Ile Maurice: Milan Meetarbhan - «Prétendre que SSR avait vendu les Chagos relève du non-sens»

interview

On aura beau parler d'accord historique entre Maurice et la Grande-Bretagne, du fait que cette dernière a finalement reconnu la souveraineté mauricienne sur l'archipel des Chagos, mais pour le constitutionnaliste Milan Meetarbhan, certains pourront désormais dire que Pravind Jugnauth a vendu les droits souverains du pays sur Diego Garcia aux Britanniques contre paiement.

Comment réagissez-vous à l'annonce d'un accord historique entre la Grande Bretagne et Maurice sur les Chagos ?

Le communiqué publié jeudi dernier par le Foreign Office annonce une décision politique sur la conclusion éventuelle d'un traité entre les deux pays, qui prévoit la reconnaissance par la Grande-Bretagne de la souveraineté mauricienne sur l'archipel des Chagos. Au moment même où la Grande-Bretagne reconnaîtra la souveraineté mauricienne, Maurice cédera ses droits souverains sur Diego Garcia aux Britanniques pour une période «initiale» de 99 ans. Cela veut dire en clair que si la présence britannique sur Diego Garcia était, selon la Cour internationale de justice, une occupation illégale et une violation du droit international, cette présence sera dorénavant régularisée. Et pour un siècle ou plus !

Mais il y a quand même une reconnaissance de la souveraineté mauricienne sur l'archipel, n'est-ce pas une avancée ?

Oui, mais toute suite après la reconnaissance de notre souveraineté, le premier et le dernier exercice de cette souveraineté sur Diego sera de céder nos droits souverains sur l'île principale des Chagos à l'ancienne puissance coloniale. Donc les Britanniques, qui avaient créé une nouvelle colonie appelée British Indian Ocean Territory (IOT) en violation du droit international, exerceront dorénavant le même contrôle sur l'île en toute quiétude. Alors que la Cour internationale de justice leur avait demandé de mettre fin à leur occupation illégale et l'assem blée générale de l'ONU leur avait demandé de le faire dans les six mois, ils peuvent, maintenant, avec l'accord du gouvernement mauricien, y exercer tous les droits souverains jusqu'en 2123 !

Le Premier ministre a rappelé que tous les gouvernements successifs à Maurice se sont prononcés pour le maintien de la base américaine à Diego Garcia.

Je ne suis au courant d'aucune déclaration d'un précédent gouvernement sur la cession de nos droits souverains sur Diego à l'ancienne puissance coloniale. Il y a, en droit, une différence fondamentale entre un bail accordé à une tierce partie par l'État mauricien et la cession de nos droits souverains à ceux qui sont responsables d'une excision illégale de notre territoire et d'une occupation illégale d'une partie de notre territoire pendant plus de 55 ans.

Ce qui change quand même, c'est le «package financier» que les Britanniques s'engagent à nous verser en contrepartie.

Comme je l'ai déjà dit, prétendre, comme on l'a fait pendant des années - et les propagandistes du régime le font encore ces jours-ci -, que SSR avait vendu les Chagos est un non-sens, car une colonie ne pouvait juridiquement vendre à la puissance coloniale un territoire qui, selon elle, lui appartenait. Par contre, maintenant, certains pourront dire que Pravind Jugnauth a vendu Diego aux Anglais ou, plus précisément, il a vendu nos droits souverains sur Diego aux Britanniques contre paiement. C'est l'État mauricien souverain et indépendant qui aurait «vendu» ses droits souverains à un autre État.

La cession de droits souverains par rapport à la base militaire ne veut pas dire que Maurice ne peut exercer ses autres droits ?

Mais qu'y a-t-il d'autre sur Diego à part la base ? Est-ce que vous croyez vraiment que les Américains seraient prêts à dire à Maurice : nous nous occupons de la base mais autrement, faites ce que vous voulez sur Diego. J'ai entendu un ministre qui représentait le gouvernement, sur une émission radio, dire que sous le traité proposé par les Britanniques, si jamais on découvrait du pétrole autour de Diego, c'est l'État mauricien qui en aurait le bénéfice. Le ministre ignore que c'est déjà le cas.

En effet, alors que les Britanniques et les Américains l'avaient mis dos au mur et qu'il ne pouvait plus résister à l'intransigeance de la puissance coloniale et de son allié américain sur l'excision des Chagos, sir Seewoosagur Ramgoolam a, sur un morceau de papier écrit de sa main, dressé une liste de garanties que les Britanniques devraient fournir. Une de ces conditions demandées et obtenues, dès 1965, était que Maurice obtiendrait le bénéfice de toute découverte de pétrole autour des Chagos. Ces garanties, quali fiées de Lancaster House Undertakings par un tribunal international, ont été le fondement de la décision du tribunal que Maurice avait un intérêt sur l'avenir des Chagos et aurait dû être consulté par les Britanniques avant de déclarer une Marine Protected Area.

Il faudra attendre le traité final entre le Royaume-Uni et Maurice pour savoir quels seraient les droits souverains que notre pays conserverait sur Diego pendant les prochains 99 ans, si effectivement les Américains et les Britanniques sont prêts à lui accorder certains droits !

Des voix se sont élevées en Angleterre et à Maurice pour dire que l'accord proposé par les deux gouvernements devra être approuvé par les Parlements des deux pays...

