Burkina Faso: Théâtres populaires - En quête d'une seconde vie

10 Octobre 2024

Forts symboles de la politique culturelle du Président Thomas Sankara, les théâtres populaires risquent de disparaitre faute d'entretien et d'utilisation.

Pays célébré à l'international pour son dynamisme culturel et artistique, le Burkina Faso est promu grâce aux talents de ses artistes et à une multitude d'évènements (musique, danse, cinéma, théâtre, tourisme, etc.), organisé par l'État et des acteurs privés. Ce rayonnement nécessite un entretien des salles de spectacle existantes ou la construction de nouvelles plus adaptées aux spectacles vivants d'une capacité de 3 000 à 4 000 places dans toutes les grandes villes du pays notamment Bobo-Dioulasso, Koudougou et Ouagadougou.

Les théâtres populaires et le théâtre de l'Amitié, avec des plans de rénovation, peuvent booster cette influence culturelle et l'organisation des spectacles dans ces trois villes. Selon les normes, une bonne salle doit accueillir tous les spectateurs en toute sécurité avec un confort sonore et visuel optimum.

Ce qui n'est plus le cas du théâtre de l'Amitié de Bobo-Dioulasso. Chaises fissurées, toilettes dégradées, podium glissant, réseau électrique défectueux, portails tombés, gradins instables, peinture défraichie, cette salle mythique de la ville de Sya est devenue au fil des années un danger pour les artistes et les spectateurs.

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Même si aucun drame n'a été déploré, la salle inquiète et a été fermée pour réfection sans son plan d'origine ni de fiche technique. Les documents architecturaux de ce temple de la culture sont introuvables. « Les difficultés sont énormes », reconnait le chef de service de la promotion du Patrimoine culturel de la commune de Bobo-Dioulasso, Karim Sanou, lors d'une visite en mai dernier.

Construit à l'origine dans le cadre de la politique culturelle du Président Thomas Sankara pour accueillir la Semaine nationale de la culture (SNC), ce témoin de l'histoire culturelle du Burkina Faso et de la Révolution a besoin de 236 millions F CFA pour faire peau neuve. Un budget dont ne dispose pas la commune de Bobo-Dioulasso, propriétaire de la salle.

La plus grande salle de la ville

« C'est la plus grande des salles de Bobo-Dioulasso et la moins chère. La commune ne demande qu'une contribution de 77 500 F au lieu de 300 000 F CFA pour les nationaux et 127 500 F pour les artistes étrangers au lieu de 400 000 F CFA », nous affirme M. Sanou ajoutant qu'une société de téléphonie mobile avait lancé les travaux de réhabilitation de la scène, du circuit électrique à hauteur de 60 millions F CFA.

Un sponsoring qui avait été momentanément stoppé, affirme-t-il, par les autorités communales, la faute à l'inexistence d'un partenariat écrit. D'une capacité de 2 500 places assises, le théâtre de l'Amitié doit renaitre, pour beaucoup de promoteurs culturels, pour promouvoir l'attractivité de la ville de Bobo-Dioulasso et de la région des Hauts-Bassins, pour l'éveil artistique et culturel des Bobolais.

« Il faut y vivre un spectacle pour comprendre que c'est mythique », raconte le président de l'Association Deni Demè, organisatrice de Fitini Show (un concours artistique destiné aux enfants), Moussa Dembélé. Sans cette salle, l'organisation de grands spectacles devient un risque financier parce qu'il sera difficile de payer de gros cachets aux artistes et de rentabiliser les investissements. « Le théâtre de l'Amitié est dépassé. Il faut une salle qui ressemble à Bobo-Dioulasso. Il faut une salle climatisée couverte, bien organisée, bien spacieuse, au moins de 3000 places.

Les organisateurs pourront rentabiliser », martèle Dansa Bitchibali, pour sa part, ancien directeur régional de la culture et ex-secrétaire permanent de la Semaine nationale de la culture (SNC). Pour lui, le théâtre de l'Amitié n'a pas été rénové à la hauteur des attentes « si bien qu'à l'approche de chaque SNC, l'inquiétude planait. On se demandait si les tribunes pourront tenir toujours ». Ville culturelle du Burkina Faso, il conseille de trouver des partenariats avec des structures extérieures comme nationales pour ériger cet espace en un espace professionnel.

A Koudougou, le théâtre populaire, autrefois principale salle du festival Les Nuits atypiques de Koudougou (NAK), est peu utilisé faute de programmation et a aussi besoin d'un grand entretien.

A 100 km de là, Ouagadougou, le théâtre populaire de la ville, totalement à l'abandon, pourrait répondre, de l'avis du chorégraphe et promoteur du Centre de développement culturel (CDC), Salia Sanou, aux normes des spectacles de qualité et offrir un espace de diffusion de 3 000 places aux organisateurs de spectacle.

