Afrique: Sommet de la Francophonie - Il est temps d'interroger la Francophonie et le rôle qu'elle peut jouer au service du continent

Réinventer la Francophonie pour innover, entreprendre et partager en français

Le XIXèe sommet de la Francophonie s'est tenu les 4 et 5 octobre 2024 en France, une première depuis trente-trois ans. Le lieu choisi, Villers-Cotterêts, est hautement symbolique avec l'idée de faire de ce sommet une fierté pour la langue française. Est-ce la bonne approche pour réinventer une francophonie aujourd'hui contestée en Afrique ? Les enjeux ne sont pas uniquement linguistiques, ils sont aussi politiques, économiques, culturels et climatiques.

La francophonie doit d'abord être un espace de coopération et de prospérité pour tous les pays- qui ont en partage le français comme langue de travail. Politiquement, la francophonie ne doit pas être le lieu d'une diplomatie directive que piloterait Paris pour enfermer l'Afrique dans le camp de l'Occident. Culturellement, la langue française ne doit pas être un facteur d'a-culturation qui nierait l'extraordinaire diversité linguistique et culturelle de l'espace francophone africain.

Le véritable débat, celui de la mondialisation

Dans la collection « Planète francophone », que j'ai créée en 2002, j'ai publié, la même année, un livre dont le contenu reste d'une brûlante actualité : « Les Défis de la Francophonie ». Les auteurs du livre, - Serge Arnaud, Michel Guillou, Albert Salon -, dénoncent une Francophonie enfermée dans la mémoire du vieux monde et qui se contente d'avancer par petits sursauts successifs. Le débat sur la francophonie, qui tourne en rond, doit s'inscrire dans le véritable débat qui est celui de la mondialisation.

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La mondialisation met en concurrence des modèles de développement, des systèmes de valeurs et des langues de travail. La francophonie est concurrencée par des modèles alternatifs de développement politique, économique et culturel : le Commonwealth (1), les modèles américain, russe et chinois, etc. L'Afrique francophone et l'Afrique en général ont désormais le choix entre plusieurs mondes, qui ont une bataille à gagner, celle de la séduction. La Francophonie doit affronter une concurrence économique, une concurrence culturelle et une concurrence linguistique.

● La concurrence économique - Alors que de nombreux pays africains francophones comptent parmi les pays plus pauvres du monde avec des économies fragiles et une grande instabilité politique, la zone francophone peut-elle devenir un espace concurrentiel face à d'autres zones plus productives, notamment en Asies ?

La première chose que peut faire la Francophonie, c'est accroître la coopération économique entre les pays africains francophones et favoriser les échanges commerciaux intra-africains en mettant à profit leurs avantages comparatifs. L'espace francophone africain pourra véritablement devenir concurrentiel, si tous les pays appliquent les principes de bonne gouvernance, conduisent une politique budgétaire saine, diversifient leurs économies, accélèrent leur industrialisation, accroissent l'utilisation des nouvelles technologies, créent un environnement favorable aux affaires, élèvent les niveaux de qualification professionnelle, luttent contre la corruption, consolident la stabilité politique. L'espace francophone africain possède tous les atouts pour devenir le modèle d'un développement plus équitable, durable, inclusive et créateur d'emplois.

● La concurrence culturelle - Le soft power (« pouvoir doux ») de la culture fait partie des outils de puissance à côté des armes, de l'économie et des financements, les outils du « hard power » (« pouvoir dur ». Ce qui caractérise la culture, c'est son pouvoir de séduction, d'attraction (2). La Fondation Russkiy et l'Agence fédérale et l'Agence fédérale Rossotroudnitchestvo portent la politique d'influence culturelle et humanitaire de la Russie en Afrique.

Les Instituts Confucius sont, en Afrique, les éléments les plus visibles du soft power culturel chinois. En diffusant leur langue, leur culture, leur histoire et leurs valeurs, Russes et Chinois cherchent à donner une image positive de leurs pays. Opération de séduction fondée ou propagande qui avance masquée ? Véritable partenariat gagnant-gagnant entre l'Afrique et le monde russe ou chinois ? L'Histoire jugera.

Pendant ce temps, les activistes présentent la francophonie culturelle comme un néocolonialisme qui ne dit pas son nom et la langue française comme un outil de domination. Contestée dans son ancien pré-carré francophone, la France ne peut gagner la bataille de l'opinion que par des actes qui, concrètement, contribuent à bâtir une prospérité partagée entre le Nord et le Sud.

● La concurrence linguistique - L'espace francophone africain comporte 22 pays, 11 pays officiellement francophones et 11 pays multilingues où le français est la langue officielle. Le français est concurrencé par d'autres langues comme langue de travail. Pour être clair, le français n'est pas, dans les pays africains francophones, la langue de l'identité, c'est la langue de travail. Au Mali, le français, langue officielle du pays depuis l'indépendance en 1960, devient, avec la nouvelle constitution, uniquement une langue de travail.