Effectivement, mais la question se pose différemment dans chacun des deux pays. Il n'existe pas de constitution écrite en Angleterre, donc la question qui est posée à Londres c'est de savoir si le gouvernement britannique pouvait s'engager à céder sa souveraineté sur son territoire sans consultation avec le Parlement. À Maurice, la question est différente : est-ce qu'aux termes de notre Constitution, l'exécutif est habilité à céder des droits souverains sur une partie de notre territoire ? (Rappelons que le représentant du gouvernement a affirmé vendredi que le futur traité ne sera pas débattu au Parlement.)

La question n'est pas posée uniquement par rapport à un éventuel débat suivi d'un vote à l'Assemblée nationale mais également par rapport à un vote sur une cession de droits souverains qui pourrait, en fait, constituer un amendement à l'article premier de notre Constitution, qui prévoit que Maurice est un État souverain. Or, cet article ne peut être modifié que par une majorité de trois quarts de l'électorat par voie de référendum suivi d'un vote unanime à l'Assemblée nationale. Le prochain gouvernement mauricien issu des urnes devra décider de la marche à suivre, afin que tout traité soit approuvé en conformité avec les dispositions de la Constitution mauricienne.

Justement, il y a une controverse sur le timing de l'annonce faite, la semaine dernière, sur l'avenir des Chagos, à la veille de la dissolution de l'Assemblée nationale.

Ce qui s'est passé est très grave. Les représentants du gouvernement britannique ont déclaré publiquement que l'accord a été annoncé sans que le Parlement britannique puisse en être informé au préalable, car il y avait urgence, étant donné que le Parlement mauricien allait être dissous le lendemain et qu'il fallait donc agir avant cette échéance.

Ces déclarations sont graves pour deux raisons. Premièrement, des étrangers avaient une information que les Mauriciens n'avaient pas. Il y avait, certes, des spéculations à Maurice sur l'imminence d'une dissolution, mais le gouvernement mauricien n'avait pas informé la population mauricienne de la date de la dissolution. Il avait, par contre, informé les Britanniques de cette date.

Deuxièmement, il s'avère que le Premier ministre mauricien, qui est un de ceux qui vont participer aux élections, avait déjà décidé de la date de la dissolution, mais il ne l'avait pas révélé aux autres acteurs politiques. Il s'est donc accordé un avantage certain sur ses concurrents. C'est à travers les médias britanniques que les Mauriciens ont appris que l'Assemblée allait être dissoute au lendemain de l'annonce sur l'accord Royaume-Uni-Maurice. Les Anglais avaient la primeur avant même que nous leur cédions nos droits souverains !

Après que tout aura été dit et débattu de long en large, le fait demeure que Maurice sort gagnant de tout ce processus car on a retrouvé notre souveraineté sur l'archipel des Chagos.

Notre souveraineté, on en a eu la confirmation déjà quand 13 juges de la Cour internationale de justice l'ont confirmée, il y a cinq ans, avec l'aboutissement d'une stratégie adoptée et mise en oeuvre depuis décembre 2010. Il s'agit maintenant de la reconnaissance de notre souveraineté par les Britanniques et les Américains. Mais, en fin de compte, les gros gagnants de «l'accord» annoncé la semaine dernière ce sont les Britanniques et les Américains. Je m'explique. Les Britanniques et les Américains, qui étaient embarrassés par les revendications persistantes de Maurice faites dans les instances internationales et qui se trouvaient dans une situation légale précaire par rapport aux Chagos, se trouveront, à la suite de cet accord, dans une bien meilleure situation. Il n'y aura plus pour eux d'incertitude sur le plan juridique.

Les Américains, qui avaient un accord jusqu'en 2036 sur la base de Diego, auront maintenant un accord en bonne et due forme jusqu'en 2123 ! Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, l'a confirmé au Parlement : «Doing this deal - on our terms - was the sole way to maintain the full and effective operations of the base into the future...» Les Américains peuvent maintenant investir dans l'expansion de la base sans aucune crainte d'une remise en cause. Il n'y aura plus d'occupation illégale comme l'avait déclaré la CIJ mais l'exercice de droits souverains sur Diego en toute quiétude. Droits que Pravind Jugnauth leur a accordés pour une période de 99 ans. Et renouvelable.

David Lammy a été très clair, le Royaume Uni voulait un accord «on OUR terms». C'est le deal qu'ils ont eu et les Américains ne pouvaient que s'en féliciter. Selon le ministre britannique, «the base's long-term future is therefore more secure under this agreement than without it. If this were not the case, I doubt the White House, State Department or Pentagon would have praised the deal so effusively».

Est-ce que Pravind Jugnauth veut faire de Diego un autre Guantanamo Bay ? Le traité de 1903 a accordé aux Américains le contrôle sur Guantanamo, partie intégrante du territoire cubain, alors que Cuba conserve sur papier sa souveraineté sur la région. L'article 3 de l'accord prévoit que «while on the one hand the United States recognizes the continuance of the ultimate sovereignty of the Republic of Cuba over the above described areas of land and water, on the other hand the Republic of Cuba consents that during the period of the occupation by the United States of said areas under the terms of this agreement the United States shall exercise complete jurisdiction and control over and within said areas...». En 49 ans de règne, même Fidel Castro n'a rien pu faire pour changer la moindre virgule de ce traité.

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