« Ce théâtre a besoin d'être réhabilité pour répondre aux standards internationaux. Aujourd'hui, il y a un problème d'accessibilité, donc on n'arrive pas à la faire vivre », explique M. Sanou. A l'ouest, la salle fait face à un grand dépotoir de la commune et à l'est, l'insécurité engendrée par le marché de motocycles. En dépit de ce nid d'insécurité, il soutient la réhabilitation de la salle surtout que l'autre patrimoine national, la Maison du peuple est de plus en plus délaissée.

Un besoin de plus d'un milliard F CFA

« Réhabiliter le théâtre populaire Désiré Bonogo, c'est la mémoire de Thomas Sankara qui sera revivifiée. C'est lui qui a construit ce lieu. C'est un lieu magnifique au coeur de Ouagadougou. S'il est réhabilité, il peut servir à tout le monde : au FESPACO, au SIAO, aux Récréatrales, au CDC avec son festival Dialogue de corps. Les festivals de musique, de théâtre, de cinéma pourront se tenir dans ce lieu. On ne va pas réhabiliter un tel lieu pour une seule discipline, il doit appartenir à tout le monde », poursuit-il.

Par une convention, le ministère de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme a cédé la gestion de l'infrastructure au CDC. Depuis des années, l'association est à la recherche de 1 milliard 200 millions F CFA pour sortir le théâtre populaire de son sommeil. « Nous étions même allés voir l'ancien président Blaise Compaoré avec un projet architectural d'enfer pour réhabiliter la salle. Cela n'a pas marché parce que la mémoire de Thomas Sankara est tellement forte dans ce lieu.

Au CDC, on se bat. Nous avons aussi lancé un concours d'idées architecturales. Nous avons reçu 140 projets venant du Brésil, de l'Iran, de l'Europe, d'Amérique et d'Afrique. Nous avons constitué un comité d'architectes et de personnalités qui a choisi trois projets et un projet a été primé », dit-il. Le chorégraphe est persuadé que c'est le moment de remettre en bon état le théâtre populaire Désiré Bonogo puisque le régime actuellement au pouvoir revendique Thomas Sankara. « C'est le moment de régler le problème du théâtre populaire. J'ai présenté le projet au ministre qui a instruit un de ses conseillers pour l'étudier. Nous travaillons pour lui présenter un projet global de réhabilitation.

Aujourd'hui, on parle de souveraineté, si tu ne mènes pas ta souveraineté culturelle, ce sont d'autres qui vont l'amener à ta place », précise-t-il. Pour lui, Thomas Sankara avait compris le rôle fondateur de la culture, de la souveraineté culturelle. La culture est à la base de tout. Les Américains ont pris le dessus, dit-il, parce qu'ils ont réussi à dominer le monde par leur façon de voir le monde. « Thomas Sankara avait compris cela en construisant les théâtres populaires de Ouagadougou, de Koudougou et le théâtre de l'Amitié de Bobo-Dioulasso.

Il faut une ligne de souveraineté culturelle », ajoute-t-il. Le directeur général de la Culture et des Arts, Moctar Sanfo, penche aussi pour la réhabilitation de l'espace. « En tant que conservateur, il faut sauvegarder les aspects historiques du théâtre populaire Désiré Bonogo. On perd un pan important de l'histoire lorsqu'on rase tout », explique-t-il. Mais pour plus d'efficacité dans l'exploitation de la salle, M. Sanfo recommande à l'Etat de prendre ses responsabilités en la récupérant. L'idée des théâtres populaires reste vivace affirme l'expert culturel, Vincent Koala.

« Nous sommes un pays pauvre qui n'a pas beaucoup de salles de spectacle. On a construit des théâtres populaires à Koudougou et Ouagadougou et ne pas les utiliser est un gâchis », fait-il savoir. Et d'ajouter « le président Thomas Sankara a donné une place à la culture dans le développement.

Dans le Discours d'orientation politique (DOP) du 2 octobre, il est écrit que la culture est le fer de lance de la Révolution. Il s'est saisi de la culture pour affirmer la place du Burkina dans le monde à travers la création de la SNC, les orchestres nationaux, régionaux. Il a créé le théâtre populaire de Ouagadougou, le théâtre populaire de Koudougou et le théâtre populaire de Gaoua.

Thomas Sankara comptait sur la culture pour émanciper les populations, pour imposer la vision du Burkina Faso à travers le monde, pour faire rayonner le Burkina Faso ». Ces lieux peuvent recevoir, selon lui, tous les arts (cinéma, danse, musique, etc.). Il suffit de les assainir, de leur redonner de la programmation. « Il faut confier la gestion de ces infrastructures sous utilisées à des opérateurs privés ou associatifs dans une logique de délégation du service public.

Cela veut dire que l'Etat transfère la gestion et la fonctionnalité à l'opérateur et le soutient par le transfert des ressources qui étaient allouées au lieu-ressources en personnel, ressources en finances, ressources en outils. Pour que cela marche, il faut un appel à candidatures. Il faut des projets et le meilleur projet peut avoir un contrat de 5 ans pour faire de ces lieux, des lieux de spectacle, de vie culturelle ». Pour l'heure, certains promoteurs se rabattent sur des enceintes sportives ou des cinémas pour accueillir le maximum de spectateurs et espérer rentabiliser leurs investissements.

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