Burkina Faso: Barrage hydroélectrique de Tourny - Un pourvoyeur d'énergie menacé par l'ensablement

10 Octobre 2024

La gestion des ressources hydrauliques est essentielle pour le développement économique et social du Burkina Faso. Le barrage hydroélectrique de Tourny (région des Cascades, province de la Léraba), construit en 1995 avec une capacité de 80 000 mètres cubes d'eau, est l'une de ces infrastructures clés. Ce barrage, bien que modeste en termes de capacité de production (2,5 GWh par an), contribue tout de même à l'offre énergétique du pays. Cependant, la retenue d'eau exploitée par la Société nationale d'électricité du Burkina (SONABEL) depuis 1996 est aujourd'hui menacée par l'ensablement. Un phénomène qui compromet sa durabilité et son efficacité. Constat !

En cette fin de soirée du mercredi 31 juillet 2024, le soleil, dans un dernier éclat doré, s'incline doucement pour embrasser l'horizon du village de Tourny, situé dans la province de la Léraba dans la région des Cascades. La fraîcheur laissée par la « généreuse » pluie de la veille enveloppe encore les abords du barrage hydroélectrique du village. A proximité, un champ de maïs récemment labouré borde la retenue d'eau.

Une étroite bande de verdure, d'à peine cinq mètres de largeur, sépare l'infrastructure hydraulique de l'exploitation agricole. Le propriétaire Seydou Kara, un homme de 75 ans, se repose à l'ombre d'un arbre après une journée de travail acharné. « Parfois, lorsque le barrage est plein, l'eau envahit mon champ », murmure-t-il, confirmant ainsi, la proximité de son domaine d'exploitation avec le barrage.

C'est ici qu'il a usé ses vieux os, exploitant cette parcelle depuis de nombreuses années. « Etant donné que nous vivons juste à côté, nous avons choisi de cultiver le terrain pour éloigner les reptiles et autres animaux pouvant représenter un danger pour la famille », explique le septuagénaire. Sur les conséquences de cette pratique sur le barrage, le vieillard se défend avec assurance : « les sédiments provenant de mon champ ne suffisent pas à remplir le barrage.

C'est l'érosion des sols en amont qui en est la véritable cause ». Plus loin, le long de la retenue d'eau, d'autres exploitants s'adonnent à la culture maraîchère.

Ardjouma Coulibaly, un jeune du village, y cultive des légumes tels que les tomates, les aubergines et les piments.

« Actuellement, le chef du village nous a demandé de cesser les cultures, mais nous n'avons pas pu nous y conformer. Il craint que les déchets ne polluent le barrage », confie le trentenaire, visiblement gêné. Les bras croisés, il conti-nue de justifier son refus de se conformer aux directives du chef. « Nous estimons qu'il est impossible d'arrêter, car cette activité est notre source de subsistance.

Nous avons essayé de négocier, mais nous n'avons pas encore trouvé d'accord », ajoute le jeune maraîcher, les yeux rivés sur le plan d'eau. Cette interdiction du chef est motivée par un constat amer : l'ensablement du barrage. En effet, la retenue d'eau, avec une capacité de 80 000 mètres cubes, est presque remplie, mais ce n'est pas uniquement d'eau. Le sable et les déchets s'y sont accumulés.

Désensablé en 2007 et déjà au bord de la saturation

A la surface de l'eau, on distingue des herbes à peine immergées, qui ont pris racine dans la terre, signe visible de l'envahissement progressif. Ces herbes, qui ne devraient pas être là, ont trouvé un terrain propice à leur croissance. Cela illustre de manière inquiétante l'accumulation de sédiments dans le barrage. Leur présence anormale témoigne de la dégradation du milieu, où la terre s'est imposée là où seule l'eau devrait régner.

Cette situation préoccupante a conduit le chef du village à interdire les cultures aux abords du barrage, en attendant l'intervention des autorités administratives pour sauver cette source d'énergie vitale. « Le barrage nous procure du poisson et de l'électricité. Nous y faisons notre lessive et puisons l'eau pour nos besoins.

Cependant, le barrage est aujourd'hui confronté à l'ensablement et à l'accumulation de déchets », déplore avec tristesse Abdramane Kara, le président du Comité villageois de développement (CVD) de Tourny. Pour lui, tous ces problèmes sont causés par les cultures pratiquées aux abords du barrage et par les eaux de pluie.

Curé en 2007, le barrage est de nouveau au bord de la saturation. Les efforts déployés pour le débarrasser des sédiments et lui redonner sa pleine capacité n'ont malheureusement pas suffi à contrer l'impact continu des activités humaines et des apports naturels de sédiments. Aujourd'hui, le barrage se retrouve de nouveau encombré, sa capacité de rétention d'eau gravement compromise, soulignant à quel point la gestion de cette infrastructure reste un défi constant.

Vers une disparition du barrage ?

