise en oeuvre du projet connait le soutien et l'accompagnement du ministère en charge du genre et celui en charge des finances et du budget, dans un contexte où, depuis 2019, le Burkina connait un basculement dans le processus de la budgétisation sensible au genre et à l'enfant. Le projet a été donc conçu pour s'attaquer aux obstacles macroéconomiques qui constituent un frein à la promotion des droits humains et à la réduction de la pauvreté.
Il vise plusieurs objectifs. Il s'agit notamment de développer au sein de Christian Aid, un programme d'apprentissage transversal entre les pays abritant le même projet pour construire une compréhension partagée des politiques macroéconomiques, des approches genre et féminisme en vue de développer les compétences et capacités à lever les barrières structurelles à la justice économique et du genre.
Le deuxième objectif concerne la mobilisation et le renforcement des capacités des mouvements et organisations de la société civile à large base dans le but de mieux les connecter et les aligner stratégiquement afin de plaider en faveur de l'élaboration de politiques macroéconomiques justes du point de vue du genre. Toutes ces actions devraient concourir à terme à influencer les décideurs publics à adopter des politiques macroéconomiques justes du point de vue du genre, par le biais du plaidoyer politique, de la formation et de la recherche.
Est-il juste d'affirmer que la budgétisation sensible au genre est un concept importé juste pour capter les financements de bailleurs de fonds ?
Pas du tout. Absolument non. Au Burkina, la Stratégie nationale genre 2020-2024 énonce clairement que le genre doit être analysé sous l'angle des inégalités et des disparités entre hommes et femmes en examinant les différentes catégories sociales dans le but d'une plus grande justice sociale et d'un développement équitable. Vu sous cet angle, toute initiative pour une justice du genre doit être « décolonisée ».
Quelle est la situation actuelle de l'allocation des ressources budgétaire en faveur de la réduction des inégalités liées au sexe dans la mise en oeuvre des politiques publiques ?
Il n'est pas aisé de répondre d'un trait à cette question. Cependant, nous faisons observer que l'application de la budgétisation sensible au genre depuis 2019
a été une forte décision à l'institutionnalisation du genre au Burkina Faso, car elle a permis la production de preuves de la prise en compte du genre dans les propositions budgétaires des ministères et institutions. Par conséquent, chaque ministère et institution est encouragé à prendre en compte le genre dans ses budgets annuels et les projets de budget sont accompagnés d'un rapport annexe comme preuve de la prise en compte du genre dans les propositions budgétaires.
Quant à la loi de finance, une annexe complémentaire sur la prise en compte du genre dans le projet du budget est également élaborée.
Toutefois, il faut noter que le respect des principes de la budgétisation sensible au genre connait des insuffisances, selon les différents rapports, « Bilan de l'exécution des engagements pris dans le cadre de la budgétisation sensible au genre et aux droits de l'enfant », 2020, 2021, 2022, 2023.
De toutes analyses faites, la principale cause de cette situation est l'insuffisance voire l'absence du caractère contraignant dans le cadre juridique de gestion des finances publiques au Burkina. C'est pourquoi, l'ONG Christian Aid soutien un plaidoyer développé par la société civile burkinabè désormais constituée pour corriger ces insuffisances.
Quel est le changement souhaité à travers le plaidoyer mené par Christian Aid ?
Le changement souhaité est de rendre contraignant, dans le cadre juridique de gestion des finances publiques au Burkina Faso, l'application de la BSG par les ministères et institutions.
Quelle serait la plus-value pour les Burkinabè si le budget de l'Etat est sensible au genre ?
La plus-value pour les Burkinabè si le budget de l'Etat est sensible au genre est véritablement la réduction des inégalités dans l'allocation des ressources pour gérer le quotidien de tout un chacun.
La budgétisation sensible au genre étant tout simplement une application de la transversalité du genre dans le processus budgétaire. Autrement dit, elle consiste à prioriser les dépenses qui ciblent les problématiques relatives au genre, dans le but de réduire au maximum les inégalités entre sexe.
Selon vous, quels sont les acteurs qui peuvent changer la donne ?
Cela procède d'une volonté politique.
Quelle est la stratégie mise en place par Christian Aid pour l'atteinte de ces objectifs ?
La stratégie d'intervention au Burkina Faso a été le renforcement des capacités techniques des parties prenantes du projet, la mobilisation des organisations de la société civile actives dans le domaine du genre et enfin l'influence des pouvoirs publics.
Durant les deux ans de mise en oeuvre, ce projet facilite la construction d'un plaidoyer en direction du ministère de l'Economie et des Finances ainsi qu'en direction de l'Assemblée législative de Transition, dans le but d'améliorer l'application de la budgétisation sensible au genre au Burkina Faso.
Entendu qu'au Burkina Faso, « le genre doit être analysé sous l'angle des inégalités et des disparités entre hommes et femmes en examinant les différentes catégories sociales dans le but d'une plus grande justice sociale et d'un développement équitable », (SNG 2020-2024).
Du 19 au 21 septembre 2024, Christian Aid a formé une trentaine de journalistes à la budgétisation sensible au genre à Koudougou. Quelles sont vos attentes à l'issue de ce renforcement de capacités ?
En effet, 34 participants sur 38 attendus ont bénéficié de la formation sur la BSG, du 19 au 21 sept 2024, à Koudougou. L'objectif global visé est de renforcer les capacités de ces acteurs (hommes de médias) qui interviennent dans plusieurs domaines de la vie des populations, sur le processus de la BSG en vue d'améliorer leurs connaissances dans le domaine et de les rendre aptes à influencer le processus de plaidoyer en cours pour améliorer l'implémentation de la BSG au Burkina Faso.
Nous faisons le pari qu'au sortir de cette formation, les apprenants comprendront les enjeux de la BSG et seront à même de contribuer à des actions d'influence et de plaidoyer en faveur du genre dans leurs milieux de travail.
A ce jour, quels sont les acquis de ce plaidoyer ?
Nous envisageons dans les tous prochains jours de nous pencher sur cette question à travers l'organisation d'un atelier de redevabilité, d'apprentissage et de capitalisation des actions d'influence et de plaidoyer en faveur de l'application de la BSG.