Cette décision, qui est loin d'être isolée, s'explique de deux manières : a) elle s'inscrit dans un vaste mouvement de réorientation linguistique imposée par une mondialisation devenue multipolaire et qui fait de l'anglais la première langue de travail, b) en quête d'identité et de souveraineté, les pays francophones réhabilitent leur(s) langue(s) maternelle(s) désormais utilisée(s) dans l'administration et/ou l'enseignement (3). La langue française est en train de devenir, comme le franc CFA, un objet-totem, le franc CFA et la langue française étant perçus comme des objets coloniaux qui maintiennent l'arrimage à la France.

L'air du déjà entendu avec le retour du vieux discours anticolonialiste

L'association Afrique XXI publie sur son site, le 4 octobre 2021, une Tribune intitulée « La Francophonie, un projet au service de l'ambition impérialiste française ». Les signataires, Thomas Borrel, Boubacar Boris Diop, Khadim Ndiaye, Odile Tobner et Aminata Dramane Traoré, dénoncent « l'ADN colonial de l'Organisation internationale de la francophonie et le double discours de l'institution sur les droits humains. » Sur le français, langue commune de travail, les auteurs de la Tribune tiennent à préciser : « Loin de nous l'idée de contester l'intérêt d'avoir au moins une langue en commun pour échanger en étant dans différents pays, sur différents continents. D'ailleurs, nous ne nous en privons pas.

Mais la Francophonie représente bien plus que cela : c'est un projet politique mu par la vieille ambition impérialiste française. » Il est évident que le combat pour consolider l'émergence d'une Afrique souveraine, politiquement et économiquement indépendante, se poursuit, notamment en interrogeant la francophonie, et je partage ce combat. En revanche, prétendre que la France d'aujourd'hui perpétue le même projet colonialiste et impérialiste tel qu'il a existé en Afrique, de 1830 à 1962, est une manière d'interpréter, à l'aune des grilles de lecture du vieux monde, les nouvelles dynamiques géopolitiques et géoéconomiques des relations internationales.

La France coloniale a asservi l'Afrique au nom d'une prétendue mission civilisatrice. Aujourd'hui, selon Afrique XXI et de nombreux activistes, elle continuerait, à travers la francophonie, à maintenir le continent sous sa dépendance et à piller ses richesses naturelles.

Quant à l'enseignement du français dans les colonies, chacun sait que la colonisation a eu une dimension linguistique. La langue est évidemment un outil de puissance et son utilisation façonne l'imaginaire politique des pays colonisés, personne ne conteste. Est-ce encore le cas aujourd'hui ? Oui, pour l'association Afrique XXI, car il s'agit de « l'intention, même pas cachée » de la France, lorsqu'elle promeut la Francophonie. Afrique XXI nous renvoie plus d'un demi-siècle en arrière en convoquant le Général de Gaulle, lorsqu'il disait, en 1966 : « La Francophonie prendra un jour le relais de la colonisation. » Entre-temps, - mais l'association Africa XXI le sait-elle ? -, le monde a changé.

L'Occident n'est plus le gendarme du monde et la France ne façonne plus l'imaginaire politique des nouvelles générations en Afrique frabcophone. Bien sûr, la France défend ses intérêts sur le continent, mais je maintiens, avec de Gaulle, que « la Francophonie est une grande idée » pour l'émancipation des peuples. J'en veux pour preuve le fait que des figures de l'anticolonialisme, comme Léopold Sédar Senghor et Félix Houphouët-Boigny, ont fait le choix de bâtir l'indépendance du Sénégal et de la Côte d'Ivoire avec l'aide de la France. Que sont devenus les pays africains qui, au lendemain des indépendances, ont suivi le chemin marxiste proposé par l'ex-URSS ? Des dictatures. Que deviennent aujourd'hui les pays sahéliens qui ont rompu avec la France et qui se sont tournés vers Moscou ? Des régimes autoritaires. Là encore, l'Histoire jugera.

Force et faiblesse de la Francophonie

La force de l'espace francophone nous est donnée, en juin 2024, par Ilyes Zouari, le Président du CERMF (Centre d'étude et de réflexion sur le monde francophone) qui écrit, à partir des données du FMI : « l'Afrique francophone est globalement la partie économiquement la plus dynamique du continent. (...) L'Afrique subsaharienne francophone, vaste ensemble de 22 pays, a réalisé en 2023 le niveau de croissance économique le plus élevé d'Afrique subsaharienne pour la dixième année consécutive. »

Sa faiblesse tient à deux choses :

1) les richesses créées dans l'espace francophone ne descendent pas suffisamment jusqu'aux populations ;

2) la francophonie est perçue par une partie des opinions publiques africaines comme un outil au service d'une France qui n'aurait pas abandonné ses visées impérialistes d'ancienne puissance coloniale, comme le martèle, sur internet et les réseaux sociaux, le dispositif sophistiqué et savamment orchestré de la désinformation russe.