Selon le directeur provincial de l'eau et de l'assainissement de la Léraba, Ousmana Ouédraogo, par ailleurs secrétaire général du Comité local de l'eau Noula (CLE Noula), le barrage est aujourd'hui me-nacé de disparition, en raison de l'ensablement, principalement causé par les activités humaines qui ont accéléré sa dégradation.

« Si aucune mesure n'est prise dans les années à venir, le barrage risque de disparaître. Pourtant, c'est une infrastructure essentielle, à partir de laquelle on produit de l'énergie pour alimenter plusieurs loca-lités », avertit-il, avec amertume. L'infrastructure, poursuit-il, est également située en amont de deux autres barrages importants de la province : les barrages hydroélectrique et hydro-agricole de Niofila.

Par conséquent, toute perturbation à Tourny affectera ces barrages en aval. « Si le barrage de Tourny venait à s'assécher, cela aurait des répercussions sur les autres barrages de la province », s'inquiète le directeur provincial de l'eau de la Léraba. A l'entendre, le CLE Noula a conçu un plan d'action comprenant, entre autres, le reboisement, l'enracinement de plantes envahissantes, et des initiatives de sensibilisation autour du barrage.

« Ces initiatives resteront inefficaces si la population n'est pas consciente des pratiques nuisibles qu'elle perpétue aux abords du barrage », estime Ousmana Ouédraogo. C'est pourquoi, fait-il savoir, la sensibilisation occupe une place centrale dans les efforts du comité, afin de susciter une prise de conscience des effets néfastes de ces pratiques sur l'environnement. Pour l'heure, le CLE privilégie des actions non répressives, se concentrant sur la sensibilisation des populations. Cependant, dans le cadre des missions de la police de l'eau, prévient-il, si aucun changement n'est constaté après ces efforts de sensibilisation, une intervention plus ferme sera envisagée.

Une centrale électrique en danger

Non loin du barrage, au pied de la colline, se trouve la centrale électrique avec une capacité de 2,5 GWh par an. Elle est reliée au barrage par un tuyau métallique, qui serpente le terrain accidenté, acheminant l'eau jusqu'à la turbine de la centrale où l'énergie cinétique est transformée en électricité. La centrale est discrètement installée dans le paysage naturel. Guidés par les notables du chef, nous commençons à descendre prudemment les escaliers qui mènent à la centrale.

« Faites attention à la marche », nous avertit Piéma Soura, un vieil homme. Il marque une pause, puis ajoute avec une pointe de fierté : « même le Premier ministre a descendu ces mêmes marches lors de l'inauguration de la centrale ». A notre arrivée, nous sommes immédiatement accueillis par le vrombissement incessant des machines, signe de l'activité intense au sein de la centrale.

Sur place, un technicien, chargé de la surveillance des installations, nous accueille avec un sourire professionnel, mais il nous informe rapidement qu'il n'est malheureusement pas autorisé à répondre à nos questions. Malgré cette restriction, il prend le temps de nous décrire les conditions de travail au sein de la centrale. IL évoque avec une certaine lassitude la fréquence des pannes. « Les pannes sont fréquentes ici », nous confie-t-il, résigné.

Selon la SONABEL, l'entreprise en charge de l'exploitation de l'infrastructure hydraulique, l'ensablement du barrage compromet la capacité de production d'électricité de la centrale électrique. Le directeur de l'agence commerciale de la SONABEL à Banfora, Paménemdé Mamadou Belém, explique que ce phénomène, principalement causé par l'érosion des sols et les pratiques agricoles non durables en amont du barrage, réduit progressivement la capacité de rétention d'eau de l'ouvrage.

L'accumulation de sédiments réduit non seulement le volume d'eau disponible pour la production d'énergie, mais affecte aussi la qualité de l'eau et l'efficacité globale de la centrale hydroélectrique, surtout pendant la saison sèche, lorsque la réserve d'eau devient insuffisante pour garantir une production continue.

« L'ensablement a également des conséquences néfastes sur la longévité des turbines et autres équipements de la centrale.

Le phénomène de cavitation, amplifié par la présence de sable et de boue, peut endommager les parois de la conduite forcée et provoquer le blocage des équipements », confie le directeur commercial, impuissant face à ce problème.

Un système de gestion défectueux

Le système de gestion du barrage présente des dysfonctionnements notables, compromettant son efficacité et sa durabilité. Ces lacunes se manifestent à plusieurs niveaux : surveillance insuffisante des infrastructures, entretien irrégulier des équipements et absence de mesures préventives pour lutter contre l'ensablement et l'accumulation de déchets. Bien que la bande de servitude ait été délimitée par bornage, la SONABEL peine à la faire respecter depuis la construction du barrage.

