Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a annoncé, le 12 septembre 2024, la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation d'élections législatives anticipées le 17 novembre 2024.
La coalition de partis au pouvoir entre 2012 et mars 2024 (Benno Bokk Yaakaar dirigée par l'ancien président Macky Sall) détenait, jusqu'à l'annonce de cette décision, une fragile majorité (83 sur 165 députés) à l'Assemblée nationale. La coalition de l'opposition dirigée par Ousmane Sonko l'actuel Premier ministre comptait quant à elle 80 députés. Le président Faye, élu en mars 2024, avec un peu plus de 54 % des suffrages a décidé de rebattre les cartes pour se donner une majorité parlementaire.
Plus de 40 listes sont en compétition pour les 165 sièges à pourvoir. L'actuel Premier ministre Ousmane Sonko devra croiser le fer avec l'ancien président Macky Sall, son ancien Premier ministre Amadou Ba ainsi que le maire de Dakar, Barthlémy Dias, qui dirigent chacun une liste.
Alassane Bèye, dont les recherches portent, entre autres, sur les dynamiques électorales au Sénégal, explique à The Conversation Africa les tenants et les aboutissants de cette décision.
D'un point de vue politique, que signifie la dissolution de l'Assemblée nationale ?
La dissolution de l'Assemblée nationale est une prérogative constitutionnelle reconnue au président de la République dans la Constitution sénégalaise. Le régime politique sénégalais reconnaît l'existence de moyens d'action réciproques entre les pouvoirs exécutif et législatif. Concrètement, cela signifie que si l'Assemblée nationale a la possibilité de renverser le gouvernement par le vote d'une motion de censure, l'exécutif a également la possibilité de dissoudre l'Assemblée nationale.
Cependant, ces relations entre l'exécutif et le législatif sont encadrées. La possibilité de dissolution ne peut intervenir qu'après deux ans de législature. En réalité, le président a usé de ce droit, que lui confère la Constitution, pour surmonter un « blocage institutionnel » favorisé par l'absence d'une majorité parlementaire à l'Assemblée contrôlée par la coalition Benno Bokk Yaakaar du président Sall.
Cette décision vous paraît-elle justifiée d'un point de vue strictement politique ?
Sur le plan politique la décision de la majorité présidentielle de dissoudre l'Assemblée nationale est défendable. En fait, elle est justifiée car la configuration du parlement qui ne permettait pas au régime en place d'engager les réformes souhaitées et de mettre en oeuvre les politiques publiques ficelées et proposées aux électeurs lors de l'élection présidentielle de mars 2024.
Quelles sont les prochaines étapes après la dissolution ?
L'article 87 de la Constitution du Sénégal, qui reconnaît au président de la République le pouvoir de dissolution et encadre la procédure associée, stipule qu'après la dissolution, le président doit prendre un décret convoquant le corps électoral, en fixant la date des élections législatives. C'est exactement ce que le président a fait.
Cependant, comme il s'agissait d'élections anticipées, le président a dû saisir le Conseil constitutionnel afin de déterminer comment concilier le caractère urgent des élections avec les dispositions de la Constitution et du code électoral. Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a estimé que le parrainage électoral - mode de présélection des candidats par des élus, des électeurs ou des citoyens -, pourtant obligatoire, ne pouvait pas s'appliquer lors de ces consultations électorales. La date des élections étant retenue, il reste le dépôt et la réception des candidatures, le contentieux pré-électoral, les opérations de vote, la proclamation des résultats et enfin l'ouverture du contentieux post-électoral au besoin
Quels sont les risques et avantages d'une telle dissolution pour le pouvoir ?
Cette décision comporte quelques risques pour le pouvoir en place.
- Même si cela risque d'être compliqué, l'opposition pourrait remporter les élections législatives et imposer une cohabitation au pouvoir en place. Dans ce cas de figure, les rapports de force vont s'inverser. L'opposition aura la possibilité de former un gouvernement, de choisir un Premier ministre et de contrôler efficacement l'action de l'exécutif.
- Autre scénario : le pouvoir pourrait gagner avec une majorité précaire, ce qui ne lui permettrait pas de faire adopter les réformes et les projets proposés aux électeurs lors de l'élection présidentielle.
- Des frustrations pourraient aussi naître au sein du pouvoir en raison des arbitrages du parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l'éthique et la fraternité (PASTEF, parti du président Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko) concernant le choix des candidats lors des investitures.
- La décision du PASTEF de se présenter sans coalition entraîne déjà des tensions dans les rangs de la coalition Diomaye Président, celle-là même qui l'a porté au pouvoir en mars 2024.
Mais la dissolution comporte, à l'inverse, des avantages :
- La possibilité pour la coalition au pouvoir de disposer d'une majorité confortable lui permettrait de mettre en oeuvre les promesses de campagne, telles que la mise en oeuvre de politiques publiques et des réformes institutionnelles.
- Une sécurité juridique et une sérénité dans l'action politique du gouvernement grâce à une majorité parlementaire confortable qui enlèvera l'épée de Damoclès d'une motion de censure.
- Partir sous la bannière de PASTEF pourrait offrir une large marge de manoeuvre au parti au pouvoir et sécuriser sa majorité parlementaire grâce à la constitution d'un groupe parlementaire homogène.
Alassane Bèye, enseignant chercheur, Université Gaston Berger