La Francophonie prise au piège du conflit entre la RDC et le Rwanda

Avec ses 110 millions d'habitants, la République Démocratique du Congo avec ses habitants, est le pays le plus peuplé de l'espace francophone, ce qui devrait lui permettre d'occuper une place importante (4). Mais, les relations entre la RDC et la Francophonie se sont détériorées, sur fond de tension entre Kinshasa et Kigali. Lors du XIXè Forum de la Francophonie, le président de la République française, Emmanuel Macron, a rencontré à l'Elysée, dans le cadre des relations bilatérales, le 4 octobre, le président de la RDC, Félix Tshisekedi, et le 6 octobre, au Grand Palais, le Président du Rwanda, Paul Kagamé.

Ces rencontres ont eu lieu en marge du XIXè Forum de la Francophonie. Tshisekedi et Kagamé ne se sont pas rencontrés, Emmanuel Macron encourageant « les deux parties à aboutir à un accord au plus vite pour que les combats dévastateurs dans le Nord-Kivu prennent fin », Des voeux pieux qui n'ont aucune chance d'aboutir pour trois raisons :

⦁ 1) Le conflit à l'Est de la RDC dure depuis trois décennies et le « processus de Luanda », une médiation que conduit l'Angola et que soutient la France, est à l'arrêt.

⦁ 2) Les provinces du Nord et Sud Kivu, très éloignées de la capitale Kinshasa, enclavées pratiquement inaccessibles, difficiles à défendre, possèdent d'importantes richesses naturelles que cherchent à s'approprier les Etats frontaliers de la RDC (Burundi, Ouganda, Rwanda) et de nombreux groupes armés (M23).

⦁ 3) Depuis 1994, la situation au Kivu est le résultat du génocide des Tutsis au Rwanda. L'incapacité de la francophonie institutionnelle à offrir des perspectives de paix tient à la complexité d'un dossier où s'entremêlent affrontements ethniques, guerres pour l'appropriation des territoires (1996-1997 : Première guerre du Congo ; 1998-2003 : deuxième guerre du Congo ; 2004-2009 : Guerre du Kivu), guerres prédatrices (multiplication des groupes armés qui profitent de l'instabilité de la région pour en piller les richesses naturelles).

Pour se réconcilier avec Kigali et faire oublier le rôle controversé de la France durant le génocide de 1994, Emmanuel Macron se tient sur la posture ambiguë et contradictoire du « en même temps : je donne l'OIF au Rwanda tout en multipliant les signes d'amitié en direction de la RDC. Félix Tshisekedi attend de la Francophonie institutionnelle, comme de l'ONU, un soutient plus affirmé. En attendant, la défiance de la RDC à l'égard de la France s'est traduite par son refus de participer, le 20 mars, à la Journée de la Francophonie (4).

Cette défiance date d'octobre 2018, lorsque le Président français a fait le choix d'installer à la tête de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), la rwandaise Louise Mushikiwado. Devenue Secrétaire générale de l'OIF, Madame Louise Mushikiwado se voit reprocher par la RDC d'être fidèlement alignée, en ce qui concerne les tensions entre les deux pays, sur les positions du président Paul Kagamé.

Un ancien chef d'une des directions de l'OIF le choix de la France de se rapprocher de Kigali « s'est opéré au prix du renoncement d'une francophonie politique défendant les valeurs démocratiques dans l'espace francophone. » Au pouvoir depuis 1994, Paul Kagamé a été réélu en juillet 2024 avec plus de 99 % des voix, un score qui, effectivement, projette le Rwanda loin des valeurs de démocratie et d'Etat de droit que défend la Francophonie.

Que peuvent faire la France et la francophonie dans le chaos des crises et des guerres oubliées en Afrique ? Comment agir au milieu des multiples causes qui provoquent ces crises : ingérences étrangères, pillage des ressources, multiplication des groupes combattants, faillite institutionnelle et accumulations de crimes de guerre contre les civils ? Concernant le conflit entre la RDC et le Rwanda, la diplomatie de la Francophonie, comme elle de l'ONU, est frappée d'impuissance. Une partie de la réponse se situe à Kinshasa. Mais, le pouvoir central est-il en capacité de conduire une véritable politique sécuritaire aux frontières du pays ?

Pour y parvenir, la RDC doit disposer de forces armées équipées, entrainées et loyales. La réponse à l'agression que subit la RDC est d'abord sécuritaire. La paix ne peut venir que de l'affirmation d'une puissance militaire qui n'est pas, pour autant, la guerre. C'est au contraire une manière de la prévenir par sa virtualité coercitive et son pouvoir de dissuasion. La formule latine « Si vis pacem, para bellum » (« Si tu veux la paix, prépare la guerre ») est toujours d'actualité.

La puissance militaire est indispensable à la paix, mais toute guerre est nécessairement un saut dans l'inconnu. C'est pour cela qu'il faut continuer à préserver la voix diplomatique. La Francophonie institutionnelle doit rester un espace de dialogue au service de la résolution des conflits et de la paix. Son rôle politique et diplomatique doit s'affirmer.

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