« En principe, une distance minimale de 100 mètres devrait séparer le barrage des activités agricoles. Si l'environnement autour du barrage avait été correctement protégé, nous n'en serions pas arrivés à cette situation critique », regrette Ousmana Oué-draogo. Selon le secrétaire général du CLE Noula, la délimitation du barrage nécessite la mise en place de mesures d'accompagnement appropriées.

« Lorsqu'on demande à un exploitant de reculer son activité, il est essentiel de prévoir une compensation. C'est pourquoi nous ne pouvons exercer une pression excessive.

Notre progression est lente, car nous ne disposons pas de moyens pour indemniser les exploitants », explique-t-il. Pour le chef de la police de l'eau de la Direction régionale de l'eau et de l'assainissement des Cascades, Abdoul Aziz Ily, leurs actions se concentrent principalement sur le contrôle du respect de la bande de servitude et sur la sensibilisation des populations.

« Si les activités ne respectent pas la bande de servitude, nous engageons des actions répressives. Concernant les sanctions, selon les textes en vigueur, la personne en infraction peut faire l'objet de poursuites judiciaires », nous confie-t-il. A l'écouter, la sanction la plus courante est la destruction des travaux réalisés en violation des règlements.

De plus, la coordination entre les différentes parties prenantes, qu'il s'agisse des autorités locales, des exploitants du barrage, ou des communautés riveraines, laisse à désirer, limitant l'efficacité des actions entreprises pour faire face aux défis croissants auxquels le barrage est confronté.

Ce que dit la loi sur la protection des cours d'eau

Selon l'article 233 de la loi N° 003-2011/AN portant code forestier au Burkina Faso, les berges des cours d'eau, des lacs, des étangs doivent faire l'objet d'une protection pour assurer leur périmètre par la délimitation d'une bande de servitude sur chaque rive ou sur tout le pourtour selon le cas. Préalablement à l'octroi de toute autorisation relative à l'occupation, à l'aménagement des plans d'eau et dans le cas où les intérêts de la pêche ou de l'aquaculture sont susceptibles d'être affectés, l'administration compétente doit consulter les ministères en charge de l'environnement, de la pêche et de l'aquaculture. Les conditions et les modalités de détermination des bandes de servitudes sont déterminées par voie réglementaire.

Une gestion non intégrée du barrage

Les autorités locales, chargées de la mise en oeuvre des politiques publiques, peinent à collaborer efficacement avec les exploitants du barrage, qui gèrent son fonctionnement quotidien, et les communautés riveraines, qui sont directement impactées par les décisions prises. En l'absence d'une synergie véritable, les initiatives pour lutter contre l'ensablement, protéger les ressources en eau, et maintenir la production d'énergie se révèlent insuffisantes ou mal coordonnées. Toute chose qui aggrave les menaces qui pèsent sur cette infrastructure. Une meilleure collaboration et un dialogue continu entre ces différents acteurs sont essentiels pour élaborer et mettre en oeuvre des solutions durables qui répondent aux besoins et aux réalités de chacun. Une gestion rigoureuse et proactive est importante pour garantir non seulement la survie du barrage, mais aussi son rôle dans la production d'énergie et l'approvisionnement en eau des populations environnantes.

Cri de coeur de Zon Ziguè, président des pêcheurs sur le barrage hydro agricole de Niofila

« Le barrage est gravement ensablé, ce qui entrave considérablement notre travail. Autour du barrage, des cultures se développent, et chaque fois qu'il pleut, l'eau charrie du sable vers l'intérieur du barrage. Cette sédimentation excessive réduit le niveau d'eau, et par conséquent, la présence de poissons s'amenuise. Les poissons restants ne peuvent pas se développer correctement, ce qui affecte directement notre production.

Nous avons autrefois pu écouler nos prises pour des sommes atteignant 100 000 FCFA par jour, mais aujourd'hui, il n'est pas rare que nous ne vendions rien du tout. Et même lorsque nous réalisons quelques ventes, elles ne dépassent que rarement 10 000 ou 20 000 FCFA, des montants qui ne couvrent même pas nos besoins quotidiens. Il n'est pas exagéré de dire que la situation est désespérée.

Malgré nos appels à l'aide, aucune solution n'a été mise en oeuvre jusqu'à présent. Nous implorons les autorités de bien vouloir nous venir en aide en dégageant le sable qui encombre le barrage, pour que nous puissions reprendre nos activités de pêche dans des conditions plus favorables.

Quant aux cultures qui se trouvent aux abords du barrage, nous comprenons qu'elles appartiennent aux propriétaires terriens locaux, et en tant qu'étrangers, il ne nous appartient pas de leur demander de cesser ces activités. C'est pourquoi nous sollicitons l'intervention des autorités compétentes pour réguler ces pratiques et protéger notre source de revenus. Nous espérons vivement que notre appel sera entendu, car la survie de notre communauté de pêcheurs en dépend », du président des pêcheurs sur le barrage hydro agricole de Niofila, Zon Ziguè.

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