Dans la région maraîchère des Niayes, au nord-ouest du Sénégal, le manque d'eau inquiète et génère de nombreux conflits. Des Plateformes locales de l'eau (PLE), réunissant usagers et agriculteurs, tentent de gérer la ressource en commun. Un modèle qui doit progressivement être généralisé à l'ensemble du pays.
Pioches, pelles et jeunes pousses d'arbres en mains, une quinzaine de personnes s'affairent autour de petits murets en pierres, sur une colline bordant la localité de Mont-Roland, dans la région de Thiès (Sénégal). Objectif de l'opération, organisée ce mardi de septembre dans trois points stratégiques de la localité : faire renaître une forêt, pour limiter l'érosion et éviter l'ensablement de la retenue d'eau creusée en contrebas. En un mot, lutter, avec les moyens du bord, contre l'avancée du désert.
À Mont-Roland, le manque d'eau est une préoccupation majeure. Mais depuis sept ans, un élan citoyen d'un genre nouveau est parvenu à briser le sentiment de résignation. Cinquante-huit habitants du secteur siègent au sein d'une assemblée délibérative autonome, la Plateforme locale de l'eau (PLE), qui surveille et tente de protéger la nappe phréatique menacée par la surexploitation. Grâce au soutien du maire, lui-même ancien employé d'une ONG, ils sont désormais reconnus localement comme une autorité incontournable.
Ce nouveau modèle est expérimenté depuis 2017 dans trois localités de la région des Niayes, une bande de terre particulièrement fertile, longeant la côte de Dakar à Saint-Louis, où la nappe phréatique baisse à vue d'oeil (1). L'État du Sénégal, en application d'un principe directeur du droit international, se devait d'impliquer les usagers sur les questions liées à l'eau.
Les trois PLE sont aujourd'hui dynamiques, même si leur installation n'a pas été simple. Dans les localités voisines de Diender et Kayar, les huit membres de l'ONG Gret, diligentée par l'État pour ce projet, ont d'abord trouvé une grande méfiance des habitants. « L'État était en train de creuser onze forages à Diender, pour alimenter Dakar en eau potable, alors que plusieurs villages ici n'avaient pas l'eau courante, se souvient Moussa Ba, aujourd'hui trésorier de la PLE. Nous pensions que le Gret était un pion envoyé par l'État pour calmer la population. » Le processus d'acclimatation a duré plus d'un an, à travers des projections-débats et des jeux sérieux dans les villages sur le partage de l'eau et le maillage progressif d'un réseau d'acteurs que l'ONG a identifiés.
Anarchie du système de pompage
Dans ces localités ceinturées par la mer et le lac Tanma, asséché depuis les sécheresses des années 1970, la PLE s'est fixée comme priorité de recenser les ouvrages hydrauliques. Ce diagnostic est jugé prioritaire, notamment par la Banque mondiale, mais n'est pas réalisé par l'État, faute de moyens suffisants. « Comme nous sommes nous-mêmes agriculteurs, les gens nous ont laissés entrer sur leurs terres pour faire des relevés », résume Moussa Ba.
Résultat, au moins 700 ouvrages ont été comptabilisés dont 80 % n'étaient pas déclarés au ministère de l'Eau, ce qui est obligatoire pour tout ouvrage d'une capacité supérieure à 5m3 par heure. « Cela signifie que nous ignorons la pression exercée sur la nappe », s'indigne Moustapha Mail, secrétaire générale de la PLE, qui tient une boutique de matériel agricole à Diender.
Or, la situation s'aggrave rapidement. « Il y a un an et demi, nous trouvions de l'eau à 55 mètres, constate Birmane Saw, surveillant général de l'Association des usagers du forage de Kayar. Aujourd'hui, il faut descendre jusqu'à 73 mètres ». Les regards se tournent vers une énorme ferme maraîchère de 350 hectares, installée à quelques kilomètres de là en 2019. Elle refuse de participer aux PLE et affirmer puiser son eau dans une seconde nappe, plus profonde.
Les forages desservant Dakar sont également incriminés, ainsi que la forte pression démographique : « Nous avions 1 000 clients en 2010. Aujourd'hui, notre forage dessert 4 300 ménages et cinq industriels, dont une usine d'eau en bouteille », résume Birmane Saw. Le risque, dans cette zone côtière, est que l'eau de mer s'infiltre dans la nappe phréatique entrainant sa salinisation, qui ferait chuter les rendements agricoles. « Il faudrait que l'État transfère aux PLE le pouvoir de police de l'eau, pour mettre fin à l'anarchie du système de pompage », tranche Moustapha Mail.
Pour l'heure, ces trois assemblées citoyennes n'ont pas de compétence légale. Mais elles ont semé des graines. Pour nous en convaincre, Nor Diaye nous conduit au milieu de son champ, composé de deux hectares de choux, d'oignons et de gombo. « Les formations [plusieurs journées sur le cycle de l'eau, les méthodes d'agriculture écologiques et les méthodes collaboratives] m'ont fait comprendre qu'en choisissant mes cultures, j'économiserais beaucoup d'eau. Ça marche et je dépense moins de l'argent pour acheter l'essence de ma pompe, résume-t-il. Alors j'essaie de convaincre les autres agriculteurs. »
À cent mètres de là, une pompe alimentée par un panneau solaire, reliée à un large tuyau, tire le précieux liquide du sol en continu pour alimenter un champ de maïs. « Des ONG financent des panneaux solaires et s'en vont sans former les agriculteurs. C'est de la mal-adaptation », souffle Hamet Diallo, architecte du projet PLE pour le Gret.
Vers une généralisation à l'ensemble du Sénégal ?
Plus au nord, la route qui longe des étendues parsemées de baobabs pénètre soudain dans une oasis de verdure bordée de palmiers. À Mboro, commune entourée de dunes à deux pas d'une énorme mine de phosphate, la PLE vibre d'intenses discussions sur la responsabilité de l'industrie minière, accusée de polluer la nappe. La sécheresse, aussi, préoccupe. Les bas-fonds, autrefois marécageux, sont à sec.
Ce vendredi, les membres de la PLE sillonnent la campagne équipés d'un piézomètre, un long fil qu'on plonge dans le puits pour mesurer la hauteur de l'eau. Pour monter cette action, c'est le ministère de l'Eau que la PLE a dû convaincre. Il s'est longtemps montré réticent à équiper et former les citoyens pour qu'ils surveillent eux-mêmes la nappe. « Les données qu'ils relèvent nous aident beaucoup. Ils sont les premiers témoins du changement climatique », applaudit aujourd'hui Ibra Dieng Gueye, hydrogéologue pour le ministère de l'Eau, venu offrir ses conseils. « C'était quelque chose qu'on ne pouvait pas imaginer en 2017, au démarrage du projet », glisse Hamet Diallo.
Depuis 2022, le Gret est chargé d'essaimer ses assemblées citoyennes dans 19 nouvelles communes des Niayes, sous la forme de Comités communaux de l'eau, une formule davantage liée aux communes qui doit, à long terme, mailler l'ensemble du Sénégal. Auront-elles la confiance des autorités et les moyens d'agir de manière autonome ? Leurs membres seront-ils recrutés, formés et accompagnés dans un processus aussi ambitieux que celui du Gret ?
Hamet Diallo s'interroge. Le financement de son programme s'arrête fin 2025 et la recherche de nouveau bailleurs s'annonce compliquée. « Les gens ne comprennent pas qu'en formant les habitants et en les aidant à s'organiser, on s'attaque aux causes profondes et multiples du problème. Même l'État peine à le comprendre. Alors les PLE sont certes reconnues, mais elles restent limitées en termes de pouvoir. »
Il s'accroche pourtant à sa conviction, renforcée par sept années à labourer les consciences aux quatre coins des Niayes. « Les gens qui participent aux PLE sont conscients des enjeux. Ils ne vont pas se laisser noyer », espère Hamet Diallo. À Diender-Kayar, la PLE a commencé à démarcher elle-même les financeurs pour conquérir, de manière autonome, son pouvoir d'action.
Dans les Niayes, la gestion de la ressource aquifère, devenue rare, est devenue l'affaire de tous {{ scope.counterText }} {{ scope.counterText }} i 1. La quantité d'eau prélevée atteint en 2,5 fois celle qu'offre en moyenne la pluie chaque année (chiffre Banque mondiale). En moyenne, selon les autorités sénégalaises, 7 centimètres par an pour la nappe superficielle et 45 à 49 centimètres la nappe profonde.
Ce projet a été financé par le Centre européen de journalisme, via l'accélérateur de journalisme de solutions, programme soutenu par la Fondation Bill & Melinda Gates.